CHAÎNES ET RÉSEAUX : PYGMALIONS OU SIRÈNES ? - La Semaine Vétérinaire n° 1871 du 16/10/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1871 du 16/10/2020

ÉVOLUTION DE LA PROFESSION

ANALYSE

Auteur(s) : MARINE NEVEUX

Chaînes et réseaux de cliniques vétérinaires fleurissent dans l’Hexagone ces derniers mois. À l’aube de 2021, la courbe exponentielle de cette nouvelle tendance pourrait-elle perdurer ? Quelles en sont les promesses ? Les atouts ? Et quelles craintes génére-t-elle ? Comment se profile le « jour d’après » sur le territoire ?

Chaînes et réseaux vétérinaires : le new deal ? » était le thème de tables rondes des universités du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL) organisées en format digital le 2 octobre. Un succès comme en témoignent les plateaux diversifiés des intervenants, et les réactions des internautes au fil des conférences. Le sujet ne laisse pas de marbre, et l’évolution croissante en France des chaînes et réseaux suscite de l’intérêt, des questions, mais aussi des craintes. « C’est un phénomène mondial, récent et en forte augmentation », démontre Lucile Frayssinet, consultante pour le cabinet Phylum. « C’est un phénomène irréversible. Les cliniques qui sont dans des groupes ne redeviendront pas indépendantes. Mais irréversible ne veut pas dire irrésistible », poursuit-elle. « Il y a toujours de la place pour les indépendants. » Les groupes se sont développés de façon assez tardive en France, et fortement depuis les 5 dernières années.

Atouts, questions, craintes

Difficile de comparer les chaînes et les réseaux de cliniques vétérinaires les uns aux autres, tant les structures, les modes de fonctionnement et la philosophie peuvent être variés. Côté chaînes et réseaux, le message affiché est la promesse de préserver l’indépendance professionnelle du vétérinaire et son épanouissement. Côté confrères septiques, se pose la question de la valeur ajoutée qu’apportent ces groupes en tant qu’investisseur. Les groupes estiment répondre à une aspiration de la profession : se focaliser sur son art, la sécurité, la pérennité de l’exercice. Cela n’éteint pas les inquiétudes soulevées sur la responsabilité, la rémunération, la retraite « tu perds ton âme quand tu n’es plus responsable de ta philosophie de travail, de la gestion notamment RH, de ton image auprès de ta clientèle », déclare un confrère libéral.

Alors ceux qui s’y engagent sont-ils sous l’aile bienveillante d’un pygmalion ou cèdent-ils au chant des sirènes ?

Groupe et indépendance des vétérinaires

Quelle est la capacité des chaines et réseaux groupe à préserver l’indépendance professionnelle ? Pour Julien Flori (Chêne vert Conseil) : « nous travaillons avec une marque unique, donc c’est important que les vétérinaires interviennent avec le même protocole. » « Nous n’avons pas de marque grand public, ainsi les vétérinaires et les cliniques gardent leur façon de travailler » ajoute Patrick Govart (Directeur d’AVC evidesia France). Il ajoute que « les vétérinaires qui nous rejoignent jouissent d’une bonne indépendance financière. L’actionnaire minoritaire que nous sommes a un droit de regard sur les investissements. » Pour Jean-Jacques Bynen d’Univet, « Je suis associé, vétérinaire praticien et administrateur d’Univet. On est attaché à une indépendance financière et stratégique. Les vétérinaires sont majoritaires en capital et droit de vote. L’actionnaire ne demande pas de dividende mais accompagne la clinique dans son développement. » « L’indépendance du vétérinaire chez VetOne est respectée philosophiquement. Elle est structurellement protégée : VetOne est minoritaire dans les sociétés inscrites à l’ordre et présidée par les vétérinaires » témoigne Steve Rosengarten. Pierre Tardif, directeur général France d’Arnicura, explique que « l’indépendance professionnelle ne peut être que totale. Cela ne veut pas dire que l’on ne sait pas faire des échanges de bonnes pratiques. »

