CARNET DE BORD DE MARIE GASNIER
COMMUNAUTÉ VÉTÉRINAIRE
Auteur(s) : M. B.
Coup d’envoi du billet mensuel de notre consœur Marie Gasnier (A 18) ! À partir de ce numéro, elle nous fera partager ses expériences de jeune praticienne. Passée par les universités de Valence, en Espagne, et de Limoges, elle a effectué plusieurs stages en clinique en Corrèze, en Afrique du Sud, et a réalisé son stage de fin d’études au CHV Frégis. Aujourd’hui, Marie prépare un DE en ophtalmologie vétérinaire à l’EnvA. Voici en prose le récit d’une vocation. Au nom de toute l’équipe de La Semaine vétérinaire, bienvenue !
Elle nous a fait fantasmer pendant notre jeunesse au collège, au lycée devant Grey’s Anatomy ou durant nos années d’étude. Mais désormais qu’il est temps de l’affronter, elle est plus effrayante que jamais. Nous sommes un mardi soir, il est 19 h 30, et dans moins d’une demi-heure je m’apprêterai à vivre ma première garde de nuit toute seule.
Avant même d’en prendre conscience, une gestuelle s’installe et deviendra routinière avant le début de chaque garde. Sans pour autant que cela ait à voir avec une quelconque superstition, comme un danseur avant de faire son entrée sur scène, je referai donc machinalement ces mêmes gestes. Une fois changée, je remplis la poche droite de ma blouse de feuilles volantes sur lesquelles je recenserai chacun de mes cas cliniques et je glisse dans la poche gauche mon petit calepin avec par ordre alphabétique les principales molécules et leurs posologies. Puis, je dispose autour de mon cou mon précieux stéthoscope Littmann 3M couleur bleu caraïbes offert par mes parents à l’occasion de mon passage en 2e année de médecine vétérinaire. Et j’apporte la touche finale en accrochant mon dosimètre sur la poche de ma blouse. Je fais alors face au miroir, me toisant du regard, peut-être pour évaluer ma crédibilité, mon assurance ou tout simplement pour me donner du courage. Mes cheveux relevés en chignon ou attachés en queue-de-cheval, armée de ma bouteille d’eau dans la main droite, j’emprunte l’escalier et entame ma descente aux enfers.
Je me souviendrai toujours de l’ambiance qui régnait dans la clinique à cette heure tardive où l’équipe de jour quitte les lieux et où la personne de garde prend le relais et se voit désormais seule, prête à tenir la barre, tel le capitaine à bord de son bateau. Les dernières lueurs du jour déclinent à l’horizon laissant place à la nuit noire et sombre qui s’engouffre peu à peu dans chacune des pièces de la clinique. Je regarde alors ma montre et compte les heures qui me séparent de la délivrance : douze heures. Douze heures passées à craindre les appels téléphoniques. Douze heures passées à lutter contre le sommeil que l’adrénaline éloigne à grands coups de pieds. Douze heures à se dépasser, à donner le meilleur de soi-même.
Munie de mon téléphone de garde, j’arpente la clinique pour me familiariser avec les lieux et m’assurer que toutes les entrées sont bien fermées à clé. Puis direction le chenil afin de lire toutes les instructions gribouillées sur le grand tableau blanc. Un bonhomme souriant dessiné au feutre noir me donne du courage pour la longue nuit à venir. Je salue par la suite tous mes petits compagnons, un par un, leur donnant des caresses au passage, et m’assure qu’ils sont eux aussi prêts à passer une nouvelle nuit loin de leur maître. Il est réconfortant de se savoir entourée par ces chiens et ces chats, probablement tout autant apeurés que moi.
La sonnerie de la porte d’entrée des urgences résonne dans toute la clinique, une sonnerie stridente qui met tous mes sens en alerte et provoque une tachycardie. Le premier animal est arrivé, il est alors grand temps de sauver des vies, ou du moins d’essayer, car tel est l’enjeu. Les consultations s’enchaînent. Le téléphone vibre sans cesse dans ma poche, stoppant nette ma progression et je trie du mieux possible les urgences vitales des petits bobos sans grande importance. Puis, comme par enchantement, le matin arrive et les premières lueurs du jour percent à travers les nuages. Il est 7 h 55, dans cinq minutes s’achèvera ma première nuit de garde seule, la première d’une très longue série. 8 h, je transfère tous les dossiers au vétérinaire senior. 9 h je sors de la clinique, épuisée, mais heureuse et fière.
Car oui, je suis fière d’avoir accompli ce travail, fière d’être venue en aide à ces animaux qui ne sont ni plus ni moins que des membres à part entière de la famille. Et mon amour à leur égard est grand.