OPHTALMOLOGIE
PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC
FORMATION
Auteur(s) : GWENAËL OUTTERS
CONFÉRENCIER
PHILIPPE DURIEUX, DESV d’ophtalmologie vétérinaire, praticien au CHV des Cordeliers à Meaux (Seine-et-Marne). Article rédigé d’après une conférence présentée au congrès de l’Afvac, en novembre 2019, à Lyon.
Le réflexe photomoteur (RPM) est l’un des rares examens objectifs pour explorer les voies visuelles afférentes : en réponse à une stimulation lumineuse, la pupille se contracte. Cette contraction est caractérisée en termes d’intensité et de durée.
Longtemps, les cônes et les bâtonnets ont été les seules cellules photosensibles identifiées. L’étude de souris génétiquement modifiées avait pourtant démontré que les fonctions non visuelles dépendantes de la lumière (rythme circadien, sécrétion de mélatonine, RPM) ne sont pas liées aux cônes et aux bâtonnets mais nécessitent l’intégrité du globe oculaire et donc l’intervention d’une autre classe de photorécepteurs. Il a été ensuite identifié, par marquage rétrograde, la présence de cellules ganglionnaires rétiniennes en relation avec le noyau supra-chiasmatique, situé au-dessus du chiasma optique et responsable du rythme circadien. Ces cellules rétiniennes intrin sèquement photosensibles ou ipRGCs ne seront découvertes que dans les années 2000 grâce à la technique des patchs clamp - technique qui permet d’enregistrer l’activité électrique d’un fragment de membrane cellulaire. Enfin, la mélanopsine est mise en évidence comme le pigment de ces cellules, située au niveau de leurs dendrites.
Les ipRGCs, peu nombreuses (2 % de toutes les cellules ganglionnaires), forment un maillage dendritique sur toute la rétine avec un gradient de concentration de la périphérie vers le centre. Elles sont fondamentales à la régulation des cycles biologiques et au réflexe photomoteur. Elles reçoivent deux types de signaux, l’un provenant des cônes et des bâtonnets, l’autre directement de la mélanopsine.
Une lumière bleue de longueur d’onde 480 nm, de forte intensité, active directement la mélanopsine située sur les dendrites des ipRGCs (c’est la voie intrinsèque). La mélanopsine peut se régénérer rapidement par absorption d’un photon dans la longueur d’onde du rouge et ce de façon continue. Ce phénomène renseigne le cerveau en permanence sur l’état de luminosité ambiante. Cette stimulation en lumière bleue est stable toute la durée de la stimulation et persiste plusieurs secondes après l’arrêt de la stimulation - ceci explique qu’en cas d’utilisation abusive le soir des écrans informatiques ou de smartphones, la lumière bleue intense provenant des écrans entraîne des troubles du sommeil par diminution de la sécrétion de mélatonine.
En revanche, l’activité de la cellule ganglionnaire stimulée par une lumière rouge (630 nm) diminue progressivement d’intensité. Il y a un échappement total au bout de 10 secondes et une dilatation pupillaire. Le signal initial induisant la contraction pupillaire provient des cônes et des bâtonnets (c’est la voie extrinsèque).
La source lumineuse pour réaliser un RPM classique apparaît « blanche », le blanc est une sensation perçue par le cerveau. D’un point de vue physique, une lumière « blanche » est un spectre discontinu de tous les rayonnements du visible et même si la lumière apparaît blanche, selon la source la diffusant, elle peut comporter des pics plus ou moins importants dans la longueur d’onde du rouge ou du bleu. Une lampe halogène ou un tube fluorescent possède une prédominance de rouge ; une lampe à LED froide présente un pic important dans le bleu. Ainsi, la réponse au RPM peut varier en fonction de la source lumineuse : une rétine dont les photorécepteurs sont non fonctionnels peut « réagir » et entraîner un myosis avec une source de lumière dont le spectre présente un pic dans le bleu à 480 nm en stimulant les cellules à mélano psine par la voie intrinsèque. Un myosis peut par exemple apparaître chez un chat hypertendu avec un décollement rétinien séreux exposé à la lumiè re du soleil ou à une lampe LED. Les photorécepteurs, cônes et bâtonnets, privés de leur vascularisation choroïdienne par le décollement ne sont plus fonctionnels, mais les cellules ganglionnaires, elles, sont toujours bien fonctionnelles car vascularisées par la vascularisation rétinienne de surface. Il convient donc de définir correctement la source lumineuse utilisée pour réaliser et interpréter de façon fiable le réflexe photomoteur.
La pupillométrie chromatique consiste à utiliser de façon sélective la lumière bleue de longueur d’onde 480 nm ou la lumière rouge de longueur d’onde 630 nm, de forte intensité, pour stimuler de façon dissociée la voie extrinsèque ou la voie intrinsèque du RPM. La source lumineuse est couplée à une caméra qui enregistre pendant 10 secondes les mouvements de la pupille. Un logiciel permet de mesurer en fonction du temps le diamètre ou la surface pupillaire et il en ressort des courbes. Ces courbes indiquent le temps de latence (entre la stimulation et la réaction), le temps de contraction, le temps de redilatation et le taux de contraction résiduel (ou post-illumination pupil response, PIPR) pendant les 9 secondes après le cycle. Chez le chien, l’examen se pratique vigile, dans un endroit calme. Des artéfacts sont présents par les mouvements des yeux et des paupières de l’animal, l’interprétation des résultats s’appuie donc généralement et de manière plus fiable sur les profils des courbes.
Chez l’animal sain, la lumière rouge stimule la voie extrinsèque exclusivement (photorécepteurs). La réponse est rapide et transitoire avec un phénomène d’échappement. En lumière bleue forte, de longueur d’onde 480 nm, la stimulation majoritaire est celle de la voie intrinsèque (cellules à mélanopsine). Après un temps de latence identique (250 millisecondes), la contraction pupillaire est toujours présente au bout de 10 secondes.
Chez un animal en cécité brutale, avec un fond d’œil normal, la pupillométrie permet d’identifier la présence d’une « rétine silencieuse » : pas de contraction en lumière rouge et réponse normale en lumière bleue. Cet examen est suffisamment caractéristique pour établir le diagnostic et éviter inutilement une IRM.
La pupillométrie chromatique s’envisage également dans le suivi thérapeutique de certaines inflammations ou dégénérescences de la rétine ou du nerf optique. Cette technique a l’avantage aussi de permettre un suivi et un grading sur une atrophie rétinienne progressive. En effet, l’électrorétinogramme flash sera très rapidement « plat », ne permettant pas de différencier un animal encore visuel en début d’évolution d’un animal avec une cécité en fin d’évolution. Il suffra de superposer les courbes de pupillométrie pour apprécier l’évolution et l’altération du signal extrinsèque d’abord, puis du signal intrinsèque ensuite.
Pour en savoir plus :
Berson D.M., Strange vision : ganglion cells as circadian photoreceptors, Trends Neurosci., 2003;26 (6):314-320. Kardon R, Anderson S.C., Damarjian T.G. et coll., Chromatic pupil responses : preferential activation of the melanopsinmediated versus outer photoreceptor-mediated pupil light reflex, Ophthalmology, 2009;116 (8):1564-1573. Whiting REH., Yao G., Narfström K. et coll., Quantitative Assessment of the Canine Pupillary Light Reflex, IOVS, 2013;54 (8):5432-5440.