DOSSIER
FORMATION
Auteur(s) : CHANTAL BÉRAUD
ACTEURS ESSENTIELS DE LA DÉFENSE DU BIEN-ÊTRE ANIMAL DANS SON ENSEMBLE, LES PROFESSIONNELS DE SANTÉ VÉTÉRINAIRE ET LES MEMBRES DU MILIEU ASSOCIATIF NE PEUVENT MENER DES ACTIONS EFFICACES QUE S’ILS RECONNAISSENT L’UTILITÉ ET LA QUALITÉ DE LEUR TRAVAIL RESPECTIF. ŒUVRER ENSEMBLE EST LA CLÉ. MAIS, EN CANINE, Y PARVIENNENT-ILS SUR LE TERRAIN ?
Où en sont aujourd’hui les relations entre les vétérinaires canins et les associations de protection animale1 (APA) ? « Leurs rapports se sont améliorés depuis ces dernières années, même si leurs relations ne sont pas encore toujours cordiales ! Les APA en France continuent en effet parfois d’être confrontées à un manque de soutien de la part des écoles vétérinaires et des praticiens. Prenons un exemple : contrairement à la réglementation, les vétérinaires acceptent de stériliser les chats sans les identifier. Conséquence pratique : quand des chats non identifiés arrivent dans les fourrières ou les refuges des APA, cela complique leur gestion et cela peut malheureusement conduire à des euthanasies inutiles », témoigne anonymement un observateur des deux parties.
Laurent Perrin, président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral, reconnaît que « les relations entre vétérinaires et les APA n’ont effectivement pas toujours été au beau fixe ! » Néanmoins, nuance-t-il aussitôt, « le témoignage cité ci-dessus est d’un autre âge… En effet, on ne peut pas ignorer l’important travail qui est réalisé actuellement, chaque jour localement, en coordination entre ces deux acteurs sur le terrain. » Quid du désaccord concernant l’identification ? « Le vétérinaire n’a pas le pouvoir d’imposer l’identification, argumente Laurent Perrin. Le praticien peut donc la conseiller et la promouvoir, mais la décision finale reste celle du propriétaire auquel s’impose l’obligation d’identification. Non, franchement, cette critique n’est pas sérieuse. »
« La gestion des refuges est du ressort des APA et la participation de la profession vétérinaire dans le suivi des populations hébergées ne pose en général pas de soucis », juge également Laurent Perrin. « Cependant, observe-t-il, permettre l’accès aux soins aux animaux détenus par des personnes disposant de faibles moyens financiers est plus problématique et la mise en place d’une solution efficace sur le terrain a suscité des conflits par le passé. Pourquoi ne pas s’appuyer sur le réseau des 8 000 structures vétérinaires présentes sur tout le territoire plutôt qu’opter pour la création de dispensaires au fonctionnement coûteux qui ne mailleront jamais aussi bien le territoire ? Malheureusement, le modèle “Vétérinaires pour tous”, qui permettait d’apporter une solution de soins dans les cabinets et cliniques vétérinaires, n’a pas pu perdurer, par défaut de soutien possible par les collectivités territoriales. À cet égard, un réel travail de concertation pour mettre en place une solution pragmatique et efficace doit être engagé sans a priori et sans rancœur entre les APA et la profession vétérinaire, mais aussi avec les pouvoirs publics. »
Et Laurent Perrin de conclure : « Les tensions entre les vétérinaires et les APA naissent aussi de l’absence de dialogue permettant d’avoir une vision partagée de la protection animale, du rôle de chacun et de l’engagement financier de tous les acteurs. Pour parler clair, la gestion d’une structure vétérinaire est très éloignée de celle d’une APA en termes de fiscalité, de possibilité d’aide publique… Les vétérinaires font de la médecine sociale au quotidien, mais sur leurs deniers propres, ils sont les tout premiers contributeurs financiers à cette médecine. Les tarifs pratiqués en faveur de la protection animale sont en dessous des prix de revient. Cela est tout à fait méconnu et mérite d’être rappelé. »
1. Cet article est consacré aux liens entre praticiens et APA s’occupant d’animaux de compagnie. Des associations comme l’OABA (Œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs) et la LFPC (Ligue française pour la protection du cheval), reconnues d’utilité publique, qui sont présidées par des vétérinaires - respectivement Jean-Pierre Kieffer et Richard Corde -, n’ont donc pas été incluses dans cet article.
