LA VISITE SANITAIRE OBLIGATOIRE BOVINE, QUEL RÔLE DANS LA RELATION VÉTÉRINAIRE-ÉLEVEUR ? - La Semaine Vétérinaire n° 1872 du 23/10/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1872 du 23/10/2020

DOSSIER

Auteur(s) : LORENZA RICHARD

OUTIL ESSENTIEL DE SURVEILLANCE DE LA SANTÉ DES ÉLEVAGES, LA VSO BOVINE FAIT L’OBJET D’UNE ÉTUDE COMMANDÉE PAR LE BUREAU DE LA SANTÉ PUBLIQUE EN ÉLEVAGE DE LA DIRECTION GÉNÉRALE DE L’ALIMENTATION. QUINZE ANS APRÈS SA MISE EN PLACE, QUELLE PERCEPTION EN ONT SES DIFFÉRENTS ACTEURS. A-T-ELLE ATTEINT L’UN DE SES OBJECTIFS PREMIERS : RÉTABLIR LA RELATION ENTRE VÉTÉRINAIRES ET ÉLEVEURS ?

Le but de la VSO bovine était bien de maintenir le lien éleveurvétérinaire sanitaire et elle y participe », déclare Laurent Perrin, président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL). En effet, quinze ans après sa mise en place en élevage bovin, le Bureau de la santé publique en élevage de la Direction générale de l’alimentation (DGAL) a souhaité faire le point sur son intérêt et sa perception terrain, en lançant une étude1 menée par des étudiants en master Politiques publiques de l’alimentation et gestion des risques sanitaires (PAGERS), dont les résultats devraient être publiés prochainement.

Un lien renforcé

« La VSO a été mise en place à une période où l’amélioration du statut sanitaire du cheptel bovin français permettait un allègement des interventions en élevage qui aboutissait, en particulier en élevage laitier, à une quasi-disparition des missions du vétérinaire sanitaire », explique Laurent Perrin. « De par son côté "obligatoire", elle permet aux vétérinaires sanitaires d’intervenir auprès de l’ensemble de leurs clients », ajoute Stéphanie Philizot, secrétaire générale de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV). Ainsi, selon elle, ce rendez-vous annuel, souvent combiné à la réalisation du bilan sanitaire d’élevage (BSE), permet de le potentialiser en abordant des sujets sur lesquels les éleveurs posent beaucoup de questions, comme, par exemple, les traitements antiparasitaires ou les antibiotiques. La visite permet également d’aborder des thèmes complémentaires, comme la biosécurité ou le bien-être animal. De plus, selon les zones rurales ou les clients, elle permet parfois un rare contact physique et une présence sur le terrain. Toutefois, « elle ne peut qu’étoffer la relation entre le vétérinaire et l’éleveur, et ne peut à elle seule reconstituer un lien qui serait rompu, modère Laurent Perrin, même si toutes les missions allouées au vétérinaire participent à maintenir son activité et la viabilité de son entreprise, et donc au maintien du maillage en productions animales. »

Le choix des sujets, point critique

La VSO permet en effet de donner des informations qui ont échappé aux professionnels, notamment d’un point de vue réglementaire. Mais les thématiques annuelles sont choisies par la DGAL. Ainsi, comme le souligne Laurent Perrin, le point critique est bien le choix des sujets. « Certains, comme les avortements, l’utilisation des antibiotiques ou cette année l’utilisation des antiparasitaires, permettent de facilement engager le dialogue sur des sujets techniques et d’aboutir à des conseils personnalisés et des améliorations des pratiques. Les sujets plus réglementaires ou qui ont pour but la diffusion d’une information vers l’éleveur permettent moins d’échanges. Cela tient alors plus du cours magistral que de l’échange, ce mode de communication n’est plus trop en vogue désormais dans la relation éleveur-vétérinaire », indique-t-il. De plus, « certains sujets sont arides et ils peuvent provoquer des débats houleux, parfois même au sein de la profession », remarque Stéphanie Philizot. Néanmoins, selon cette dernière, il peut alors être intéressant de les aborder. « En discuter en face-à-face avec chaque éleveur de France est une grande chance pour s’assurer que chacun soit en mesure de respecter en particulier la réglementation et de comprendre ses objectifs. » Par exemple, selon elle, des sujets, tel le bien-être animal, sont novateurs, et il est du rôle du vétérinaire d’accompagner les éleveurs dans l’évolution de leur métier.

