LE COMITÉ D’ÉTHIQUE À L’ÉPREUVE DU RÉEL - La Semaine Vétérinaire n° 1870 du 09/10/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1870 du 09/10/2020

VIE DE LA PROFESSION

ANALYSE

Auteur(s) : TANIT HALFON

Le Comité d’éthique, animal, environnement, santé a publié ses deux premiers avis sur l’euthanasie animale et les objets connectés. Ses recommandations visent à accompagner la profession à inscrire son éthique professionnelle dans la société actuelle.

Quelle éthique voulons-nous pour la profession vétérinaire ? Pour répondre à cette question complexe, un Comité d’éthique, indépendant de la profession, a été créé en décembre 2018, par le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV). Près de deux ans plus tard, il vient de rendre public ses deux premiers avis1 sur l’euthanasie animale et les objets connectés, qui mêlent considérations éthiques, mais aussi juridiques, réglementaires et financières. Pour l’Ordre, il s’agit d’un point d’ancrage essentiel pour guider dans la prise de décisions individuelles (du praticien dans son cabinet) mais surtout de positions à l’échelle plus globale de la profession. « Ce Comité permet de poser des balises sur des sujets transversaux, en phase avec les aspirations de la société civile, explique Jacques Guérin, président de l’Ordre. Qu’on soit d’accord ou pas, on ne peut pas les ignorer, et cela nous aidera à mieux nous positionner. » Si l’éthique professionnelle vétérinaire doit donc rester connectée à la société actuelle, les avis, comme ceux de tout comité d’éthique, restent purement consultatifs. « La profession, l’Ordre en particulier, ne doit pas se considérer prisonnière des avis du Comité. Il s’agit de se les approprier et de mesurer le gap entre les recommandations du comité et les positions professionnelles pour y remédier, le cas échéant, explique Jacques Guérin. Concernant les deux premiers avis, je ne perçois pas d’écart significatif ; c’est, je le crois, tout l’intérêt du comité vétérinaire miroir. » Et d’ajouter : « Je l’ai déjà dit, je me refuse à prendre position dans des sujets non étayés par des avis scientifiques ou émanant d’un comité, car cela correspondrait à la promotion de convictions personnelles. Grâce au Comité, nous disposons d’un levier sur lequel nous appuyer pour nous exprimer sur certains sujets. »

Sécuriser l’euthanasie

Que disent les avis ? Après une analyse de la problématique, ils listent plusieurs recommandations permettant de répondre aux différents enjeux éthiques. Pour les praticiens, « il faut voir les avis comme un des éléments du parcours réflexif de tout vétérinaire : ils doivent aider à se poser les bonnes questions, ils vont j’espère en rassurer certains qui s’en posaient déjà, et leur donner des clés pour y répondre », indique le président de l’Ordre. L’avis sur l’euthanasie animale liste ainsi les questions à se poser avant de prendre une décision. Celui sur les objets connectés souligne l’importance d’informer le propriétaire ou gardien d’un animal des avantages de ces produits - quelles garanties sur l’efficacité et la sécurité, quelle utilité réelle avérée par rapport à l’utilité attendue -, mais aussi de leurs limites. Mais finalement, ce qui ressort principalement est que l’éthique médicale et professionnelle passe forcément par des prises de décisions plus globales, hors du champ de contrôle du praticien, voire de ses instances professionnelles. Pour l’euthanasie, l’avis rappelle notamment que cet acte engage la responsabilité juridique du praticien, puisque le code pénal indique qu’une euthanasie « sans nécessité » d’un animal domestique, apprivoisé ou tenu en captivité, est punie de l’amende prévue pour les contraventions de 5e classe (1 500 euros au maximum, et 3 000 euros si récidive). « On observe une montée en puissance de contentieux entre des associations de protection animale et des vétérinaires sur la question de l’euthanasie, avec des associations qui portent plainte contre les praticiens de refuges, ou fourrières, arguant que les euthanasies pratiquées ne sont pas justifiées. Les vétérinaires ont été relaxés mais on sent bien qu’il y a une brèche dans la réglementation. » Face à cette insécurité juridique, le Comité propose déjà de revoir la définition de l’euthanasie qui ne couvre pas toutes les situations possibles, et surtout de l’inscrire dans le Code rural, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Pour Jacques Guérin, « inscrire l’euthanasie dans le code rural [et de la pêche maritime] évite d’avoir à laisser aux juges le devoir de trancher s’il y a nécessité ou pas ».

