MÉDECINE VÉTÉRINAIRE ET SOLIDARITÉ INTERNATIONALE : ENTRE RÉUSSITES ET OBSTACLES - La Semaine Vétérinaire n° 1871 du 16/10/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1871 du 16/10/2020

DOSSIER

Auteur(s) : CHANTAL BÉRAUD

ACCOMPAGNER DES PAYSANS-ÉLEVEURS, LUTTER CONTRE LA MALTRAITANCE ANIMALE OU ENCORE ENCOURAGER À L’INTERNATIONAL LA MISE EN ŒUVRE DU CONCEPT ONE HEALTH, CES ACTIONS FONT PARTIE DU QUOTIDIEN DES VÉTÉRINAIRES IMPLIQUÉS DANS L’ACTION HUMANITAIRE. QUELS SONT LES SUCCÈS OU DIFFICULTÉS RENCONTRÉS DANS LA PROMOTION DE L’ACCÈS AUX SOINS ET LA SENSIBILISATION AU BIEN-ÊTRE ANIMAL ? FOCUS SUR LES ENGAGEMENTS D’AGRONOMES ET VÉTÉRINAIRES SANS FRONTIÈRES ET DE L’ASSOCIATION SPANA.

Au Mali, au nord de Tombouctou et de Gao, des populations nomades traditionnelles vivent de l’élevage transhumant, dans des zones isolées aux dures conditions de vie : absence de services nationaux de santé, manque d’opérateurs privés vétérinaires, présence de groupes djihadistes et séparatistes… Pour leur permettre d’avoir accès aux soins, l’association Agronomes et vétérinaires sans frontières (AVSF) a mis en place un dispositif itinérant. Ce sont donc cinq caravanes mobiles de santé mixte – humaine et animale – qui partent régulièrement à leur rencontre. En parallèle, cinq centres communautaires fixes de santé ont également été construits pour recevoir la population, et servir de base pour les équipes mobiles.

« Docteur, soignez d’abord mon animal malade ! »

Depuis 2018, le Dr vétérinaire Willy Fekou participe à ces convois. « Nous partons avec une voiture solide, avec à bord un médecin, un vétérinaire ou un agent technicien d’élevage, une infirmière accoucheuse ainsi qu’un guide, issu de la communauté que l’on va visiter, qui donne des indications au chauff eur », témoigne-t-il. « Généralement, poursuit-il, le vétérinaire stoppe à proximité des puits où les animaux sont en train de s’abreuver. Le médecin et l’infirmière ont, eux, rendezvous dans une sorte de caravane pré-installée. C’est en soirée que nous nous retrouvons pour parler de ce qui s’est passé durant notre journée. » En effet, la proximité homme-animal liée à l’élevage nomade itinérant favorise la survenue de diverses zoonoses, qui nécessitent donc de croiser les informations de santé tant humaine qu’animale. « Par exemple, explique Willy Fekou, si nous sommes en présence de diarrhées, il faut vérifier s’il y a des modes de contaminations croisées… Ou si une vache ou une brebis a la gale, l’éleveur peut l’attraper si les mesures d’hygiène ne sont pas bien respectées. Il y a aussi parfois des cas de tuberculose qui apparaissent. »

Des animaux de rente, indispensables pour survivre

Ces nomades ont de manière prédominante des ovins, des caprins et des dromadaires. Ensuite, viennent les cheptels d’ânes et de bovins. Hommes et bêtes vivent au quotidien dans des zones pastorales soumises à des variations de température importantes très élevées. À quoi leur servent ces animaux ? « Ces populations vivent du troc, indique Willy Fekou. Par exemple, la vente d’un caprin leur permet d’acheter du mil. Ce troc est donc indispensable pour leur permettre de nourrir leur famille. Quand on vient chez eux seulement soigner les humains, ils nous disent : “Dr, ce qui est important, c’est mon animal là-bas qui est malade !” »

