DOSSIER
Auteur(s) : CHANTAL BÉRAUD
ALORS QUE LA PRATIQUE VÉTÉRINAIRE EN RURALE EST DEPUIS TOUJOURS À PRÉPONDÉRANCE MASCULINE, LA FÉMINISATION ACTUELLE DE LA PROFESSION CONDUIRA-T-ELLE DANS LE FUTUR À CE QUE LES FEMMES PRENNENT LA PLACE DES HOMMES DANS NOS CAMPAGNES ? DE MÊME POUR LES AGRICULTRICES, SONT-ELLES L’AVENIR DES EXPLOITATIONS OU LES SOLUTIONS RÉELLES AUX PROBLÈMES ACTUELS SE TROUVENT ELLES BIEN AU-DELÀ DU GENRE ?
Il aura fallu attendre le 1er février 2017 pour que la parité à l’Ordre national vétérinaire soit atteinte : 9 119 femmes et 9 119 hommes ! Avec des promotions dans les écoles qui comptent désormais plus de 70 % d’étudiantes, la féminisation de la profession vétérinaire est déjà devenue une réalité. Mais pour garder des campagnes vivantes avec des animaux de rente en bonne santé, une partie d’entre elles viendront-elles dans le futur pallier le manque de vétérinaires ruraux, déjà constaté par endroits ? Sont-elles déjà bien accueillies par l’ensemble du monde paysan, agriculteurs et agricultrices confondus ? Pensent-elles et font-elles le métier un peu différemment des hommes ? Essai de réponses en quelques témoignages…
D’abord, les statistiques montrent que le milieu rural se transforme, non seulement parce que l’on retrouve davantage de femmes vétérinaires qu’auparavant, mais aussi parce que d’autres professions s’y conjuguent également davantage au féminin ! En effet, aujourd’hui elles représentent 59 % des effectifs dans les écoles spécialisées en agronomie. Par ailleurs, la France avait 8 % de femmes chefs d’exploitations agricoles en 1970. En 2016, elles étaient 111 000, soit 24 % de l’ensemble agricole, une proportion globalement stable depuis plus de dix ans. Mais au-delà de ces chiffres, quelles sont les réalités du terrain ? Les femmes y sont-elles reconnues à leur juste valeur ? Le réseau Civam (centres d’initiatives pour valoriser l’agriculture et le milieu rural) propose à ses adhérentes des espaces de parole dits « en non-mixité choisie » où les agricultrices peuvent notamment aborder ce genre de questions. Ingénieure agronome de formation, Émilie Serpossian anime depuis 2013, en Loire-Atlantique, le groupe « Femmes » du Civam 44, en Loire-Atlantique. Et d’expliquer : « Les agricultrices ont peu à peu obtenu des évolutions de statuts qui leur ont permis d’exister. » Ainsi, elles ont longtemps travaillé à l’ombre de leurs maris, sans bénéficier d’aucune reconnaissance légale. La première grande avancée date de 1985, avec la création de l’EARL (Exploitation agricole à responsabilité limitée) qui a permis aux époux de s’associer sur une ferme. Par la suite a été créé en 1999 le statut de « conjoint collaborateur ». Quant au Gaec (groupement agricole d’exploitation en commun) entre époux, il a été instauré en 2011. Issu de la loi de modernisation agricole de juillet 2010, les conjoints, qu’ils soient mariés, pacsés ou concubins, peuvent désormais créer un Gaec à 2. Mais comme le regrette Émilie Serpossian, des stéréotypies de genre persistent encore en agriculture et dans le milieu rural.
Toutefois, le travail de ces agricultrices n’est-t-il pas aujourd’hui plus facile qu’hier ? « Certes, commente Émilie Serpossian, quand un technicien arrive dans une ferme, on l’entend moins souvent réclamer : “Il est où le patron ?” Mais ça arrive encore… Quant aux femmes vétérinaires, il en travaille déjà plusieurs dans notre secteur. L’autre jour, on a même entendu un agriculteur déclarer : “Super, c’est une femme vétérinaire qui arrive. De toute façon, tous mes intervenants techniques sont des femmes, puisque mon inséminateur et mon contrôleur laitier sont actuellement aussi des femmes !” » D’ailleurs, selon Maréva Hervouet, productrice de lait bio avec son époux et membre du groupe « Femmes », « les femmes vétérinaires qui viennent dans nos fermes ont les connaissances, les capacités et le caractère nécessaires pour s’affirmer à l’égard de la gent masculine ». De plus, « elles bénéficient parfois de la bienveillance des agriculteurs, qui auront sans doute plus tendance à leur donner un coup de main physique que s’ils avaient affaire à un vétérinaire masculin. Ce peut être le cas, par exemple, lors d’un vêlage difficile », ajoute-elle.
