CARRIÈRE
ANALYSE
Auteur(s) : ISABELLE BARASSIN
Fonctions : MAÎTRE DE CONFÉRENCES, ENVA
D’après une enquête de l’EnvA, les étudiants, durant leur scolarité, déclarent rechercher une structure qui leur assurera un complément de formation et pouvoir faire abstraction du territoire. Pourtant, dans les faits, les zones rurales peinent à attirer et on assiste à un réel déficit d’installations de jeunes praticiens.
Alors que la problématique de désertification rurale revient sur le devant de la scène, associer attrait d’une structure vétérinaire et d’un territoire aiderait-il à l’installation en zone rurale ? C’est la question que pose une enquête réalisée par l’École nationale vétérinaire d’Alfort. Un premier constat : l’École nationale vétérinaire d’Alfort (EnvA) semble former surtout des étudiants se destinant à l’exercice « canin ». Pour comprendre cette orientation, une enquête a été réalisée auprès de 66 étudiants de 4e année (soit 57 % de la promotion) pour déterminer les motivations de leur orientation (lire l’encadré). Si certains envisagent un exercice mixte ou rural à la sortie de l’école, envisagent-ils le même type d’activité pour le premier emploi et par la suite ? Et envisagentils de vivre en zone rurale ?
Les étudiants font majoritairement un ou deux choix de carrières, que ce soit en 1re ou 4e année, même si le choix unique est plus important en 4e année. Parmi les choix exprimés, seulement 6 % des étudiants ne mentionnent pas la clientèle, quelle que soit l’année d’étude. En 1re année, 63 % des étudiants mentionnent l’exercice mixte (parmi lesquels 78 % précisent leur choix : canine/rurale 67 %, canine/équine 17 %), 45 % des étudiants mentionnent la clientèle « animaux de compagnie ». Selon l’année, 18 % ou 27 % mentionnent les deux possibilités. Si les étudiants de 1re année privilégient avant tout l’exercice mixte, l’exercice « animaux de compagnie » arrive en tête en 4e année avec 56 % des mentions contre 47 % pour l’exercice mixte. Et 17 % des étudiants mentionnent les deux options.
La proportion de choix d’activité mixte peut répondre à la demande des praticiens installés qui recherchent actuellement des remplaçants, des assistants ou des successeurs. L’association de praticiens mixtes et « canins » constitue aussi une forme d’exercice qui répond à la demande des campagnes. L’absence de vocations n’explique pas la raréfaction des jeunes vétérinaires voulant travailler en zone rurale.
Il semble donc qu’il faille prendre en compte les caractéristiques d’un territoire pour expliquer les déficits d’installations de jeunes praticiens. Dès la 1re année, les étudiants ont des choix affirmés de lieu d’exercice, que ce soit à la sortie de l’école ou par la suite. Certains ont déjà en tête un lieu précis d’exercice (36 %), voire deux (36 %). Les banlieues de grandes villes, les villes d’une dizaine de milliers d’habitants et les zones rurales proches de grandes villes sont les plus attirantes. Les très grandes villes (centaines de milliers d’habitants) ou les zones rurales très isolées sont les moins choisies. En 4e année, la précision des choix se confirme et le poids des très grandes villes augmente.
Lors des jeux sur images de découverte d’un lieu, la méconnaissance d’une région est un frein important, comme l’a montré Sylvain Dernat1. L’inconnu « mal situé » n’attire pas. Les étudiants n’iront pas forcément se renseigner et resteront sur leur a priori. Lors de l’exercice proposé aux étudiants de 1re année, ces derniers devaient imaginer avoir trouvé le lieu professionnel leur correspondant parfaitement, et choisir d’y aller ou non en fonction de la localisation. Toucy, dans l’Yonne, se situait dans une zone géographique de faible densité. À la seule vue de la carte indiquant sa localisation, 73 % des étudiants sont prêts à y aller. Lorsqu’ils ont pris connaissance des différentes informations, seulement 2 % d’étudiants supplémentaires sont prêts à aller dans cette ville. En réalité, l’apport d’informations a décidé 16 % d’étudiants supplémentaires à aller dans ce territoire et a fait renoncer 14 % d’étudiants à ce projet.
En quatrième année, la même hypothèse de départ est faite (structure vétérinaire idéale) mais un territoire plus étendu a été présenté. Après avoir simplement vu la carte, 59 % sont prêts à y aller, 11 % ne sont pas du tout intéressés. Ceux qui accepteraient de s’y rendre se projettent avant tout pour un premier emploi (60 %), la durée variant de quelques mois, durée majoritaire, à quelques années. Après avoir vu le diaporama, 66 étudiants, soit 52 %, changent d’avis sur le territoire. Le fait d’apporter des informations augmente l’envie d’aller y travailler et le temps de séjour.