Pour les aider, AVSF a donc formé auprès de ces populations des sentinelles issues de ces localités, qui remontent régulièrement à leurs équipes des informations sur la sécurité alimentaire. « Nous avons également formé parmi les éleveurs des auxiliaires communautaires de santé animale (ACSA) qui ont appris à détecter quelques signes qui trahissent l’apparition de certaines maladies : ils jouent donc un rôle sur place d’épidémiosurveillance, ajoute Willy Fekou. Et à force de travailler ensemble dans ce sens depuis des années, grâce à de la prévention, les épidémies ont sensiblement diminué. »

Mais parfois, un manque de fonds…

Malgré ces résultats positifs, Willy Fekou est soucieux : « Cette année, le problème est malheureusement d’ordre financier. Normalement, chaque mois de décembre, nous menons des campagnes de vaccination au Dermapox, qui permettent de lutter contre deux maladies, qui sont la clavelée chez les petits ruminants et la DNCB (dermatose nodulaire contagieuse bovine). Mais les fonds de l’Union européenne risquent de nous manquer, puisque chaque année il faut réécrire les projets pour être sélectionné et donc en bénéficier à nouveau… Je suis inquiet, car si nous n’obtenons pas cette aide financière, cela va rendre le pays de nouveau vulnérable face à ces deux maladies, qui sont malheureusement endémiques ici. »

Que peuvent faire les vétérinaires français pour leur venir en aide ? « S’ils font un don à AVSF, cela permettra de garder notre capital de suivi en matière de couverture vaccinale et nous pourrons continuer à renforcer nos formations de techniciens de santé et d’éleveurs relais », se prend à rêver tout haut Willy Fekou…

Objectif : promouvoir une approche One Health sur le terrain

AVSF agit principalement grâce à 80 % de subventions publiques, dont la moitié émane de l’Agence française de développement, et environ 40 % de l’Union européenne. Elle emploie 235 salariés de par le monde, dont 85 % sont locaux, et s’appuie essentiellement sur des techniciens d’élevage et des agents communautaires de santé animale (ACSA) que l’association a elle-même formés et qu’elle assiste sur le terrain de ses opérations. « De ce fait, nous avons peu de personnel expatrié », poursuit le Dr vétérinaire Manuelle Miller, chargée du programme Élevage, santé animale et santé publique vétérinaire. Et d’ajouter : « À notre siège social de Lyon, nous sommes 3 vétérinaires : moi, j’exerçais auparavant en santé publique vétérinaire. Notre directeur technique adjoint, Hervé Petit, est un ancien praticien en rurale, puis salarié de GDS. Quant au Dr Stefano Mason, de nationalité italienne, il a un parcours principalement centré sur des projets de coopération internationale. » « Notre spécificité dans le cadre de l’approche One Health, ajoute Manuelle Miller, est la promotion sur le terrain d’un modèle de développement basé sur une approche qui englobe réellement la santé humaine, animale et environnementale. Concrètement, cela signifie que nous n’allons pas nous intéresser uniquement à un problème de zoonose ou d’antibiorésistance. Nous allons chercher dans le même temps à protéger durablement les ressources naturelles et la biodiversité, en coordination avec des populations elles-mêmes actrices. »

Des actions courageuses dans le champ du possible…

Outre un budget forcément compté, quels sont les autres obstacles auxquels l’association se trouve couramment confrontée ? « Nous intervenons là où les moyens médicaux tant humains que vétérinaires sont souvent limités : sur certaines zones, il n’y a presque pas de vétérinaire privé, seulement des vétérinaires d’État en nombre restreint… D’où la nécessité de mettre en place nos ACSA, qui sont notamment formés à la détection des maladies, au diagnostic et à la bonne prescription des médicaments. Une autre limite est celle liée aux risques politiques et sécuritaires : l’un de nos collègues vient d’être assassiné au Guatemala… C’est aussi pourquoi nous nous sommes associés à plusieurs ONG locales, par exemple au Niger et au Mali, afin d’y poursuivre notre travail », conclut-elle avec courage.

