ÉDUCATION ET SANTÉ, UN DUO GAGNANT - La Semaine Vétérinaire n° 1869 du 02/10/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1869 du 02/10/2020

DOSSIER

Auteur(s) : TANIT HALFON

EN MÉDECINE HUMAINE, LES PROGRAMMES D’ÉDUCATION THÉRAPEUTIQUE DU PATIENT ONT POUR OBJECTIF D’AIDER LES INDIVIDUS ATTEINTS D’AFFECTIONS CHRONIQUES À ÊTRE ACTEURS DE LEUR MALADIE JUSQU’À L’ACQUISITION DE COMPÉTENCES D’AUTO-SOINS. CETTE APPROCHE TROUVE TOUTE SA PLACE EN MÉDECINE VÉTÉRINAIRE. REGARDS CROISÉS SUR CETTE PRATIQUE.

En médecine humaine, l’éducation thérapeutique du patient s’est progressivement imposée comme un essentiel dans la gestion des patients atteints de maladies chroniques. Selon la définition de l’Organisation mondiale de la santé, elle « vise à aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique. Elle fait partie intégrante et de façon permanente de la prise en charge du patient. » Très concrètement, elle se matérialise par des ateliers collectifs ou individuels, animés par des professionnels du secteur de la santé, sur une thématique spécifique à une pathologie chronique donnée (diabète, asthme, insuffisance rénale, etc.). Qu’en est-il en médecine vétérinaire ? Pour Éric Guaguère, vétérinaire spécialiste en dermatologie, qui avait coordonné une séance dédiée à ce sujet à l’Académie vétérinaire en mars 2019, « les maladies chroniques ont un coût et leur suivi est souvent chronophage. Le vétérinaire n’a pas le droit à l’échec. Il faut donc mettre tous les atouts de son côté. » L’éducation thérapeutique du propriétaire, qui a pour objectif de « rendre autonome un propriétaire pour le traitement et le suivi de la maladie de son animal » en fait partie. « Elle permet de créer un lien avec les propriétaires d’animaux facilitant l’adhésion au traitement et donc l’amélioration de la santé de l’animal », souligne-t-il. Pour qu’une telle « alliance thérapeutique » se noue, il faut d’abord en saisir la démarche. « Beaucoup de vétérinaires confondent information et éducation. Faire de l’éducation thérapeutique ne se limite pas à s’assurer que le propriétaire a bien administré les comprimés prescrits. » En médecine humaine, la Haute autorité de santé (HAS) indique à ce sujet1 que « des méta-analyses d’études contrôlées randomisées concernant l’asthme, la polyarthrite rhumatoïde, la prise au long cours d’antivitamines K ont montré que l’information seule ne suffisait pas à aider les patients à gérer leur maladie au quotidien ».

Une démarche à formaliser

Faire de l’éducation thérapeutique passe par plusieurs étapes (voir schéma), en premier lieu le diagnostic éducatif, c’est-à-dire appréhender le niveau de connaissances et de compétences du propriétaire. Et ses « éventuelles croyances » : « Par exemple, en médecine humaine, des études ont montré que les personnes corticophobes administraient partiellement à leur enfant en phase aiguë de dermatite atopique le traitement recommandé de corticoïdes », illustre Éric Guaguère. Pour les compétences, il s’agit de savoir si le propriétaire a la capacité de comprendre la maladie de son animal et d’effectuer le traitement : « Imposer des shampooings à certaines personnes âgées est contre-productif. » Au moment d’expliquer la maladie, il faudra bien garder en tête d’utiliser des mots simples, d’évoquer d’emblée la complexité de la maladie, et sa chronicité, et si distribution de documents il y a, de penser à les personnaliser. « C’est important de s’assurer que le propriétaire a bien compris le message et de lui donner un temps de parole », rajoute-t-il. En médecine humaine, la HAS invite à ce propos les médecins à faire reformuler à leurs patients ce qu’ils ont compris : expliquer-faire dire-réexpliquer2. Définir des objectifs thérapeutiques, incluant les délais à attendre, est une autre étape : « C’est une décision partagée entre le propriétaire et son vétérinaire. Le plan, ou scénario, thérapeutique doit être envisagé, c’est-à-dire justifier les prescriptions – pourquoi telle molécule et pas une autre – et échanger avec le propriétaire lors de la lecture de l’ordonnance, explique-t-il. Le praticien doit également lui transmettre des compétences – démonstrations, mises en situation, outils éducatifs, séances collectives, etc. » Enfin, le suivi devra permettre d’évaluer l’efficacité du traitement, de juger de la qualité de vie de l’animal, mais aussi de suivre la motivation du propriétaire. « L’éducation thérapeutique est une occasion de renouveler sa pratique quotidienne et de créer de nouveaux rapports avec le propriétaire et le patient », soutient Éric Guaguère.