L’agricultrice voit-elle d’autres différences de genre ? « Oui, estime Maréva Hervouet, il existe certaines différences. Agricultrices et vétérinaires femmes manifestent peut-être par exemple plus d’empathie pour les animaux, plus de sensibilité face à la sou rance animale. Moi, par exemple, je suis à l’affût des plaies, je les soigne rapidement, mais c’est peutêtre parce que je suis une ancienne ASV ! » Pour elle, la femme est-elle pour autant l’avenir de la ferme ? « Franchement, j’espère plutôt que l’avenir de nos campagnes, ce sera ensemble ! Pour les vétérinaires aussi… Que des hommes ou que des femmes d’un côté, ce n’est vraiment pas cela ma vision d’un monde idéal. »
Tel est aussi l’espoir de Yolande David (Oniris 2004), vétérinaire mixte à Sens-de-Bretagne et à Antrain, en Ille-et-Vilaine. Seule femme associée de son groupe, elle préfère qu’il y ait « un panachage entre hommes et femmes vétérinaires. Car on constate effectivement des différences entre sexes, même pour le fonctionnement au quotidien : par exemple, en règle générale, les vétérinaires hommes sont plus attirés par la gestion, la comptabilité. Quant aux femmes vétérinaires, elles s’orientent davantage vers le social, la gestion du personnel… Par ailleurs, les vétérinaires hommes et femmes sont complémentaires sur le terrain. » Fille d’agriculteurs et elle-même mariée à l’un d’entre eux, Yolande David aime donc la rurale et constate dans sa propre clientèle que « seule une poignée d’éleveurs semble aujourd’hui préférer avoir affaire à un vétérinaire homme ». Mais l’avenir lui semble quand même incertain, surtout pour des raisons d’ordre économique : « Par exemple, les éleveurs de viande ne sont pas assez payés. Et ici, en Bretagne, on voit bien que notre activité est liée au prix du litre de lait. Quand il est à la baisse, les agriculteurs viennent chercher les médicaments mais ils nous font moins intervenir pour des actes. Et je sais que la situation est parfois pire ailleurs : j’ai en effet des amis vétérinaires qui travaillent en sud Vendée et dans le Maine-et-Loire. Elles exercent de plus en plus en canine, pour avoir une soupape de sécurité, car leur activité rurale décline. »
Rémi Gellé (T 77), vétérinaire en Gironde, pense également que l’avenir de la rurale dépend surtout des futurs choix politiques qui seront effectués. Et d’argumenter : « Il ne faut pas que ce soit l’activité canine qui finance la rurale, comme c’est déjà malheureusement le cas dans certaines cliniques vétérinaires. Avec les syndicats agricoles, les associations d’élus, il faut dire aux politiques que les agriculteurs ont besoin de « médecins » pour leurs animaux ! Autrement, à l’avenir, il n’y aura plus de vétérinaires, ni hommes ni femmes, en rurale, car les praticiens iront naturellement s’installer ailleurs, là où ils peuvent gagner leur vie. »
Assurément, la question de l’avenir de l’activité rurale est loin d’être uniquement une simple affaire de genre. Car la question essentielle est bien aujourd’hui de choisir vers quel modèle agricole s’orienter, en pleine tempête tant sanitaire que climatique. C’est également l’avis de Yolande David, qui conclut : « Avec la crise sanitaire, on voit bien en effet qu’une partie de la population veut revenir à une alimentation plus saine et de proximité. Mais quel sera l’avenir de la rurale, cela dépendra notamment du modèle agricole vers lequel va pencher la balance… Pour le moment, je ne le sais pas. Nous nous trouvons actuellement, hommes et femmes confondus, vétérinaires, agriculteurs et société entière devant un vrai choix de civilisation, qu’il va bien falloir trancher. »
« EFFectivement, les agricultrices sont plus demandeuses d’évolution des pratiques agricoles que les hommes, commente Émilie Serpossian, animatrice du groupe « Femmes » du Civam 44. Elles sont par exemple plus intéressées par l’agroécologie, et ce n’est pas qu’un ressenti de ma part. En effet, cela a été notamment mis en évidence dans le projet1 Carma (Contribution des agricultrices au renouvellement des métiers agricoles). Et également dans le projet Transaé (Transformations du travail et transition vers l’agroécologie) en élevage de ruminants. » Par ailleurs, ajoute Émilie Serpossian, « les agricultrices se demandent aussi plus souvent comment elles peuvent soigner leurs animaux de manière plus naturelle, en employant moins d’antibiotiques. Comment mieux les nourrir. Comment acheter moins à l’extérieur… Elles sont donc parfois plus en phase avec l’évolution des demandes sociétales actuelles. Quant aux vétérinaires femmes de notre secteur, certaines se sont formées à la phytothérapie, à l’homéopathie et à l’ostéopathie, c’est intéressant. Il serait aussi génial de pouvoir tisser davantage de partenariats avec leur profession, car je suis certaine que les vétérinaires auraient quantité de choses à apprendre aux agricultrices, et réciproquement. »
1. À lire sur www.bit.ly/2F8vrXL
TÉMOIGNAGE
YOLANDE DAVID (N 04)
Vétérinaire mixte à Sens-de-Bretagne et à Antrain
Je ne sais pas si les praticiennes parviendront ou pas dans l’avenir à pallier au manque de vétérinaires dans les endroits où il en manque déjà… En effet, les étudiantes préfèrent majoritairement travailler en canine ou avec des chevaux. L’activité rurale peine à attirer des femmes car elle est physiquement plus dure et implique généralement d’assurer des gardes de nuit plus fréquentes qu’en canine. Ce qui est évidemment plus compliqué par rapport à l’organisation de sa vie de famille. Personnellement, j’ai la chance d’avoir les grands-parents à côté, même si on essaye de ne pas en abuser.