AVEC QUELS CHANGEMENTS DE MENTALITÉ À LA CLÉ ?

Comment est-il possible de rendre des paysans-éleveurs acteurs de leur propre changement ? « Au Cambodge, par exemple, où il y a un gros problème de maladie de Newcastle dans les basses-cours, les populations sont immédiatement convaincues quand, après une première campagne de vaccination, elles en constatent l’efficacité ! », argumente avec conviction Manuelle Miller, chargée du programme Élevage, santé animale et santé publique vétérinaire d’AVSF. Et d’ajouter : « Avoir entre 85 à 90 % de taux de mortalité, puis seulement 5 % grâce à la campagne de vaccination, ça change tout ! » Mais concernant d’autres changements d’habitudes, elle reconnaît que le succès est lié aussi à la présence d’une ou plusieurs personnes clés dans la communauté, qui se comportent comme des leaders positifs.

LES PRATICIENS VÉTÉRINAIRES FRANÇAIS PEUVENT AUSSI AIDER…

Les praticiens peuvent s’abonner à la revue trimestrielle Habbanae (depuis www.avsf.org), qui récapitule les actions menées par AVSF. Un soutien financier complémentaire peut être apporté en adhérant à l’association ou en lui adressant un don. Il est aussi possible aux cliniques d’envoyer à AVSF des microdons de clients via leurs terminaux de paiement bancaire1.

1. En savoir plus auprès de Claire Benisti : c.benisti@avsf.org

LE COVID-19 MET EN DANGER LES ANIMAUX QUI TRAVAILLENT !

Malgré des difficultés accrues liées à la pandémie du Covid-19, toutes les cliniques de l’association SPANA sont encore ouvertes, même si c’est parfois avec une activité réduite due à des restrictions de déplacement, de rassemblement, etc. Dix programmes d’urgence ont été mis en place pour prodiguer des soins, mais également aujourd’hui pour nourrir ces animaux qui sont eux aussi privés de travail. Dont tous ceux d’ordinaire employés dans l’activité touristique ! L’association SPANA s’occupe notamment de cas d’animaux de travail actuellement abandonnés, que leurs propriétaires n’ont malheureusement plus les moyens d’entretenir…

SPANA, L’ASSOCIATION QUI VIENT EN AIDE AUX ANIMAUX QUI TRAVAILLENT

En 2019, l’association SPANA1 a eff ectué 458 046 traitements vétérinaires lors de projets qui se déroulent dans plus de 25 pays, auprès de toutes les espèces d’animaux qui travaillent : chevaux, ânes, mules, chameaux, éléphants et bœufs. Le Dr Ben Sturgeon, directeur des programmes vétérinaires, explique que « ces traitements sont délivrés soit par des vétérinaires, soit par des para-vétérinaires sous contrôle vétérinaire dans des hôpitaux qui fonctionnent 24 h sur 24. Et pour les zones très difficiles d’accès, des soins transitoires peuvent aussi être donnés par du personnel local que nous avons formé ». La plupart des animaux souff rent de blessures survenues lors de leur travail, en raison de mauvaises conditions d’attelage ou de chargement. Les infections respiratoires ainsi que les douleurs abdominales sont également très fréquentes. Et Ben Sturgeon d’ajouter : « Nous voyons aussi des blessures provoquées par des accidents de chantier, des accidents de la route, des chutes, des attaques d’animaux sauvages… Nous aidons alors les propriétaires à avoir accès à divers soins gratuits. Nous les formons à faire de la médecine préventive pour leurs animaux. Enfin, dans nos cliniques, nous traitons également des problèmes de santé annexes, concernant par exemple la présence de parasites, des maux de pieds ou de dents. Il arrive même que certains animaux passent plusieurs semaines d’hospitalisation dans nos hôpitaux vétérinaires. » Enfin, l’association mise aussi beaucoup sur l’éducation des enfants, afin qu’ils deviennent demain des propriétaires responsables, capables de bien s’occuper de leurs animaux, dans un esprit d’empathie.

