DISTRIBUTION
ANALYSE
Auteur(s) : FRÉDÉRIC THUAL
Après treize années d’investissement dans la centrale d’achats Hippocampe, l’actionnaire majoritaire Covetrus jette l’éponge. L’acteur de la distribution normand vient d’annoncer une cessation d’activité pilotée et cherche une alternative pour assurer la continuité de services sur le territoire français. En veillant aux effets collatéraux pour les salariés, clients et fournisseurs.
C’est le premier gros choc post-Covid de la filière vétérinaire. Le 29 septembre dernier, Philippe Leroy, président-directeur général de la centrale d’achats Hippocampe annonce à ses salariés « son intention d’engager un processus de cessation d’activité ». « Il ne s’agit ni d’une cessation de paiement ni d’une liquidation judicaire mais d’une fin pilotée de l’activité in bonis qui se poursuit jusqu’aux périodes de Noël », précise Phillipe Leroy, président du conseil d’administration et directeur général depuis treize ans de la centrale d’achats vétérinaires Hippocampe, à Caen. Le plus petit des quatre principaux acteurs du secteur. Après avoir régulièrement injecté des fonds pour compenser les pertes accumulées depuis plusieurs années et augmenter le capital, l’actionnaire principal (98 %), le grossiste-répartiteur belge Covetrus, filiale du groupe américain éponyme (25 pays, 5 500 personnes), a préféré jeter l’éponge plutôt que d’investir une nouvelle fois massivement sur le marché français.
Dans la foulée d’un chiffre d’affaires monté à 120 millions d’euros et retombé de 82 à 60 millions d’euros entre 2013 et 2019, les pertes se sont progressivement creusées : moins 513 000 € en 2016, 1,4 million en 2017, plus d’un million par an encore en 2018 et 2019. « Les perspectives de marché ne laissent pas envisager pour un acteur de la taille d’Hippocampe un retournement et un retour à l’équilibre malgré les investissements significatifs réalisés. Si la période de la Covid n’a rien arrangé avec une diminution des achats vétérinaires, ce n’est pas le facteur déclenchant. C’est plutôt un problème structurel lié à une tension exacerbée sur les prix », précise Philippe Leroy, contraint à une « décision extrêmement difficile et douloureuse », face à des employés pour certains présents depuis quarante ans dans l’entreprise.
Créée en 1978 à Bayeux avant de venir s’installer à Caen, la centrale d’achat Hippocampe, majoritairement détenue par Covetrus depuis 2007, également représentée à Bressuire (Deux-Sèvres) et Nevers (Nièvre), dispose de trois plateformes de stockage et de logistique à Lille (Nord), Metz (Moselle) et Verneuil-sur-Igneraie (Indre). « Nous détenons des unités de stockage à Caen et Nevers, sommes propriétaires de certaines plateformes logistiques. L’activité s’interrompant, celles-ci s’arrêteront aussi mais la problématique des actifs n’est pour l’instant pas la priorité. Mon premier souci, c’est l’accompagnement maximal des équipes et de terminer au mieux l’activité pour nos clients et fournisseurs », tranche Philippe Leroy, dont l’entreprise emploie 90 personnes, parmi lesquelles une soixantaine à Caen. Suite à la présentation du projet de plan social faite aux membres du comité social et économique (CSE) d’Hippocampe, une phase de concertation de deux mois est engagée, au terme de laquelle les décisions devront être validées par la Direccte (Direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi). Un cabinet spécialisé dans la mobilité professionnelle est en charge de travailler sur les projets de reclassement des salariés pour rechercher des solutions et accompagner la mobilité géographique, la création d’entreprise ou mettre en œuvre les mesures spécifiques pour les salariés les plus âgés.
« Ce projet va au-delà des obligations légales, maintenant son contenu est l’objet de la concertation en cours avec les partenaires sociaux », assure Philippe Leroy. « Au-delà de la cessation, Hippocampe ne va pas disparaître du jour au lendemain. Les remises 2020 dues à nos clients seront versées en temps et en heure. Il y a aura aussi une continuité financière pour assurer nos engagements », souligne-t-il. Avant d’en arriver là, « il y a eu le constat que la distribution vétérinaire est un métier d’une grande fragilité où les marges sont extrêmement faibles. Ces dernières années, le marché s’est réorganisé, s’est durci, concentré, tirant les prix vers le bas. Sur un marché de volumes fortement conditionné par les prix, les plus petites entreprises sont les premières à souffrir avec plus de difficultés pour diluer leurs frais fixes et pouvoir acheter au meilleur prix avec l’ensemble des fournisseurs. Grâce au soutien de ses actionnaires qui ont injectés des sommes importantes et augmenté les capitaux propres de l’entreprise, l’activité a pu perdurer. » Signe de la difficulté du marché, aucune des recherches de repreneurs potentiel n’a abouti. « Nous nous sommes rapprochés des acteurs du marché de la distribution vétérinaire et de repreneurs potentiels en dehors du cœur de notre activité, mais aucun de ces projets n’a pu aboutir à quelque chose de concret et de viable pour Hippocampe. » Pas d’offres du tout ? « Il n’y a eu aucune offre matérialisée par un véritable engagement et un projet d’entreprise où le repreneur potentiel s’engageait pour les salariés », regrette Philippe Leroy pour qui la problématique tient à la taille d’Hippocampe et à la dynamique d’un marché français qu’il estime « très peu favorable aux entreprises de distribution ». Compréhensifs, les confrères distributeurs affichent « regret et tristesse ». La centrale Centravet n’aurait pas été approchée. Sollicité, le P.-D.G. d’Alcyon et président d’Alcyon France, Jean-Luc Mercier, a, lui, préféré décliner l’offre. « Ce n’est pas un défaut de gestion. C’est un marché qui ne laisse pas la place aux petits acteurs. Il faut vraiment avoir une taille nationale aujourd’hui », justifie Olivier Duran, directeur de la centrale d’achat concurrente Alcyon France. « L’évolution du marché vers la massification de certains acteurs a mis à mal une structure comme Hippocampe », observe-t-il.
Pour Jean-Luc Mercier, cette annonce n’est qu’une demi-surprise. « On ne peut pas perdre 20 % d’activité par an indéfiniment. » Pour lui, une reprise n’aurait été ni envisagée ni envisageable. « Reprendre une entreprise en difficulté représente des coûts importants difficilement supportables dans la période actuelle. De plus, ce projet imposerait des restructurations qui ne sont pas forcément bonnes pour l’image. Nous n’avons en tout cas pas eu à étudier ce dossier. L’annonce est intervenue il y a dix jours, ce type de démarche ne s’improvise pas en une semaine. Maintenant, la question est aussi de savoir ce que veut faire Covetrus sur la France ? Je ne les vois pas tirer un trait sur leur plus gros marché en Europe. Peut-être vont-ils ressurgir par la fenêtre », s’interroge-t-il. Les gammes de matériel médical Kruuse et Veterinary Instrumentation, distribuées par les centrales françaises, perdureront. Hippocampe, qui avait l’exclusivité de la marque de petfood Calibra pour l’Hexagone, cherche une solution pour assurer « la continuité de services » auprès de ses clients. « Nous cherchons à définir un canal de distribution alternatif pour maintenir la disponibilité des gammes Calibra en France », affirme Philippe Leroy. Cela pourrait passer par un partenariat avec un distributeur français. Avec l’une des trois centrales ? « C’est l’une des solutions, ce n’est pas la seule », glisse le président d’Hippocampe. Qui finalement soulève un certain nombre de questions que se posent les acteurs de la distribution vétérinaire en France.