ACADÉMIE VÉTÉRINAIRE
ANALYSE
Auteur(s) : TANIT HALFON
La famille des coronavirus est caractérisée par leur capacité de transmission interespèces, à l’origine de situations d’émergences virales chez l’humain, comme l’illustre la pandémie actuelle. Ces phénomènes concernent aussi le monde animal, dans lequel circulent une très large variété d’espèces de coronavirus.
Que retenir des coronavirus et plus particulièrement du Sars-CoV-2 ? Une partie de la réponse a été apportée lors de la dernière séance thématique One Health du 1er octobre de l’Académie vétérinaire de France. La pandémie actuelle liée au Sars-CoV-2 rappelle déjà que les membres de la famille des coronavirus ont un potentiel de transmission interespèces, pouvant être à l’origine d’émergences virales chez l’humain. Comme le virus du syndrome respiratoire aigu sévère Sras-CoV-1 avant lui, ou encore Ebola ou le virus de l’immunodéficience humaine (HIV), le Sars-CoV-2 correspond ainsi à une émergence virale réelle1, à partir d’un réservoir animal. Si cette émergence est naturelle, elle est intimement liée à plusieurs facteurs, notamment écologiques : l’activité humaine et probablement le commerce d’espèces d’animaux sauvages ayant permis une exposition de l’homme au virus. L’origine animale du virus ferait intervenir la chauvesouris - il a été montré 96,2 % d’identité avec une souche virale nommée Bat CoV RaTG13, détectée dans une province chinoise - et le pangolin : une recombinaison entre des coronavirus de ces 2 espèces animales aurait engendré le nouveau coronavirus. A la clé donc, un tout nouveau coronavirus, aux propriétés nouvelles, du genre Betacoronavirus (4 genres au total, alpha, beta, gamma et delta) et du sous-genre Sarbecovirus. De plus, le Sars-CoV-2 a une particularité que n’ont pas les autres membres des sarbecovirus, à savoir la présence d’un site de clivage2 polybasique, c’est-à-dire présentant une insertion d’acides aminés. Cette particularité n’existe ni dans les séquences des coronavirus proches de pangolins et de chauves-souris ou encore dans le Sras-CoV-1, ce qui pourrait affranchir le virus de la restriction du tropisme tissulaire, puisque ce site peut être clivé par la furine qui est une enzyme ubiquitaire.
Dans le monde animal, les coronavirus ne concernent pas que les pangolins ou les chauves-souris, même si ces derniers se sont révélés des réservoirs uniques tant en nombre qu’en variété de coronavirus. De très nombreuses espèces animales sont décrites comme réceptives, et les coronavirus qui y sont associés, pourront être responsables de maladies. Ainsi, les premiers coronavirus animaux découverts dans les années 1930 chez l’oiseau sont responsables de la bronchite infectieuse aviaire. Les découvertes se sont par la suite enchaînées : chez le porcin avec le virus de la gastro-entérite porcine, chez le chat avec la péritonite infectieuse féline (PIF)… Au final, il est plus facile d’énumérer les espèces animales non réceptives pour ces pathogènes : arthropodes, poissons, primates non humains - pour ces derniers, s’il n’y a pas de description de coronavirus spécifiques, sont décrites en revanche des infections liées à des coronavirus humains -, et les petits ruminants - des corona virus Bovine-like décrits, correspondant à des coronavirus spécifiques aux bovins qui ont la capacité d’infecter d’autres ruminants. Par ailleurs, à un animal peut être associé plusieurs espèces virales différentes, et la liste s’allonge pour certains d’entre eux. C’est le cas par exemple du porc, pour lequel on décrit désormais 6 espèces virales différentes, ou des chauves-souris, pour lesquelles les découvertes de nouvelles espèces virales ne font qu’augmenter au fil des recherches, reflétant aussi la diversité des espèces de chauves-souris. Chez les animaux, les coronavirus sont responsables d’un éventail de maladies : si on distingue généralement les virus à tropisme préférentiel digestif ou respiratoire, ils peuvent aussi engendrer des atteintes neurologiques, hématiques, urogénitales, voire systémiques, montrant que les affections à coronavirus sont parfois particulièrement dangereuses chez l’animal - la PIF est ainsi 100 % létale.