Transmettre des compétences

Ce n’est cependant pas l’aff aire que de spécialistes, et Thierry Poitte, vétérinaire à Saint-Martin-de-Ré en Charente-Maritime, qui propose des consultations douleur, en témoigne. Pour répondre au défi de la douleur chronique, il a ainsi élaboré tout un process dans lequel il intègre les principes d’éducation thérapeutique, notamment celui du transfert de compétences. « Le propriétaire va acquérir des compétences évaluatives, c’est-à-dire qu’on va lui apprendre à utiliser des grilles de scoring. Il aura aussi des compétences de soins : ça inclut la compréhension des mécanismes d’action et des effets secondaires des médicaments prescrits mais aussi l’apprentissage de certains gestes de physiothérapie. Pour cela, nous leur proposons des ateliers individuels animés par trois de nos auxiliaires vétérinaires qui leur montrent comment masser leur chien. Tout cela est associé à des documents écrits et personnalisés. » Il est catégorique : « Si on ne transmet pas ces compétences évaluatives aux propriétaires, le suivi perd en efficacité. » Le suivi, personnalisé, est tout aussi important : « Cela ne suffit pas de dire aux propriétaires de donner des nouvelles. » Le temps éducatif trouve sa place également hors consultation, avec les expériences en dermatologie vétérinaire d’école de l’atopie. Cette pratique, qui se calque aux écoles de l’atopie en médecine humaine, a été adaptée en France par Emmanuel Bensignor et Céline Darmon (voir encadré), vétérinaires spécialistes en dermatologie. « La complexité de la dermatite atopique et de la thérapeutique associée, qui reposent sur des traitements multiples, fait de la maladie un bon candidat pour l’éducation thérapeutique », explique-t-il. Pour lui, le format de l’école de l’atopie permettra de renforcer les compétences des propriétaires. Avec un plus : « Nous avions montré, avec Céline Darmon, que cela permettait de réduire la consommation des antibiotiques. » Ces résultats sont présentés dans un article daté de 2019, paru dans le bulletin3 de l’Académie vétérinaire, et tiré de la séance thématique du même nom.

