AGRICULTURE
PRATIQUE MIXTE
Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE
Une commission d’experts a remis le 18 septembre 2020 ses conclusions sur l’impact du projet d’accord de libre-échange entre l’Union européenne et les pays du Mercosur au Premier ministre, Jean Castex, qui a confirmé que la France s’opposait à cet accord « en l’état ».
Avec l’accord conclu le 28 juin 2019 entre l’Union européenne et le Mercosur, l’UE a raté une occasion d’utiliser son pouvoir de négociation pour obtenir des garanties solides respectant l’environnement, la santé et plus généralement les attentes sociétales de ses citoyens », déplore le rapport1 du comité d’experts (commission Ambec) indépendants rendu au Premier ministre, Jean Castex, le 18 septembre dernier. En effet, après vingt ans d’âpres négociations, le volet commercial de l’accord d’association entre l’Union européenne (UE) et le Marché commun du Sud (Mercosur2) a été signé le 28 juin 20193. Une fois ratifié par chaque État membre de l’UE et par le Parlement européen, il devrait ensuite être mis en application pour « replacer l’Europe au centre de la dynamique du commerce international et consolider son statut de puissance normative et, du côté du Mercosur, dynamiser sa croissance économique et diversifier ses débouchés commerciaux ». Cependant, à l’instar de la France, les réticences sont nombreuses à travers l’Europe actuellement – Autriche, Pays Bas, Belgique, Irlande et Luxembourg.
En effet, selon les experts, bien que profitable pour certains secteurs commerciaux comme les vins et spiritueux, l’agriculture et l’agroalimentaire européens risquent d’en souffrir. Selon leurs estimations, la libéralisation des tarifs prévue par l’accord laisse les filières volaille, porc, viande bovine, sucre, éthanol et miel en situation de grande fragilité économique avec un risque d’importation en Europe de produits alimentaires en grande quantité répondant à des normes (sanitaires, environnementales et de bien-être) moins strictes. Pour garantir la santé publique et le respect des préoccupations des consommateurs européens ainsi qu’un commerce équitable, ils proposent d’introduire des exigences liées aux méthodes de production et au respect du bien-être animal pendant le transport (attente, abreuvement, densité). De même, il serait intéressant d’indiquer sur les produits agricoles des critères comme l’origine ou la méthode de production. « D’une manière générale, il serait utile d’améliorer l’étiquetage des produits afin d’informer le consommateur, et de renforcer la traçabilité afin que ces informations soient complètes et fiables dans le système de livraison directe au consommateur et en restauration collective et commerciale », indique le rapport.
Par ailleurs, les experts s’inquiètent des conséquences de l’accord sur la déforestation en Amazonie. En effet, la première cause de perte de biodiversité, dans le monde, est le changement d’usage des sols, principalement du fait de l’extension de l’agriculture (pâtures et cultures) au détriment des forêts, savanes, zones humides et autres biomes remarquables4. L’élevage est responsable de 65 à 75 % des changements d’occupation des sols selon les dernières estimations de la Commission européenne et de la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES)5. De ce fait, « c’est donc essentiellement via les impacts sectoriels agricoles que la biodiversité sera concernée par l’accord », indique le rapport. Avec une hausse de production de viande bovine, de volaille et, dans une moindre mesure, de porc, de sucre et d’éthanol (donc la canne à sucre) de 2 à 4 % du volume annuel, selon les estimations, l’hypothèse la plus probable est celle d’une déforestation à un rythme annuel de 5 % pendant les six années suivant la mise en application de l’accord, soit un total de 700 000 hectares.
Enfin, la clause exigeant le respect de l’accord de Paris, grande absente de ce texte, devrait être considérée, selon les experts, comme « essentielle », de sorte que sa violation conduirait à une suspension des obligations commerciales par l’une ou l’autre des parties. Ils estiment que les augmentations des émissions de gaz à effet de serre (GES) attribuables à l’accord signé avec le Mercosur seraient de 4,7 à 6,8 millions de tonnes d’équivalent CO2 avec un modèle d’utilisation des sols qui tient compte de l’impact de ce dernier sur les écosystèmes et sur les émissions dues à la déforestation ainsi qu’au transport international. Or, de telles hausses auraient un coût environnemental plus élevé que les bénéfices économiques de l’accord. Il va donc falloir revoir la copie (cf. encadré). Face à ce constat alarmant, le commissaire européen au commerce, Valdis Dombrovskis, a d’ores et déjà appelé les pays du Mercosur à « prendre au sérieux » ces questions, demandant un « engagement clair » sur le volet développement durable de l’accord. Qu’en sera-t-il ? Une voie de consensus satisfaisante pour tous les partis sera-t-elle un jour trouvée ?
2. Le Marché commun du Sud est une zone de libre-échange créée en 1991 entre l’Argentine, le Brésil, l’Uruguay et le Paraguay. Ce dernier en a été suspendu en 2012, à l’instar du Venezuela en 2017, qui l’a intégré en 2012.
4. Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, IPBES, 2019 : www/bit.ly/2Gd8kuX
5. European Commission, 2013 : www.bit.ly/331aTcE