Si l’on voit bien que ces différents coronavirus animaux sont au final globalement assez spécifiques d’espèces, il faut se rappeler qu’ils sont aussi le fruit d’un brassage, avec des transmissions virales interespèces. Cela est décrit chez le chien et chat : l’analyse génétique de souches virales a révélé la présence de fragments de séquences génomiques de coronavirus canins chez des coronavirus félins, et vice versa. Idem chez le porc, pour lequel on pense que le virus de la gastro-entérite transmissible porcine provient d’une adaptation du coronavirus canin. Autre exemple : le coronavirus porcin delta PDCoV aurait émergé à la suite d’une recombinaison entre 2 coronavirus aviaires.
L’évolution des coronavirus après transmission interespèces et leurs capacités d’adaptation à un nouvel hôte posent la question, chez l’homme, de l’installation pérenne de ces virus. En effet, en matière d’émergence virale vraie, cinq situations - on parle d’étapes - sont possibles. Dans la première étape, le virus reste cantonné à l’animal, sans possibilité d’infection zoonotique. Dans la deuxième, le virus peut infecter l’homme, lequel reste un cul-de-sac épidémiologique : c’est le cas du virus de la rage. La troisième étape correspond à un pathogène d’origine animale à l’origine d’une épidémie humaine qui va être limitée dans le temps, avec des transmissions interhumaines restreintes : il s’agit par exemple du virus Ebola. Dans la quatrième étape, l’épidémie va pouvoir évoluer de manière bien plus indépendante de sa source animale, et donc théoriquement sur une période plus longue : c’est le cas de la dengue. Enfin, la cinquième et dernière étape correspond à un pathogène qui circule de façon permanente chez l’homme, qui en devient le réservoir, et indépendante de son réservoir d’origine. Dans ce cas, l’évolution et l’adaptation du virus à l’homme font qu’il ne peut plus théoriquement infecter son réservoir animal d’origine : c’est le cas du HIV. Pour le Sars-CoV-2, il n’est pas exclu que l’on se dirige vers un modèle HIV
1. Introduction d’un virus inconnu ou connu dans une nouvelle espèce ou modification des caractéristiques d’un virus connu.
2. Le site de clivage intervient dans la liaison aux récepteurs celullaires de l’hôte et dans la fusion de la membrane virale avec la membrane cellulaire.
La séance de l’Académie vétérinaire de France a permis de rappeler qu’il y avait plus d’une centaine de vaccins en développement, dont 10 en phase 3 d’essais cliniques. On n’en saura pas plus sur l’avancée des projets, mais la présentation de la vaccination chez l’animal a montré que l’approche vaccinale humaine devrait en être assez éloignée. En effet, on trouve chez l’animal des vaccins vivants atténués, ce qui semble difficilement compatible avec un usage chez l’humain du fait des phénomènes de recombinaisons ou mutations. Il existe aussi un vaccin thermosensible, constitué de souches capables de se multiplier à 33 °C (vaccin PIF, non disponible en Europe), une approche difficilement adoptable. À noter que chez le chat a été décrit aussi un phénomène de facilitation de la maladie par les anticorps : une étude a ainsi montré un temps de survie réduit chez des félins vaccinés contre la PIF avec un vaccin recombinant exprimant le spicule de surface virale et soumis à une épreuve virulente, par rapport à un groupe témoin. Néanmoins, ce phénomène n’a été décrit que chez le chat, et la PIF étant, de plus, une maladie très particulière, cette situation semble difficilement transposable chez l’homme.