Prémisses dans les écoles

La démarche d’éducation thérapeutique place le soignant dans une posture éducative. En médecine humaine, un rapport4 de 2013 de l’Académie de médecine parle d’une nouvelle conception du soin qui « ne se résume plus simplement à la dispensation de moyens thérapeutiques prescrits » et qui peut être vécue comme « une véritable transformation identitaire ». Tout cela implique évidemment des compétences spécifiques, qui sont bien définies en humaine, dans un référentiel de compétences conçu par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé5. Du côté des vétérinaires, jusqu’à présent, l’éducation du propriétaire dans la formation initiale était abordée au travers des différentes disciplines cliniques. Mais ça commence à bouger. VetAgro Sup lance ainsi pour le second semestre prochain un enseignement optionnel dédié à l’éducation thérapeutique du propriétaire, pour les étudiants de 4e année. « Cette initiative découle directement du projet de thèse de fin d’étude de Mathilde Mennetrey », explique Jeanne-Marie Bonnet-Garin, directrice générale adjointe de VetAgro Sup, qui souligne sa volonté de positionner l’école sur l’ETP. Cette option permettra d’aborder les choses différemment, « de réapprendre à nos étudiants à communiquer. » Très concrètement, « l’objectif est que les étudiants se réapproprient les connaissances dans l’optique de les transmettre à des propriétaires d’animaux. L’enseignement inclut une mise en situation réelle avec un groupe de propriétaires volontaires. Deux ateliers sont prévus et concernent la dermatite atopique canine et le diabète sucré du chien et du chat », poursuit Marine Hugonnard, enseignante-chercheuse en médecine interne des animaux de compagnie qui sera en charge de l’enseignement. « Comme en médecine humaine, il est à espérer que ce dispositif facilite les échanges d’expériences entre propriétaires, qui sont absents de la pratique clinique classique. Cet apport extra-médical, probablement plus subtil, est un vrai plus. Cela permet également aux propriétaires de mieux s’approprier la maladie de leur animal, de prendre du recul, pour mieux l’appréhender et en particulier déceler les signes évocateurs de complications », renchérit Arnaud Charondière, praticien hospitalier, qui participera à la réalisation des ateliers. À ce stade, il n’est pas encore question d’envisager un service pérenne, mais la question se posera avec les premiers retours d’expérience et suivant les demandes des propriétaires, et des vétérinaires praticiens libéraux. À Oniris, l’équipe réfléchit à la création d’un enseignement de thérapeutique, également pour les étudiants de 4e année, dans lequel un chapitre serait dédié à l’éducation thérapeutique. Au-delà de l’aspect amélioration des soins, la formation initiale en éducation thérapeutique pourrait aussi aider les jeunes diplômés, comme le relève Éric Guaguère : « Actuellement, de nombreux jeunes vétérinaires rencontrent des difficultés à entrer dans la vie professionnelle. Leur ajouter des compétences en éducation thérapeutique ne pourra que les rassurer. »

1. www.bit.ly/2RSNkw9

2. www.bit.ly/35Yf9eL

3. www.bit.ly/301hKkC

4. www.bit.ly/2RT10r0

5. www.bit.ly/3036sMv

Un travail d’équipe

TÉMOIGNAGE

DAVID SAYAG

Vétérinaire spécialiste en cancérologie.

Au centre hospitalier vétérinaire Advetia (Vélizy-Villacoublay), au service oncologie, l’éducation thérapeutique trouve toute sa place dans le parcours soin d’un animal malade, témoigne David Sayag, vétérinaire spécialiste en cancérologie.

« Dans ma discipline, mon objectif est d’intégrer pleinement les responsables des animaux à la stratégie thérapeutique, en particulier à la gestion des effets secondaires. Lors de l’initiation d’un protocole de chimiothérapie, ils reçoivent des informations précises sur la maladie et le fonctionnement du traitement, associées à des fiches standardisées expliquant les risques d’effets secondaires. Ils repartent aussi avec une “trousse de secours” contenant des antidiarrhéiques et anti-nauséeux, dont ils pourraient avoir l’usage, et ils savent exactement à quel moment il conviendra d’en administrer. Un livret d’information sur le traitement du cancer est d’autre part fourni. Cette démarche éducative ne se limite pas à la délivrance d’informations, par exemple, nous formons à la prise de température et à l’observation des excrétats afin de les aider à savoir si une consultation s’impose ou si un traitement symptomatique peut suffire. C’est aussi un travail d’équipe, associant ASV et vétérinaire référent. »

