INTOXICATION SUBCLINIQUE AU CUIVRE CHEZ DES BREBIS LAITIÈRES - La Semaine Vétérinaire n° 1876 du 20/11/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1876 du 20/11/2020

CONFÉRENCE

PRATIQUE MIXTE

FORMATION

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE

CONFÉRENCIER

JULIEN CLÉMENT, docteur vétérinaire à Hasparren (Pyrénées-Atlantiques), membre de la commission vaches laitières de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV). Article rédigé d’après la conférence « Un cas toxique subclinique d’intoxication au cuivre chez des brebis laitières », faite lors du congrès de la SNGTV du 28 au 30 octobre 2020, à Poitiers.

L’intoxication au cuivre chez les ovins se présente généralement par des signes cliniques spécifiques. Julien Clément a permis de mettre en évidence un cas particulier. L’élevage qu’il a étudié se compose de 350 brebis de race Manech tête rousse (MTR), dont 290 à la traite chaque année. Il est adhérent au contrôle laitier officiel avec de très bons résultats en production laitière (PL) - niveau adulte campagne précédente : 265 litres par brebis traite (moyenne de la race : 200 l pour les troupeaux en contrôle laitier officiel). Or, l’éleveuse a constaté lors de la campagne de traite de 2019, une baisse de PL et d’entrain de certaines brebis après le 3e contrôle laitier. Malgré plusieurs cures d’hépatoprotecteurs, donnés suite aux recommandations de plusieurs intervenants de l’élevage (contrôle laitier, marchand d’aliments), la PL rechute à l’arrêt de chaque cure.

Une réelle sous-production pathologique ?

Appelé quelques semaines après le début de baisse de production de l’élevage, le vétérinaire traitant note que l’examen clinique et la NEC (note d’état corporel moyen de 2,5) des quelques brebis dont la production laitière a fortement baissé sont tout à fait normaux. C’est pourquoi il est légitime de se demander s’il existe réellement un phénomène de sous-production ou de baisse physiologique dans cet élevage. En étudiant les résultats des différents contrôles laitiers réalisés et en les comparant avec la courbe de production moyenne de la race, le vétérinaire constate effectivement qu’à partir du 3e contrôle il y a une chute de PL persistance. À cette période de l’année, les premières hypothèses en production ovine laitière sont une erreur de ration ou une atteinte parasitaire des animaux.

Une impasse diagnostique

À première vue, l’analyse de la ration ne permet pas d’expliquer cette sous-production. De plus, les coproscopies réalisées au cabinet (flottation au sulfate de zinc à 33 %) révèlent uniquement la présence de strongles gastro-intestinaux (150 opg), les sérologies douve (kit IDEXX, LVD 64) sont négatives pour 4 brebis sur 6. Les prises de sang réalisées sur 8 brebis révèlent une augmentation modérée à marquée des ASAT et des GGT, des statuts bas en zinc pour 6 d’entre elles et élevé pour une brebis, et des dosages en cuivre légèrement bas chez 3 brebis. L’hypothèse retenue est donc celle d’une atteinte hépatique, d’origine possiblement plus cytolytique que choléstatique (augmentation légèrement plus forte des ASAT que des GGT) dont l’étiologie reste inconnue. Face à cette impasse diagnostique, 2 brebis sont alors sacrifiées pour autopsie.

Une intoxication au cuivre d’origine inconnue

Cet examen révèle la présence d’un foie normal sur le plan macroscopique, de reins hypertrophiés et décolorés, avec une diminution de consistance. À l’histologie, l’hémosidérose néphrocytaire corticale marquée avec hématurie médullaire modérée permet d’écarter l’hypo thèse de sporidesmine (eczéma facial) ou d’infestation parasitaire, et renforce l’hypothèse d’intoxication au cuivre, qui est confirmée ensuite par dosages hépatiques sur les foies des animaux autopsiés. Or, les origines classiques de ces intoxications - contamination par du cuivre du pédiluve, du minéral de la ration ou du bloc à lécher, par du lisier de porc de la parcelle alimentaire, etc. - sont peu probables. C’est pourquoi il semblerait que ce soit l’aliment donné aux animaux qui soit probablement en cause. Étant donné le délai important entre le début des symptômes et le diagnostic final (presque 3 mois), il n’a pas été mis en œuvre de dosages de cuivre, voire également de molybdène, de soufre et de fer1, sur la ration globale que recevaient les brebis.

Importance de l’analyse de la ration

Toutefois, une suspicion forte pèse sur la drêche de maïs d’origine inconnue de la ration. En effet, l’éleveuse en apportait 250 g en début de campagne et elle s’est rendu compte qu’un des correcteurs azotés qu’elle distribuait contenait lui aussi de la drêche de maïs. Or, les teneurs en cuivre de la drêche de maïs sont variables et très dépendantes de l’origine de ces drêches2,3. Si les drêches issues de la fabrication d’éthanol sont en général peu dosées en cuivre, il n’en va pas de même pour les drêches issues de la fabrication d’alcool, notamment lorsque les procédés de distillation passent par des cuves en cuivre. Par consé- quent, certains auteurs conseillent d’analyser le cuivre dans les drêches de maïs avant de les utiliser chez les ovins3.

Une place à prendre pour le vétérinaire

Ce cas clinique illustre donc bien la possibilité pour le praticien d’envisager une intoxication au cuivre face à des troubles uniquement zootechniques et en l’absence de troubles sanitaires plus marqués. De plus, il convient de noter qu’il est possible de trouver des cuprémies normales dans un contexte d’intoxication chronique et/ou subclinique tant que les capacités de stockage du foie ne sont pas dépassées. Enfin, une attention particulière doit être portée aux drêches de maïs dans un contexte de suspicion d’intoxication au cuivre. En général, il est recommandé de donner 5 à 10 mg/kg de cuivre de matière sèche ingérée (MSI) mais il existe des interactions fortes avec le molybdène et le soufre. Il est par conséquent impossible de donner des recommandations de supplémentations standards car seule l’analyse de la ration totale permet de conclure.

Il s’agit donc d’un cas de médecine interne, à l’échelle collective, dont le motif d’appel est zootechnique, motif pour lequel le vétérinaire n’est pas le premier consulté généralement mais pour lequel il peut apporter une plus-value en élevage.

1. Nutrient requirements of small ruminants. Sheep, Goats, Cervids, and New World Camelids, Animal nutrition series, National research council of the national academies, 2007, 126-129.

2. Comité national des coproduits. Fiche co-produit : drêches de mais de distillerie. Avril 2017 : www.bit.ly/3pfIDw0

3. Lewis M., 2002. Distillery feeds and copper. Organic farming technical summary, Scottish Agricultural College Animal Biology Division : www.bit.ly/3eM6vTi