EXPRESSION
LA QUESTION EN DÉBAT
Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL
Au plus fort de la crise de la Covid-19, des tensions d’approvisionnement de certains médicaments ont été signalées, notamment par des professionnels de la santé. Du côté des vétérinaires, la crainte de la pénurie s’était également faite ressentir. Alors que le gouvernement a lancé en juin une stratégie pour relocaliser la production de médicaments afin de « gagner en indépendance industrielle et sanitaire », des vétérinaires rappellent l’urgence de la situation.
FRANCK DHOTE (L 98)
Vétérinaire consultant Agrovet Expertise à Saint-Martin-d’Uriage (Isère)
Le médicament est devenu un produit banalisé soumis aux règles de la mondialisation, avec un déplacement progressif de la production des principes actifs nécessaires à la production de médicaments (chimie fine) vers les zones à bas coûts. La France dispose de stocks stratégiques de produits de santé pour répondre aux menaces sanitaires. Cette crise révèle que la France a besoin d’une capacité de production stratégique et non pas seulement de stocks périssables et limités. La production de ces principes actifs ne peut plus être dictée par les seules lois du marché qui régissent la production des produits de grande consommation. Un statut stratégique, inspiré de celui qui est appliqué aux matériels de Défense, permettrait de relocaliser la production. Cette politique de relocalisation devra impérativement s’appréhender à l’échelle européenne. Des moyens de production judicieusement répartis permettront d’assurer la souveraineté et la sécurité des Européens en matière d’approvisionnement en médicament essentiels.
DELPHINE MAQUET-CHURIN (A 06)
Vétérinaire canin à Gavray (Manche)
À suivre aveuglément et uniquement les lois du capitalisme financier, nous nous sommes mis en grave danger sanitaire et économique. Il est impératif, pour la relance économique et pour la sécurité nationale, de reconstruire notre industrie, notamment pharmaceutique. Ce n’est pas une utopie, mais une belle opportunité : bien sûr, il faudra faire preuve d’intelligence collective et de volontés véritablement coopératives entre les différents acteurs (publics, privés, universitaires…), sans oublier l’empreinte environnementale de cette renaissance.
CHRISTINE PERDREAU (L 81) Vétérinaire canin à Prades-Le-Lez (Hérault)
Dès les années 1990, j’ai observé cette tendance à la délocalisation et m’interrogeais sur ses conséquences à l’avenir. Dans certains pays, il est impossible d’ignorer les conditions dans lesquelles sont fabriqués ces produits. Il est inimaginable que notre société puisse cautionner ces situations où des êtres humains sont exploités pour produire toujours moins cher. Mais je ne suis pas certaine que nous soyons en mesure d’apporter des réponses concrètes aux questions éthiques que posent ces pratiques. Serions-nous prêts aujourd’hui à consommer autrement et à payer nos médicaments plus chers ? Je ne pense pas. J’ai perdu mes illusions mais espère que les prochaines générations auront la force morale et la volonté de produire en France.