TÉMOIGNAGE
RÉMI GELLÉ (T 77)
Vétérinaire en Gironde
Je ne crois pas que le manque de vétérinaires en milieu rural soit essentiellement dû à un déficit de professionnels formés, d’autant plus que d’ici trois à cinq ans, il y en aura davantage puisque les promotions françaises sont en train d’augmenter en effectif, et qu’il y a aussi d’autres vétérinaires formés hors de France. Je crois plutôt qu’il y a un problème lié à la formation initiale des vétérinaires. Quand de jeunes diplômés - dont de jeunes vétérinaires femmes - arrivent en rurale et demandent à être accompagnés, à travailler dans des équipes, parce qu’ils sont inquiets par rapport à leur degré de compétence acquis, ce n’est tout simplement pas possible. Car un éleveur ne peut pas payer deux vétérinaires ! Je pense donc qu’il faudrait que les jeunes diplômés sortent des écoles avec davantage de compétence pratique, ce qui supposerait qu’ils accomplissent durant leurs études de plus longues périodes d’apprentissage. Quant à la délégation d’actes pour les éleveurs qui existe déjà, peut-être qu’il faudrait également mieux l’encadrer, afin de sécuriser les filières de production et aussi afin d’apporter les garanties aux consommateurs tant sur la qualité des produits que sur le bien-être des animaux.
Tout comme les vétérinaires femmes, les agricultrices sont parfois confrontées à la question de la force physique. Pourquoi ? Pour Émilie Serpossian, animatrice du groupe « Femmes » du Civam 44, « c’est a priori parce que les outils et les pratiques de ces métiers ont été développés par des hommes pour des hommes, évidemment en lien avec leur morphologie. Les agricultrices s’emparent donc aujourd’hui de cette question et interrogent l’ergonomie des matériels et des manières de faire. Et il y a encore du boulot sur ce champ-là ! Mais la pénibilité physique est aussi une réalité pour les hommes. Les agriculteurs bénéficient donc largement des évolutions prises à l’initiative des agricultrices, pour parvenir à minimiser l’emploi de la force physique. »
TÉMOIGNAGE
CHRISTIAN HANZEN
Professeur à la faculté de médecine vétérinaire de Liège (Belgique)
Je constate1 effectivement en Belgique que l’image d’Épinal du vétérinaire rural, c’est un type qui pèse 100 kilos, baraqué comme Rambo, qui se lève même la nuit de Noël pour faire des vêlages ! Mais ce n’est qu’une part de la réalité. Et ce sera d’autant moins la réalité que nous prônons de plus en plus une approche de troupeau. Et là, il faut moins de muscles qu’un cerveau ! En cours, je dis aux étudiants, garçons et filles : le monde agricole a aussi besoin de conseils dans des domaines comme les suivis de troupeau, de soins mammaires ou de boiteries, l’alimentation… Donc, il y a un potentiel énorme pour les filles qui voudraient travailler en rurale, pour autant qu’elles veuillent bien s’adapter à cette évolution-là. Cela peut se faire sur rendez-vous. Ce qui peut être un argument intéressant pour les femmes vétérinaires - notamment pendant les périodes où elles sont enceinte -, qui sont beaucoup plus nombreuses à travailler à temps partiel que les hommes.
1. Témoignage extrait d’une analyse publiée par l’ACFR-Femmes en milieu rural, en Belgique. En savoir plus sur www.acrf.be