Des reproches sur le déroulé

« Le vétérinaire sanitaire se retrouve en première ligne pour faire passer ces messages ou donner des informations », constate Stéphanie Philizot. « Cependant, quelques confrères ne voient pas l’utilité de cette visite, et il est reproché à la VSO de ne pas être toujours fluide dans son déroulé », déplore-t-elle. Notre consœur se veut toutefois rassurante, en attestant que dans l’ensemble les vétérinaires comprennent bien leur rôle et parviennent à le jouer. Cela est important, car pour elle « il faut maintenir du lien et entretenir les débats, afin de ne pas aggraver l’image souvent négative du sanitaire ». De même, nombre d’éleveurs ne voient pas l’intérêt de la VSO, et il s’agit, pour eux, de « paperasserie » supplémentaire. « Certaines réponses basiques vexent parfois des éleveurs, qui ont l’impression que nous ne leur faisons pas confiance, précise notre consœur. À ce titre, les nouvelles versions des visites cherchent à mieux séparer ce qui est de l’ordre de l’enquête - les questions formelles, pas toujours amusantes - et de l’ordre de la discussion, laissant le vétérinaire plus libre dans l’utilisation qu’il en fait. » Enfin, certains éleveurs souhaiteraient que les conseils débouchent sur davantage de solutions pratiques. C’est pourquoi, afin de renforcer durablement le lien vétérinaire-éleveur, des améliorations sont en permanence apportées à la VSO.

Une évolution nécessaire

Laurent Perrin estime que deux angles doivent être abordés pour faire évoluer la VSO. « Le premier est le fond : le choix du sujet et son adéquation avec l’élevage, explique notre confrère. Parler de biosécurité chez un éleveur laitier qui n’achète jamais d’animaux et qui est en zone de faible densité d’élevage sans voisin proche demande beaucoup d’effort pour intéresser l’interlocuteur. » La possibilité de choix entre plusieurs sujets ou de proposition régionale du sujet pourrait améliorer la qualité de l’échange selon le SNVEL, qui a déjà plusieurs fois proposé de construire une visite en module parmi lesquels l’éleveur et le vétérinaire pourraient choisir. « La prise en compte de la diversité des situations et la priorisation du traitement des sujets en seraient largement améliorées », indique Laurent Perrin avant d’aborder la forme de la VSO. « Il faut sortir du questionnaire ou du QCM qui mettent les éleveurs ensituation de contrôle de connaissance. » Néanmoins, Stéphanie Philizot précise que « le déroulé de la visite a été amélioré en 2020, avec une partie formelle de recueil de pratiques, qui est courte et identifiée, et les parties suivantes, que le vétérinaire peut utiliser comme il l’entend en s’adaptant à l’éleveur. Nous allons poursuivre cette dynamique, toutefois les visites sanitaires sont désormais inscrites dans la Loi européenne de santé animale et cela peut nous imposer certaines contraintes. » « Bien que l’action soit nationale, rien ne s’oppose à ce que les régions développent, si elles le souhaitent, des modules locaux autonomes supplémentaires », ajoute-t-elle, avant de conclure : « Il me semble qu’une évolution intéressante serait le retour à une visite biennale, cela permettrait de faire des visites plus longues, donc plus interactives, et de développer des outils complémentaires que nous ne pouvons développer dans le pas de temps annuel. »

1. Étude menée dans le cadre des groupes d’études des politiques publiques « Visites sanitaires en élevage : perceptions par les vétérinaires et les éleveurs et impacts sur leurs pratiques et leurs relations », De Mateo Aznar M., Jonon J., Karl S., « La Visite sanitaire obligatoire, Je thème, moi non plus », Rapport du Groupe d’étude des politiques publiques, Mars 2020 (85 pages), à paraître.

La Direction générale de l’alimentation, sollicitée par nos soins, n’a pas répondu à nos questions concernant ce rapport ni donné son avis sur la VSO.

Une chance de généraliser un rendez-vous privilégié

TÉMOIGNAGE

JOCELYN AMIOT

Praticien rural à Épinac (Saône-et-Loire)

La VSO est une chance pour le praticien en milieu rural. Elle a permis de généraliser un rendez-vous privilégié avec l’éleveur. Elle peut être un tremplin pour le vétérinaire afin de remettre en valeur le sanitaire et même renouer avec certaines « brebis égarées ». Il est ainsi primordial que cette VSO soit réalisée sur rendez-vous et non pas bâclée au coin du comptoir. Toutefois, certains sujets irritent les éleveurs car la VSO aborde des thématiques « sensibles », comme le bien-être animal. Je pense que certains éleveurs se braquent également par rapport à un déroulé parfois trop professoral. Certains confrères aussi doutent de l’utilité de certains sujets, et ce n’est pas facile d’intéresser 100 % des éleveurs. Il est cependant important de dispenser les évolutions réglementaires pour éviter que les décalages existants entre le milieu de l’élevage et l’administration ne s’aggravent dans les années à venir. Je pense qu’il faudrait en reparler lors de chaque réunion de DDPP en début de campagne de prophylaxie pour resensibiliser les vétérinaires sanitaires sur l’intérêt et l’importance de la bonne conduite de ces visites, pour ne pas tomber dans la routine.