1. Pour en savoir plus ou aider SPANA, se rendre sur www.spana.org

POURQUOI PARTICIPEZ-VOUS À LA CAMPAGNE D’AVSF « MON VÉTO EST UN HÉROS » ?

DU 15 JUIN AU 30 AOÛT 2020, AVSF A LANCÉ SA DEUXIÈME CAMPAGNE ANNUELLE DE COLLECTE SOLIDAIRE, AUJOURD’HUI INTITULÉE « MON VÉTO EST UN HÉROS », ANCIENNEMENT « VACCINEZ POUR L’AFRIQUE ». SON PRINCIPE : REVERSER À L’ASSOCIATION UN MONTANT MINIMUM DE 0,50 € PAR VACCIN RÉALISÉ. EN 2019, 17 CLINIQUES FRANÇAISES PARTICIPANTES AVAIENT AINSI PU COLLECTER 3 300 € POUR L’ASSOCIATION

TÉMOIGNAGE

CHRISTOPHE BLANCKAERT (LYON 1991)

Vétérinaire canin à Boulogne-sur-mer (Pas-de-Calais)

J’ai réussi à leur donner un chèque de 292 €

J’ai entendu parler d’AVSF pour la première fois quand j’étais étudiant à l’école vétérinaire. Quand on est jeune, forcément une action de leur genre interpelle, on a souvent envie de voyager. Mais maintenant que je suis installé, c’est plus délicat… Je me suis donc engagé à leurs côtés en soutenant leur campagne intitulée « Mon véto est un héros ». Dans ma clinique, où je travaille en solo avec deux ASV, du 15 juin au 30 août, j’ai donc prélevé 1 € pour AVSF sur chacun des 292 actes de prévention que j’ai facturés, ce qui me permet donc de leur reverser au final un total de 292 euros. Je trouve en effet qu’ils conduisent dans le monde d’intéressantes missions d’utilité publique, et j’ai une sensibilité particulière pour toutes les actions qui concernent l’Afrique. Ma contribution est somme toute modeste, mais l’impact pourrait être conséquent si leur campagne était soutenue par davantage de vétérinaires. Notre profession devrait être capable de s’engager encore plus dans le soutien de telles causes qui permettent au concept de One Health d’exister réellement sur le terrain.

TÉMOIGNAGE

SÉBASTIEN BINEAU (NANTES 2009)

Vétérinaire mixte à Maiche (Doubs)

Une petite somme ici, mais très utile là-bas !

J’avoue qu’en politique internationale, je n’y connais rien, mais avec mes trois associés nous nous sentons concernés par ces populations paysannes qui vivent avec leurs animaux et qui sont notamment à la merci des catastrophes climatiques. Ici, en France, même si on souffre de la sécheresse, le lendemain, personne n’a faim, on bénéficie de la sécurité alimentaire dans l’assiette ! Et c’est quand même un peu de la faute des pays riches s’ils subissent là-bas certaines perturbations environnementales… Du coup, nous avons eu envie d’aider l’association AVSF : nous avons donc mis de la documentation pour expliquer ses actions à l’accueil de notre clinique, et nous en avons également parlé avec les éleveurs de notre clientèle. Ce sont des sujets auxquels ils sont sensibles et sur lequel on peut facilement communiquer avec eux. Sans compter que nos ASV également se sont sentis très concernés… Par ailleurs, une telle opération de solidarité ne nous coûte de notre côté pas grand-chose, compte tenu des déductions fiscales que l’on peut obtenir. Mais là-bas, l’argent récolté a un impact énorme ! Avec 100 € donnés, ils vaccinent une centaine de bovins. Au final, notre équipe est donc très heureuse de pouvoir leur reverser la somme de 350 euros.

1. AVSF estime en effet qu’un vaccin lui revient généralement à 1 €, même si ce tarif varie bien sûr un peu selon le contexte local et la nature des vaccins concernés.