« Quelle valeur ajoutée apportez-vous en tant qu’investisseur de groupe par rapport à une structure vétérinaire qui fonctionne bien ? », rétorque aux intervenants de la table ronde Christophe Hugnet, un des fondateurs du collectif vétérinaire Sévif (structures et établissements vétérinaires indépendants de France). « Cela répond à une aspiration », renchérit Steve Rosengartner, « les vétérinaires dans la majorité préfèrent se focaliser sur leur art ». Et Christophe Hugnet pondère aussi « Les vétérinaires exerçant restent responsables de leurs actes, la gestion dans l’immédiateté reste dévolue à ceux qui sont dans les structures, il faut nuancer le caractère miraculeux d’être en groupe. »

Quel apport des groupes à la vétérinaire ?

Pour répondre à cette question, Éric Souetre, président de Qovetia, arrivé en avril 2020 sur le marché vétérinaire français, s’exprime : « Le principe du groupe est attirant pour la relative sécurité, les perspectives d’évolution au niveau régional, national voire européen, et le choix de sa pratique. Il y en a qui veulent rester plutôt salariés, d’autres souhaitent être entrepreneurs et même avoir d’autres métiers au sein du groupe. » Libéral et réseau sont-ils pour autant aux antipodes ? Non, « c’est considéré l’essence même de notre métier de vétérinaire que d’être libéral », déclare Laurent Faget, associé co-gérant de VPlus. Rodolphe Mérand, secrétaire général du réseau Cristal explique « qu’un groupe peut permettre aux vétérinaires de se recentrer sur leur art et de se concentrer sur leur projet. » Nicolas Girard, directeur médical de Mon Véto, explique que c’est aussi le « choix de vétérinaires de ne plus être isolés et de déléguer une partie des taches administratives pesantes. » Pour Vincent Parez, directeur général de Vetpartners, « la grande chance des réseaux c’est d’ouvrir un champ des possibles phénoménale pour les vétérinaires quel que soit leur âge. »

Mesurer les impacts

Alors tout est vision angélique ? Pierre Buisson, ancien président du SNVEL, tempère et s’inquiète de l’eff et sur le maillage territorial. Il soulève aussi la question de la rémunération globale des vétérinaires. De plus, « la concentration va aboutir à une augmentation encore du salariat, cela va modifier les systèmes de retraite. ». Enfin « comment pourriez-vous contribuer à la défense de la profession quand elle sera menacée ? », lance t-il tout de go aux intervenants.

La profession ira t-elle irrémédiablement vers cette tendance ? La profession n’est elle pas plutôt amenée à être faite de toute cette diversité ? L’esprit indépendant et libéral a sa place ! en témoignent les commentaires des consœurs et confrères (voir encadré). Laurent Perrin, président du SNVEL, invite à poursuivre la réflexion à toutes les étapes de la carrière. « Il va falloir aller regarder dans d’autres professions qui ont subi ces transformations et nous devons collectivement essayer de mesurer les impacts. »

Témoignages d’internautes

« Comment s’assurer d’une véritable éthique dans chacun des groupes ? Je rebondis sur l’éthique des groupes qui développent des structures low cost à proximité de leur grosse clinique… Confraternité ? Qu’en pensez vous ? Opportunité commerciale ? »

« Rien n’empêche un groupe de structures vétérinaires de mutualiser les fonctions supports, formations, investissements sans capitaux extérieurs, en préservant leur indépendance et en gardant la valeur ajoutée sans la redistribuer aux investisseurs. Aujourd’hui, la rémunération des vétérinaires n’est pas à la hauteur de leur formation et de leur travail, autant garder le capital et sa rémunération au sein de la profession.

« L’investisseur va ponctionner une partie du bénéfice dégagé par le professionnel, donc ce dernier a tout intérêt à faire grossir son résultat. La question est : pourquoi ne pas se passer de cet investisseur pour rester seul bénéficiaire de sa valeur ajoutée ? Est ce une question de manque de vocation d’entrepreneur chez les jeunes diplômés ? »