ÉVOLUTION DE LA VISITE SANITAIRE OBLIGATOIRE

La VSO, visite sanitaire bovine obligatoire, a été instaurée en 2005 en élevage bovin. Elle se repose sur le trépied sanitaire vétérinaireéleveur-direction départementale en charge de la protection des populations (DDPP). Son objectif est alors d’évaluer et prévenir le risque sanitaire de chaque exploitation. Ces visites sont totalement prises en charge par l’État, et le vétérinaire renvoie les données collectées à sa DDPP. Elle a évolué progressivement dans les années suivantes pour devenir, depuis 2014, un outil pédagogique1 à travers lequel le vétérinaire sanitaire d’une exploitation sensibilise l’éleveur à une thématique particulière chaque année, telle que la santé, le bien-être ou les bonnes pratiques. Concernant désormais les filières bovine, ovine, caprine, porcine, avicole, apicole et équine (elle est bisannuelle pour la plupart des filières, mais annuelle pour les bovins), le vétérinaire sanitaire de l’élevage suit un questionnaire et un guide pour échanger avec l’éleveur. Ainsi, la VSO a également comme objectif de créer, de maintenir ou de renforcer de bonnes relations entre les vétérinaires et les éleveurs. En outre, en ouvrant des discussions, elle peut aussi contribuer à entretenir le maillage en zone rurale, qui tend à se distendre. Avec l’article 25 de la loi de santé animale du 9 mars 20162, une nouvelle trame est prévue pour la VSO à partir du 21 avril 2021. Dans ce texte, la surveillance des maladies animales et l’analyse du risque sanitaire reviennent au premier plan, dans le but de former les éleveurs aux symptômes de certaines maladies et de leur fournir des conseils en biosécurité, selon leur type de production ou leur situation géographique.

1. www.bit.ly/3jZ0dRU

2. www.bit.ly/3183tDb

La VSO est créatrice de lien mais chronophage

TÉMOIGNAGE

ESTELLE BLANCHET

Praticienne rurale à Mussidan (Dordogne)

Je trouve que la VSO est une bonne opportunité pour créer du lien. Elle s’est encore améliorée, avec des sujets intéressants, approfondis, et qui correspondent à l’actualité. Nous sommes contents de partager sur ces thématiques avec les éleveurs, et cela permet parfois de les recadrer dans leurs pratiques. Environ les trois quarts d’entre eux sont intéressés. Pour d’autres, c’est une perte de temps, mais certains rebondissent car nous parlons de choses concrètes. Cependant, la VSO est chronophage. Nous y consacrons souvent bien plus que la demi-heure préconisée, car il est difficile d’arrêter une discussion avec un éleveur intéressé. De plus, les documents nous sont donnés de plus en plus tard chaque année, et nous sommes obligés d’enchaîner les visites. Cela nous fait entrer dans une routine qui nous démotive, d’autant plus que nous avons beaucoup de travail en parallèle. Il serait donc bien de pouvoir programmer les visites sur une année complète. Enfin, la VSO reste sous-rémunérée par rapport au temps passé et à l’énergie dépensée.

LA SNGTV PARTICIPE À LA MISE EN PLACE DE LA VSO

STÉPHANIE PHILIZOT, SECRÉTAIRE GÉNÉRALE DE LA SNGTV

La SNGTV réalise les VSO pour le compte de la DGAL. Ainsi, il nous arrive de proposer des sujets,

de même que les organisations professionnelles agricoles, mais c’est la DGAL qui choisit la thématique in fine ainsi que les objectifs de la visite. À partir de ce choix, la SNGTV pilote un groupe technique, composé de membres de la Commission technique ad hoc notamment. Ce groupe technique fourni les bases des documents qui sont ensuite retravaillés par les organismes vétérinaires, agricoles et l’administration. Sont ensuite tirées au sort 6 % des visites réalisées et le vétérinaire doit alors enregistrer les réponses données par l’éleveur afin que la SNGTV puisse, si possible, analyser ces données.

Davantage de simplicité serait nécessaire

TÉMOIGNAGE

GUILLAUME LAMAIN

Praticien mixte à Saint-Cosme-en-Vairais (Sarthe)

La VSO se présente depuis sa création comme un outil dont l’intention louable est de récolter des informations sur les habitudes d’élevage, tout en formant les éleveurs sur un sujet particulier. Ces missions sont rarement remplies. Depuis plusieurs années les questionnaires proposés semblent en effet déconnectés des réalités du quotidien, tant les questions sont alambiquées et difficiles à présenter. Ainsi le message qui est censé être délivré s’en trouve noyé dans un flot de détails inutiles. L’énoncé des questions proposées prête régulièrement à sourire. En témoignent les réactions amusées et incrédules des éleveurs. La VSO apparaît dès lors comme un des nombreux témoins de l’incompréhension mutuelle entre les élites et les gens de terrain. Davantage de simplicité constituerait un progrès certain : un message et des questions clairement exprimés seraient tout simplement mieux entendus et intégrés, rendant à la VSO sont rôle initial de formation et de lien entre vétérinaires et éleveurs.