STÉPHANIE VERDU, VÉTÉRINAIRE RÉFÉRENTE DE LA SPA
Fondée en 1845, la SPA, dont le siège social est à Paris, comporte 74 sites (refuges, fourrières, Maisons SPA et 12 dispensaires de soins pour les personnes démunies1. Sa vétérinaire référente, Stéphanie Verdu, décrypte les collaborations réussies mais aussi les causes de tension qui subsistent entre APA, praticiens vétérinaires libéraux et adoptants.
Quels éléments les praticiens ont-ils encore parfois du mal à comprendre dans le fonctionnement de la SPA ?
Par absence de formation spécifique, certains praticiens s’interrogent sur la gestion des affections liées à une collectivité d’animaux, en refuge ou en fourrière. Notre situation est différente du suivi d’un élevage, où il n’y a essentiellement que des sorties… Dans nos refuges, nous sommes confrontés à un va-et-vient permanent d’entrées et de sorties, assorti d’un budget financier limité. Des épidémies peuvent parfois s’y déclarer : elles nécessitent d’être réactif, en employant de bonnes méthodologies pour être maîtrisées. Autre différence pratique à noter : parce que nous fonctionnons en collectivité, nous dépistons les chats vis-à-vis du FeLV-FIV dès 2 mois, alors que les cliniques ont plutôt l’habitude de le faire vers 5 mois. Des propriétaires peuvent aussi parfois se plaindre auprès de leur praticien, parce que l’on aurait sous-estimé l’âge de l’animal adopté, ou dissimulé ses maladies… Mais nous n’avons aucun intérêt à ce que ces choses-là soient cachées ! Au contraire, nous veillons scrupuleusement à tout bien signaler, en inscrivant même parfois des choses au conditionnel de manière à ce que l’adoptant ne se fasse pas une fausse idée de l’animal, qui pourrait au pire peut-être conduire à ce qu’il l’abandonne à son tour… Et la SPA prend en charge les maladies liées au séjour en collectivité, dans une période de 15 jours suivant l’adoption.
Justement, certains vétérinaires sont contre votre système de bons en tiers-payant, sur lesquels est inscrite une somme déjà pré-définie…
Nous en avons déjà parlé avec le Conseil national de l’Ordre vétérinaire. Le système de bon est le seul moyen qui permette à une APA de prendre en charge la stérilisation qui n’aurait pu être réalisée avant l’adoption ou une maladie liée à la collectivité qui se déclarerait chez l’adoptant dans les 15 jours suivant l’adoption. Juridiquement, rien ne s’y oppose, celui-ci dispose d’une valeur faciale (pour la libre tarification), cela permet à l’adoptant d’aller chez le vétérinaire de son choix et à l’APA d’avoir un remboursement à l’adoptant défini. Je rêverais que nous puissions nous en affranchir, mais avec 46 000 animaux recueillis, forcément, cela fait du monde à prendre en charge ! Enfin, il existe un autre type de bon différent concernant une campagne de stérilisation réalisée avec la mairie. Dans ce cas, chaque confrère est libre de décider s’il souhaite y participer pour les chats libres de sa commune. L’importance de ces bons est souvent surestimée, en tout cas chez nous ils n’ont représenté qu’une part infime du chiffre d’affaires versé aux libéraux en 2019.
Y aurait-il une sorte de tarif « social » à attendre d’un vétérinaire ?