Accompagner le propriétaire pour son animal

TÉMOIGNAGE

NATHALIE SIMON

Vétérinaire comportementaliste

Forte d’un PHD de sciences de l’éducation, Nathalie Simon, vétérinaire comportementaliste qui a élaboré sa propre méthode, la Conduite accompagnée du chien, donne quelques clés pour réussir sa démarche éducative. « Pour toute démarche éducative, plusieurs points me semblent importants à retenir. D’abord, il s’agit d’une démarche empathique où l’intervenant se met à la place du propriétaire et de l’animal, tout en apportant les moyens de l’amélioration. Attention à ne pas nuire, en particulier à ne pas utiliser la peur comme ressort, ce qui bloque toute évolution favorable du propriétaire. Éviter également d’induire l’illusion ou la culpabilité, qui toutes deux nuisent au deuil des propriétaires si l’animal décède. Pour mener à bien sa démarche, il faudra apprendre à développer l’implication du client en procédant avec lui à une analyse fine des causes des problèmes, et des différentes conséquences. La relation avec le propriétaire doit être constructive, et pas autoritaire. Je recommande notamment de mettre en avant les potentiels de l’animal et de la famille, c’est-à-dire ce qui va. Dans mes consultations, je m’appuie sur ces potentiels pour construire de la cohérence. Une fois que le propriétaire a compris qu’il peut vous faire confiance et que vous allez agir pour son intérêt et celui de l’animal, les choix thérapeutiques ont alors du sens pour lui. L’adhésion du propriétaire est l’objectif de toute démarche éducative.

LA QUESTION DE L’ÉVALUATION

En médecine humaine, l’éducation thérapeutique du patient (ETP) a reçu sa première reconnaissance officielle avec la loi Hôpital, patients, santé et territoires (HPST) de 2009, qui lui définit un cadre légal et l’intègre dans le parcours soin. Mais la pratique est-elle efficace ? La réponse est délicate.

Selon un rapport de la Haute Autorité de santé (HAS) de 2007, réactualisé en 2018, il y a des preuves d’efficacité pour l’asthme, avec une réduction des épisodes d’asthme nocturne, et de l’absentéisme professionnel et scolaire, mais aussi pour le diabète de type 1 avec un meilleur contrôle métabolique et des complications. Il est également montré une baisse du nombre d’hospitalisations et de séjours aux urgences ou des visites médicales non programmées. Hormis ces constats, en 2007 comme en 2018, conclure sur l’efficacité et l’efficience de l’ETP dans les maladies chroniques est apparu complexe, du fait d’une méthodologie de mauvaise qualité dans les études : d’une part il est impossible de reproduire et de généraliser les interventions éducatives, et d’autre part de conclure à un rapport action/coûts générés positif. Malgré ces limites, la HAS a pu définir un certain nombre de bonnes pratiques1 pour une ETP de qualité.

1. www.bit.ly/3kJeVw6

Consulter mieux

TÉMOIGNAGE

CÉLINE DARMON

Vétérinaire spécialiste en dermatologie

Depuis une dizaine d’années, Céline Darmon, vétérinaire spécialiste en dermatologie au centre hospitalier universitaire de Frégis (Arcueil) organise des séances collectives d’éducation thérapeutique sur la dermatite atopique du chien, sous le format de 3 sessions d’une heure, une fois par mois. « En participant à un atelier collectif, chaque propriétaire va se rendre compte qu’il n’est pas le seul à avoir à gérer cette maladie, cela contribue à dédramatiser sa situation. De plus, j’y explique en détail le déroulé d’une consultation de dermatologie, et les différents examens que l’on peut y faire comme le calque cutané ou l’écouvillon auriculaire. Je reviens également sur des points que je n’ai pas forcément le temps d’aborder en consultation. Tout cela permet de légitimer nos pratiques et donc de renforcer le suivi de la maladie. In fine, le propriétaire apprendra à identifier le moment où il devient nécessaire de consulter, et d’éviter aussi les consultations inutiles. Un bémol cependant : avec les compétences acquises, certains propriétaires finissent par faire de l’automédication, ce qui peut aboutir à devoir gérer des situations cliniques difficiles. »