CELLULES SOUCHES, ENTRE AVANCÉES ET INTERROGATIONS - La Semaine Vétérinaire n° 1871 du 16/10/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1871 du 16/10/2020

THÉRAPIE CELLULAIRE

PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC

Auteur(s) : TANIT HALFON

Si les promesses de la thérapie cellulaire par cellules souches sont grandes pour la médecine des carnivores domestiques, développer une solution thérapeutique reste complexe et engendre encore beaucoup de questionnements.

Le sujet de la thérapie cellulaire est aussi complexe que les promesses des cellules souches sont grandes. Si elle se développe en médecine des carnivores domestiques, en particulier pour l’arthrose, à ce stade, il reste encore bien plus de questions que de réponses, explique Caroline Boulocher (HDR, PhD, DMV), enseignantechercheuse en anatomie à VetAgro Sup. « Nous manquons encore d’études avec un niveau de preuves su sant, qui compareraient l’effet des cellules souches suivant leur origine, ou leur effet versus un médicament de référence ou un placebo, ou encore différents protocoles thérapeutiques entre eux », indique-t-elle. En fait, ce qui peut être affirmé est que « le consensus scientifique dit que les cellules agissent de façon différente selon leur tissu d’origine, la méthode de prélèvement, les procédés utilisés en laboratoire, l’environnement de destination, l’âge du sujet mais aussi selon la quantité injectée et la voie d’administration. » Toute la difficulté résulte du fait que ces cellules sont des produits vivants : « On peut les voir comme une famille thérapeutique plutôt qu’un produit », souligne l’enseignante.

Des recherches à poursuivre

Actuellement, on sait que le mécanisme d’action mis en jeu pour un usage en clinique repose surtout sur la capacité d’immunomodulation des cellules souches, plutôt que sur leur capacité de régénération et de remplacement des tissus. Avec quelques degrés de complexité en plus. « Pour l’arthrose, le mécanisme d’action va dépendre du stade et du type d’arthrose et même peut-être de la race du chien », indique Caroline Boulocher. Elle ajoute : « On sait par exemple que dans un contexte trop inflammatoire, on perd en potentiel de différenciation et de multiplication. » Ces questions sont mises en exergue dans deux récents articles1 de synthèse qui ont été publiés en coude à coude au printemps dernier. Il y est souligné que les propriétés des cellules souches varient suivant leur origine. Par exemple, des études sur les cellules souches canines du tissu adipeux montrent qu’elles auraient un plus grand potentiel de prolifération que celles issues de la mœlle osseuse, lesquelles auraient plus de capacité de sécrétion de facteurs solubles et d’exosomes. Ce potentiel serait même dépendant de la localisation du tissu adipeux prélevé. Il n’est pas possible non plus d’affirmer quelle source serait la plus intéressante pour telle affection. À ce sujet, Caroline Boulocher rappelle que tous les cas d’arthrose ne se ressemblent pas et qu’il est donc possible qu’un type de cellules souches soit adapté à un cas précis et pas un autre… et que cela puisse varier dans le temps, au fil de l’évolution du phénomène arthrosique.

Autologue vs allogénique

Se pose aussi la question de la différence entre cellules autologues, qui proviennent du sujet traité, et cellules allogéniques, qui proviennent d’un autre individu de la même espèce. Si les cellules allogéniques ont l’avantage d’être disponibles rapidement, et d’amener à une plus grande homogénéité dans le traitement et donc potentiellement dans l’effet obtenu, la question de l’innocuité reste encore à travailler, même si les résultats d’études sont plutôt positifs. De leur côté, l’effet des cellules autologues varie avec l’âge et le sexe du sujet, mais aussi la maladie qu’il présente.

Dans les deux publications, il est clairement indiqué que d’autres travaux de recherche sont à poursuivre pour a ner la compréhension du mécanisme d’action, et évaluer l’e cacité et l’innocuité de ces nouvelles thérapeutiques. Caroline Boulocher précise : « En médecine humaine, beaucoup d’études ne montrent pas d’effets secondaires à long terme. En médecine vétérinaire, on peut retrouver des réactions locales, mais cela reste rarissime et c’est transitoire ; il manque d’études à long terme. » Et elle prévient : « Ma crainte est que cette thérapie se développe trop vite, avec le risque d’avoir mauvaise presse. Il reste encore beaucoup d’incertitudes, il faut prendre le temps de réaliser des études cliniques dans les règles de l’art. »