Je ne sais pas si l’on doit attendre un tarif social des vétérinaires, mais cela fait partie de nos missions à la SPA ! Et c’est un travail à part entière : il faut contrôler les justificatifs de ressources, parts sociales, questionner les gens, etc., ceci afin de vérifier leur éligibilité. Même dans nos structures, les gens pensent que l’on est un service de l’État, ce qui n’est absolument pas le cas, puisque la SPA finance les dispensaires grâce à la générosité du public… En fait, ce qui pose le plus de souci, ce sont les particuliers qui prennent des animaux, sans réaliser les frais à venir et qui disent ensuite ne pas avoir les moyens de les faire soigner. Je comprends que le vétérinaire ne puisse pas assumer ces actes irréfléchis. Sans compter que ce sont aussi des animaux qui peuvent être abandonnés chez nous pour ce seul motif… C’est pourquoi, à la SPA, nous veillons réellement à faire la promotion d’une adoption responsable : on leur parle notamment des frais vétérinaires à venir. On leur recommande aussi parfois de n’avoir qu’un animal, et pas plus… Oui, vraiment, c’est une question délicate, car travaillant à la fois en refuge et dans une clinique en canine, je comprends bien la position des deux parties ! Et je sais bien que chaque vétérinaire fait de la protection animale au quotidien et a déjà fait un geste pour un client, qui était en situation réelle de précarité, geste qui ne doit effectivement pas être attendu comme un dû…
1. Liste des sites à consulter sur www.la-spa.fr
THIERRY BEDOSSA (A 89)
Vétérinaire canin à Neuilly-sur-Seine, fondateur et président d’association, administrateur de la SPA
Formons les étudiants à la médecine de refuge !
Les relations entre vétérinaires et APA sont très différentes d’un confrère à un autre ! Mais la plupart des praticiens ne connaissent pas suffisamment les réalités, les enjeux et l’environnement professionnel de ces associations. Du coup, ils ont parfois du mal à comprendre leurs attentes. En outre, APA et vétérinaires n’ont parfois pas toujours la même perception de ce qu’est la souffrance animale… Pour améliorer leurs relations, j’aimerais que les étudiants vétérinaires aient durant leur formation un stage obligatoire à réaliser au sein d’un refuge. Ils peuvent également découvrir le travail effectué dans les dispensaires, où les gens qui consultent sont souvent sans moyen financier. On ne peut pas leur demander le même niveau de médicalisation pour leurs animaux, alors que parfois ils ne se font même pas soigner eux-mêmes ! Les APA sont justement faites pour conseiller de telles personnes. Quant aux praticiens libéraux, ils sont libres de choisir leur niveau de participation. Personnellement, dans ma clinique, je n’ai jamais euthanasié un animal qui ne méritait pas de l’être. J’aime tellement avoir un mode d’exercice qui a « de l’âme » que j’ai même fondé en parallèle un refuge dont je m’occupe depuis vingt ans. Nous avons la chance de vivre dans un pays où il existe de nombreuses APA, nous pouvons donc œuvrer en bonne intelligence pour porter ensemble assistance aux animaux abandonnés…
Fondé en septembre 2019, le Comité de liaison Associations de protection animale et vétérinaires (CLAPAV) est né de l’ambition de créer un lieu d’échange entre les APA et les différentes acteurs de la profession vétérinaire. « C’est un vrai changement de positionnement. Son but est de permettre d’élaborer des projets communs. Mais ceux-ci ne verront le jour que dans une ambiance de compréhension mutuelle et d’objectifs partagés. La vision de la protection animale doit être empreinte d’empathie pour l’animal et pour son propriétaire, sans sentimentalisme, anthropomorphisme ni militantisme animaliste », estime Laurent Perrin, président du SNVEL.