« Prendre les devants »

À ce cadre légal, le Comité recommande aussi, entre autres, de « mettre en place une cellule d’écoute et d’aide aux vétérinaires faisant face à des situations où la notion de nécessité est difficile à apprécier ». À ce sujet, Jacques Guérin précise réfléchir à la mise en place d’un comité de soutien à la décision d’euthanasie, afin de rassurer, sous un angle juridique, le vétérinaire d’un éventuel contentieux. Ceci dit, le vétérinaire n’est pas dépourvu de ressources pour être épaulé : il y a le guide Phénix de l’association QualitéVet, mais également les associations d’écoute comme Vétos-entraide. Par ailleurs, le Comité compte se pencher, dans un prochain avis, sur la question du soin lorsque le propriétaire dispose de ressources limitées.

L’avis sur les objets connectés, souligne également un manque. En effet, à la différence de la santé humaine, les dispositifs connectés, pouvant être utilisés à des fins médicales (diagnostique ou thérapeutique), ne rentrent pas dans la réglementation des dispositifs médicaux. En théorie donc, la bonne efficacité et la sécurité de ces outils sont au bon vouloir du fabricant. Se pose aussi la question de la collecte et l’usage des données. De fait, si le Comité recommande au vétérinaire de bien informer le propriétaire ou gardien d’un animal de l’absence de toute réglementation, il recommande aussi à l’Ordre de s’en inquiéter auprès des autorités compétentes. « Ce sujet n’est pas forcément aussi urgent que celui sur l’euthanasie, mais je préfère prendre les devants, plutôt que de laisser s’installer des us et coutumes et devoir ensuite corriger le tir, comme pour le dossier de la biologie médicale. » Dans ce cadre, l’Ordre réfléchit à la mise en place d’un groupe de travail, qui serait notamment en charge d’élaborer un guide de bonnes pratiques vétérinaires pour l’usage des objets connectés, comme le recommande également le Comité.

Des enjeux collectifs

Ce travail, pour passer du stade de la recommandation à du concret, s’inscrit sur du long terme, le rappelle Jacques Guérin. Outre l’Ordre, on comprend bien qu’il devra mobiliser d’autres parties prenantes. « Je pense que les organisations professionnelles vétérinaires syndicales et techniques ont aussi le devoir de s’approprier les conclusions des avis. » Tout comme d’autres secteurs d’activités professionnelles, y compris les pouvoirs publics. La profession vétérinaire ne pourra pas tout régler. Pour l’euthanasie par exemple, l’idée sous-jacente de l’avis est bien entendu d’éviter d’en arriver à une demande d’euthanasie pour des raisons autres que médicales. Pour cela, il est recommandé de favoriser la mise en place de nouvelles filières économiques pour valoriser les animaux à non-valeurs économiques, de promouvoir des campagnes de stérilisation et d’identification, d’accroître l’offre de solutions de placement d’animaux… Pour les objets connectés, il s’agit d’élaborer une réglementation pour les dispositifs vétérinaires, d’engager un processus d’élaboration de normes techniques harmonisées sur la sécurité, la fiabilité, et la durabilité des produits et leur recyclage, d’organiser un système de matériovigilance, de réfléchir à la création d’un système national de données vétérinaires à des fins de recherche…. Tous ces points ne sont pas du tout nouveaux, et plusieurs font déjà l’objet de solutions, certainement perfectibles. Mais comment faire pour mobiliser davantage les autres parties prenantes et les pouvoirs publics sur ces recommandations ? « En communiquant sur les sujets portés devant le comité d’éthique et en prenant toute notre légitime place dans le débat sociétal », conclut Jacques Guérin.

1. www.bit.ly/3jE9K0I

Euthanasier, un devoir aussi

Pour le Comité, l’acte d’euthanasie n’est pas qu’une affaire personnelle, et il rappelle que cela peut être une obligation réglementaire, par exemple lors de maladies contagieuses. Dans ce cadre, le vétérinaire réquisitionné par les pouvoirs publics pourra toujours refuser de pratiquer l’euthanasie en arguant un motif légitime, notamment il pourra citer l’article R. 242-48 du code de déontologie qui prévoit une clause de conscience1. Mais le Comité juge que ce n’est pas recevable : « Nous estimons que le vétérinaire a le devoir de privilégier l’intérêt collectif, et en premier lieu la santé publique, par rapport à l’intérêt individuel d’un animal. »

1 Si un vétérinaire peut effectivement refuser de pratiquer l’acte d’euthanasie du fait d’un motif « légitime », cette notion de légitimité restera toujours à l’appréciation finale d’un juge.