L’exemple de Vetbiobank

Du côté des entreprises du secteur, les difficultés n’empêchent pas d’avancer, et la start-up Vetbiobank est un bon exemple2. Après des premiers développements favorables en équine, la start-up vise maintenant le marché des carnivores domestiques, et la prochaine étape est d’obtenir une autorisation de mise sur le marché (AMM), devenue obligatoire pour les thérapies à base de cellules souches avec le nouveau règlement sur le médicament vétérinaire. Dans ce contexte, le laboratoire a eu une première levée de fonds de 1 million d’euros en 2019 et vise une deuxième de 7 millions en 2021. Il a également obtenu la première autorisation d’ouverture d’un établissement pharmaceutique vétérinaire dédié aux thérapies cellulaires en France. « Cela va nous permettre de finaliser le développement de notre premier médicament contre l’arthrose du chien, Canipren, avec l’obtention d’une AMM pour 2023 », explique son président Stéphane Maddens. Aujourd’hui, la start-up en est au stade des validations cliniques. S’il admet qu’il est difficile d’atteindre le niveau maximal de preuves fondé sur des études randomisées en double aveugle, « nous avons un niveau de preuves su sant pour être accepté par les autorités réglementaires ». En effet, en médecine vétérinaire, recruter des « patients » est plus complexe qu’en médecine humaine, ce qui limite la possibilité d’études avec de grande cohorte, mais aussi d’études comparatives traitement versus placebo, rallongeant finalement la durée des recherches. Ce travail a demandé plusieurs années de recherche, avec notamment une collaboration avec le campus vétérinaire de VetAgro Sup, associé à une récente montée en puissance de la structure dans le respect des bonnes pratiques de fabrication. « Aujourd’hui, des tendances se profilent. Une première étude clinique randomisée en double aveugle sur des chiens ayant subi une TPLO [pour tibial-plateau-leveling osteotomy, ostéotomie de nivellement du plateau tibial, NDLR] montre que nos cellules souches d’origine néonatale pourraient remplacer les AINS, avec des effets notables sur la douleur et la mobilité. Une deuxième étude a concerné des chiens en impasse thérapeutique. Un traitement avec cellules souches a permis de réduire la dose de médicaments type AINS ou tramadol, avec un effet visible jusqu’à un an. »

Thérapeutique innovante

Les affections articulaires ne sont pas les seules applications possibles pour la thérapie par cellules souches et presque tous les systèmes organiques pourraient être concernés – maladies rénales, hépatiques, cardiaques, digestives… « Avec les cellules souches, on vise les maladies inflammatoires chroniques avec une composante immunitaire », précise Stéphane Maddens. Sa start-up travaille ainsi sur d’autres projets : « Nous avons terminé une étude pilote sur la gingivostomatite féline, incluant 10 chats réfractaires au traitement conventionnel. Après une administration de cellules souches par voie intraveineuse, les premiers résultats sont positifs chez quasiment tous les chats, une deuxième étude va suivre. Si nous ne pouvons pas encore à ce stade expliquer complètement les mécanismes mis en jeu, une hypothèse est que les cellules souches peuvent avoir une action plus distante au niveau des ganglions lymphoïdes participant à la réaction immunitaire locale. » Une autre étude clinique est également en cours sur la dermatite atopique du chien avec des résultats attendus pour 2021. Au final, s’il faut rester vigilant sur les niveaux de preuve, les avancées dans ce domaine sont profitables à la médecine vétérinaire, souligne Caroline Boulocher : « L’innovation est une opportunité pour le clinicien dans les domaines où il y a peu de solutions thérapeutiques, et il peut participer à la recherche en intégrant des études cliniques. En combinant les connaissances des cliniciens et des chercheurs, je pense que nous saurons appliquer ces thérapies de façon optimale. »

1. www.bit.ly/3liRzxM et www.bit.ly/3d9AS4X

2. En France, d’autres entreprises sont sur le marché des cellules souches, comme StemT ou Scarcell Therapeutics.

PLUSIEURS TYPES DE CELLULES SOUCHES

Par définition1, les cellules souches sont des cellules indifférenciées capables de s’autorenouveler indéfiniment et de se différencier en plusieurs types cellulaires. En médecine humaine, les cellules les plus utilisées dans les travaux de recherche sont les cellules souches mésenchymateuses (CSM), du fait de leur facilité de collecte et de l’absence de considérations éthiques pour les utiliser en comparaison avec les cellules souches embryonnaires. On les trouve chez l’adulte dans le tissu adipeux, la mœlle osseuse, les muscles… et dans les annexes fœtales (placenta et cordon ombilical). À la différence des cellules souches embryonnaires qui peuvent donner n’importe quel type cellulaire (cellules souches pluripotentes), elles ne peuvent se différencier qu’en un nombre limité de cellules (multipotentes). En médecine vétérinaire, ce sont également ces CSM qui sont exploitées. Enfin, il existe les cellules pluripotentes induites (IPS pour Induced pluripotent stem cells) qui sont des cellules adultes reprogrammées en cellules pluripotentes grâce à des techniques de génie génétique. Cette nouvelle voie thérapeutique fait partie des thérapies dites innovantes, et en humaine on parle de médicaments de thérapie innovante (MTI).

1. www.bit.ly/2GBcpK9