URGENCES
PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC
FORMATION
Auteur(s) : GWENAËL OUTTERS
CONFÉRENCIER
PATRICK VERWAERDE, Dipl. ECVECC, chef du pôle Anesthésie-réanimationurgence-soins intensifs, à l’EnvA. Article rédigé d’après une conférence présentée au congrès de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac) en novembre 2019, à Lyon.
Par la mesure ou le calcul, la gazométrie veineuse consiste à établir les valeurs de pH sanguin, des pressions partielles en CO2 et des concentrations sanguines en bicarbonates afin de déterminer l’état acido-basique de l’organisme. Il est recommandé pour cela de pratiquer un prélèvement de sang jugulaire. Ces informations sanguines sont des guides diagnostiques et thérapeutiques.
À l’échelle de l’organisme, le simple fait de vivre est à l’origine d’une production d’acides : des acides volatils comme le CO2 et des acides fixes qui se décomposent dans l’eau en anions et protons. Le pH est alors régulé par des systèmes tampons intra et extracellulaires, entre l’élimination des acides fixes par voie rénale et des acides volatils par voie pulmonaire, de sorte qu’une dysfonction rénale ou pulmonaire est potentiellement génératrice d’un déséquilibre acido-basique.
Les termes « acidémie » et « alcalémie » sont utilisés pour désigner un pH sanguin bas ou haut. L’acidose et l’alcalose sont l’ensemble des processus qui tendent vers l’acidification ou l’alcalinisation sanguine, sans pour autant l’atteindre. Le pH sanguin veineux normal est autour de 7,35. Il s’accompagne d’une teneur sanguine en CO2 de 40 mm Hg et d’une concentration en bicarbonates autour de 22 mmol/l. L’acidémie est qualifiée de sévère en deçà de 7,2, quand l’alcalémie est sévère au-delà de 7,45. Elles doivent être spécifiquement corrigées respectivement en deçà de 7,1 et au-delà de 7,5.
Les modifications de pH sanguins ont un certain nombre d’impacts pathogéniques et sont susceptibles de perturber les grands équilibres de l’organisme. Une légère acidémie améliore l’extraction de l’oxygène au niveau tissulaire, ce qui est avantageux pour le réanimateur. Mais comme l’a nité de l’hémoglobine est réduite, elle capte moins bien l’oxygène au niveau des poumons et ceci d’autant plus que l’acidémie est importante. Une acidémie sévère induit donc une mauvaise saturation de l’hémoglobine. De façon inverse, l’alcalémie améliore énormément l’a nité de l’hémoglobine pour l’oxygène, elle la capte donc très bien au niveau pulmonaire mais la délivrance de l’oxygène aux cellules est mauvaise. Quelle que soit sa sévérité, l’alcalémie est l’ennemi du réanimateur.
Une acidémie avec un pH inférieur à 7,2 induit une insulinorésistance, ce qui implique que dans la gestion d’un diabète acido-cétosique, l’insulinothérapie ne pourra être initiée qu’à partir du moment où le pH sera remonté au-dessus de 7,2. Aussi, pour un pH inférieur à 7,2, les récepteurs adrénergiques responsables de la force de contraction du coeur (â-adrénergiques), de la vasoconstriction (á-adrénergiques) perdent leur efficacité de sorte que sont observées une réduction du débit cardiaque, du flux sanguin hépatique et rénal et de la contractilité myocardique et une augmentation de la vasoconstriction veineuse, de la vasodilatation artérielle et une incidence accrue des arythmies et fibrillation ventriculaires. Les troubles rythmiques rencontrés lors de syndrome dilatation-torsion de l’estomac sont souvent le fait de l’acidémie. Également, l’acidose métabolique est responsable d’une tachypnée ample. Enfin, lors d’acidémie métabolique aiguë, il est classique d’observer une hyperkaliémie. Lorsqu’elle devient chronique, l’activation du système rénine-angiotensine-aldostérone favorise secondairement l’élimination des acides et du potassium qui va conduire à une hypokaliémie. L’acidémie augmente la concentration en calcium ionisé.
> L’alcalémie est responsable de troubles neurologiques (vasoconstriction cérébrale) de type agitation, désorientation, coma ou convulsion, d’iléus digestifs pouvant favoriser la translocation bactérienne, de modifications métaboliques favorisant initialement une hypokaliémie et une hypocalcémie. La compensation respiratoire d’une alcalose métabolique est souvent faible, ce qui aggrave l’alcalémie. Interactions pharmacologiques Le pH est susceptible de modifier l’efficacité de certains médicaments acides faibles, comme le furosémide et la lidocaïne. C’est pourquoi en réanimation le furosémide est utilisé en titration. Normaliser le pH permet également de récupérer l’efficacité thérapeutique des catécholamines (dobutamine, noradrénaline).
Des études ont montré l’impact négatif d’une acidémie sévère sur le pronostic. Dans un contexte traumatique, l’acidémie couplée à une hypoxie et une hypothermie favorise l’émergence de coagulopathies traumatiques. De même lors d’états convulsifs, de diabète compliqué, de lipidose hépatique, d’intoxication à l’éthylène glycol, la connaissance du pH sanguin est une information pronostique pertinente.
La mesure de la pression partielle en CO2 et le calcul de la concentration sanguine en bicarbonates sont des éléments à connaître conjointement à la valeur de pH sanguin. L’hypoventilation - i.e. l’hypercapnie ou l’acidose respiratoire - tend vers l’acidémie. À l’inverse, une hyperventilation - i.e. une hypocapnie ou une alcalose respiratoire - tend vers l’alcalémie. Ces situations dites de troubles respiratoires sont identifiées par la modification initiale de la pression partielle en CO2 allant dans le même sens biologique que la variation du pH. A contrario, si la perturbation initiale - i.e. dans le même sens que le pH - concerne les bicarbonates, le processus est dit métabolique.
Une augmentation des bicarbonates est une alcalose métabolique alors qu’une réduction des bicarbonates est le support d’une acidose métabolique.
La connaissance de ces trois paramètres permet donc d’identifier la cause primaire et de la corriger au besoin. Enfin, la confrontation de ces paramètres par rapport aux capacités attendues de compensation de l’organisme permet de déterminer si le trouble acido-basique observé est simple ou complexe comme, par exemple, lors de gastro-entérite. En effet, dans ce contexte, les vomissements sont responsables d’une alcalose métabolique par perte d’acide tandis que la diarrhée, par perte de bicarbonates, provoque une acidose métabolique. La mesure de la pression partielle en CO2 et des bicarbonates permettent d’identifier le trouble acido-basique comme complexe et d’adapter le traitement en conséquence.