« Nous travaillons de plus en plus avec les écoles nationales vétérinaires (ENV) pour sensibiliser leurs étudiants aux problématiques de la gestion d’un refuge, témoigne Stéphanie Verdu, vétérinaire référente de la SPA. Les ENV sont réceptives et de beaux projets voient le jour. Nous espérons aussi que la médecine de refuge puisse s’épanouir avec une médecine « préventive et de collectivité », plutôt qu’avec une médecine simplement « d’élevage ». Aux États-Unis, c’est d’ailleurs une discipline à part entière, alors qu’en France nous manquons d’études sur le terrain… Par ailleurs, j’aimerais que les APA et les vétérinaires puissent se rencontrer plus souvent, pourquoi pas grâce à des journées d’échange organisées avec l’aide des conseils régionaux de l’Ordre ? Pour les praticiens déjà installés, nos portes leur sont également ouvertes. Il leur est possible de nous donner du temps en bénévolat, même à distance (par exemple, réflexion sur des fiches de protocole). Enfin, nous avons des postes de salariés vétérinaires à pourvoir1. »
1. Pour en savoir plus, écrire à s.verdu@la-spa
« La cause de la protection animale est trop importante et tient trop à cœur des vétérinaires et des APA pour être le motif de concurrence, d’affrontement ou d’invectives stériles, qui ne peuvent que la desservir… »
© SPA
SABINE ARBOUILLE (T 99)
Vétérinaire canine à Mont-de-Marsan (Landes)
APA, respectez-nous !
Je trouve qu’il est parfois très compliqué de faire respecter la législation aux APA. Un classique : il nous est interdit d’être payé par des bons d’associations, donc en tiers-facturé, pour un animal déjà adopté. Par ailleurs, certaines APA font identifier au nom du futur adoptant, ou ne font pas faire de certificat avant cession… Enfin, nous sommes de plus en plus sollicités : parfois 2 à 3 APA par mois nous demandent de travailler avec elles, à prix coûtant, voire même à la limite gratuitement… Si on accepte, on est super. Mais si on refuse, on devient immédiatement le vilain vétérinaire qui ne pense qu’au fric ! En juin, nous avons annoncé aux APA de la clientèle que les remises ne dépasseront plus 20 %. Depuis, nous avons reçu deux lettres anonymes injurieuses et diffamatoires, selon lesquelles nous serions la honte de notre profession…
Stop à la culpabilité
Mais notre profession justement n’est pas responsable, entre autres, de la prolifération des chats ! Quand une APA ose fixer ses prix (!) à 35 € la castration, et 65 € l’ovariectomie, en trouvant ça « cher payé », je rappelle que ce serait offrir le temps chirurgical, et qu’il y a d’autres frais à assumer… Est-ce qu’on demande à son garagiste de pratiquer un tarif social ? Au vétérinaire, un propriétaire n’hésite pourtant pas à rétorquer : « C’est trop cher, Docteur, je ne peux pas le soigner, s’il meurt, ce sera de votre faute. » Et bien non, arrêtons le surf sur la culpabilité, je leur dis que s’il meurt, ce sera de la faute de celui qui ne le fait pas soigner… J’ai expliqué récemment à une présidente d’APA que je comprenais que les 3 000 € par an elle les avait payés, mais que ce n’était pas notre bénéfice ! On en est là…
Un propriétaire a aussi des devoirs
J’en ai également assez d’entendre : « Docteur, j’ai le droit de prendre un cinquième chat ! » quand la personne n’a pas les moyens d’en entretenir convenablement un seul… Il faut responsabiliser certains adoptants, en les rendant conscients qu’ils auront ensuite des frais à assumer… Les vétérinaires n’ont pas attendu les APA pour faire des gestes envers les indigents, c’est même notre quotidien discret… Mais je dis stop aux abus et aux agressions subis par les vétérinaires, aux incivilités des propriétaires de plus en plus irresponsables et irrespectueux. Il faut leur rappeler qu’ils n’ont pas que des droits, mais aussi des devoirs à assumer envers leurs animaux… Le bien-être animal a un coût, individuellement et pour la société. Ce n’est pas aux vétérinaires de le prendre en charge.