Un étudiant qui sort de l’école recherche avant tout une structure qui lui assurera un complément de formation comme cette enquête le confirme. Il peut faire abstraction du territoire. Ce qui compte avant tout c’est l’équipe qui l’accueille, l’équipement de la structure. Étant donné l’âge des étudiants sortants, ils recherchent avant tout des activités de loisirs et des endroits pour sortir, rencontrer des jeunes de leur âge. Si des moyens de se déplacer existent pour accéder aux services de base (commerces), autres que la voiture, cela constitue un atout pour le territoire.
Avec une même présentation, un territoire est perçu comme proche ou éloigné des grandes villes, enclavé ou non selon le référentiel de l’étudiant constitué d’après son expérience de vie. L’isolement et l’éloignement d’un territoire sont une perception relative. Seule une communication du territoire peut modifier cette perception, si tant est que l’étudiant ait envie de se renseigner. Les réactions recueillies sur les étudiants de 1re année montrent qu’une information papier ne remplace pas un contact avec des individus vivant sur un territoire. Cela permet d’estomper la peur de l’inconnu. Les rencontres de découverte proposées aux étudiants par des structures vétérinaires semblent une bonne piste pour attirer de jeunes praticiens.
En seconde intention seulement les services offerts par le territoire sont pris en compte - écoles, médecins, hôpital, etc. - et donnent envie de rester.
Dès la première année d’études, certains étudiants sont en couple. Ce phénomène se renforce en quatrième année. Le conjoint donne son avis sur le lieu de résidence. Si une séparation provisoire est envisageable pour le premier emploi, dans un but de formation, le conjoint doit ensuite disposer d’un bassin d’emplois pour stabiliser le jeune vétérinaire.
Si, pour faire venir de jeunes praticiens, il faut proposer une structure professionnelle attractive et un minimum de loisirs sur le territoire, l’installation plus pérenne, signe de stabilité pour la structure vétérinaire et la clientèle, redonne toute sa place au territoire. Celui-ci doit disposer de services de proximité nombreux, accessibles éventuellement sans voiture, de loisirs et d’un bassin d’emplois pour le conjoint. Les territoires doivent aussi communiquer sur leur attractivité afin de projeter une image la plus accueillante possible. Bien évidemment, si l’étudiant a des exigences géographiques des envies climatiques, l’absence de ces caractéristiques provoquera un rejet de la localisation pour une installation pérenne. Associer attrait d’une structure vétérinaire et attrait d’un territoire ne peut qu’aider à l’installation en zone rurale. Pérenniser de jeunes praticiens va nécessiter une coopération avec les collectivités locales afin de leur assurer, en plus d’un exercice professionnel gratifiant, un confort de vie au quotidien.
Afin d’augmenter le taux de réponses, l’enquête a été effectuée auprès de 2 promotions d’étudiants : l’une de 1re année et l’autre de 4e année de l’EnvA, sur 2 années scolaires successives (2017- 2018 et 2018-2019). Les étudiants ont été interrogés sur leurs choix de carrière ou de zone d’installation (plusieurs réponses étaient possibles). Pour le choix de carrière, la question « quel (s) type (s) d’activité souhaitezvous exercer à la sortie de l’école ? » a aussi été posée de 2003 à 2013 en 1re année, en début d’année scolaire. Les étudiants de 4e année ont été soumis à un questionnement plus précis sur leurs envies à la sortie de l’école en utilisant les résultats d’une enquête effectuée par l’Observatoire des métiers dans les professions libérales (OMPL) et ne distinguant pas les souhaits à la sortie d’école et après le premier emploi. Les questionnaires ont porté plus spécifiquement sur les territoires, à l’aide d’un jeu inspiré du « jeu de territoire » VeTerrA1 en salle, en utilisant des images, des brochures touristiques décrivant une ville et son environnement. Les étudiants de 1re année de 2018-2019 ont rempli ce questionnaire après la visite d’une structure vétérinaire mixte et d’une rencontre avec des professionnels du tourisme, dans le cadre de l’enseignement de découverte du monde rural.
1. Dernat S., Choix de carrière dans l’enseignement vétérinaire et attractivité des territoires ruraux. Le facteur spatial dans les représentations socioprofessionnelles des étudiants, 2016, école doctorale des lettres, sciences humaines et sociales, université Blaise-Pascal Clermont-Ferrand.