VÉTÉRINAIRES : OÙ SONT LES HOMMES ? - La Semaine Vétérinaire n° 1876 du 20/11/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1876 du 20/11/2020

DOSSIER

Auteur(s) : CHARLOTTE DEVAUX

PARMI LES VÉTÉRINAIRES DE MOINS DE 40 ANS, 70 % SONT DES FEMMES. UN PHÉNOMÈNE QUI S’EXPLIQUE EN PARTIE PAR LES STÉRÉOTYPES DE GENRES ET LE MARKETING DES JOUETS QUI ORIENTENT, TRÈS JEUNE, LES FILLES VERS LES ANIMAUX ET LE CARE. SUSCITER DES VOCATIONS MASCULINES, PROCHAIN DÉFI DE LA MARQUE VÉTÉRINAIRE ?

Ce n’est qu’en 1962, soit deux cents ans après la création de la première école vétérinaire, que les filles ont commencé à pénétrer dans les écoles vétos. En 1962-1963, elles représentent 4,4 % des effectifs et 8,4 % deux ans plus tard. À partir des années 1970, la part des femmes augmente rapidement et régulièrement pour atteindre 50 % d’étudiantes en 1990 et 75 % actuellement. Le 1er février 2017, le tableau de l’Ordre a atteint la parité parfaite avec 50 % d’inscrites. Depuis lors, la profession vétérinaire ne fait que se féminiser, et compte 53 % de femmes actuellement, soit plus que la profession de médecin (47 %) et de dentiste (45 %).

Une orientation soumise aux stéréotypes de genre

Pour Christine Fontanini, professeure de sciences de l’éducation à l’université de Lorraine, qui depuis plus de dix ans travaille spécifiquement sur la profession vétérinaire et sa féminisation, les raisons de la féminisation massive de la profession vétérinaire sont à chercher dans ce que la société offre comme modèle aux petites filles et aux petits garçons. « Le développement de la médecine canine a permis aux filles de se projeter à soigner des chiens et des chats mignons, correspondant à l’univers dans lequel elles sont baignées étant enfant », explique-t-elle. Si, jusque dans les années 1960, l’exercice du métier est principalement focalisé sur les animaux de rente nécessitant force et endurance, des qualités considérées comme spécifiquement masculines, la médecine canine et féline rend davantage possible pour les femmes l’exercice de cette profession car ce secteur d’activité est estimé comme nécessitant plutôt des qualités dites féminines. « Les femmes ressentent un degré de congruence plus fort entre l’image de soi et l’exercice de la médecine des animaux de compagnie, car elle renvoie aux qualités attendues chez les femmes dans notre société telles que la douceur, la compassion et la bienveillance », ajoute-t-elle. Car si l’on observe une majorité de filles dans toutes les études de biologie, après la prépa biologie, chimie, physique et sciences de la Terre (BCPST), il existe tout de même une polarisation de celles-ci sur la profession vétérinaire. Ainsi, on observe une part un peu moins importante de filles en écoles d’agronomie (65 %) que dans les écoles vétérinaires (75 %). D’autre part, à l’issue de la terminale scientifique, les parents laissent probablement plus les filles excellentes que les garçons excellents se diriger vers une préparation BCPST ; les garçons étant davantage guidés vers une classe préparatoire de mathématiques et physique. Claudine Hermann, physicienne, première femme à avoir été nommée professeure à l’École polytechnique et présidente d’honneur de l’association Femmes & Sciences qu’elle a cofondé en 2000, surenchérit : « Les petites filles sont éduquées à s’occuper des autres, c’est pourquoi on les retrouve en majorité dans les métiers du care. On ne les éduque pas à la mécanique. Les mesures mises en place depuis les années 2000 par l’éducation nationale ne sont pas efficaces car le problème est celui de la société, il est ancré avant même l’intervention de l’école. » En 2008, Christine Fontanini a étudié un corpus de catalogues de jouets et jeux vidéo d’enseignes diverses. Elle a remarqué que s’amuser à être vétérinaire n’est proposé qu’aux petites filles, à partir de 3 ans, puisque les jouets sont placés dans la partie rose des catalogues. Son examen des jeux vidéo a révélé que le thème le plus présenté aux filles concerne les animaux et notamment l’activité « soin aux animaux ». De même, toutes les revues explicitement destinées aux petites filles comprennent une rubrique « animaux », contrairement aux revues destinées aux garçons. Les jeux de vétérinaire sur Internet ont aussi des filles pour principaux personnages. « Le manque de modèle masculin tend probablement à ce que les garçons se détournent de ces professions », conclut-elle. En explorant l’offre de Playmobil vétérinaire, le même constat peut être fait. Le Playmobil vétérinaire canin est souvent une femme avec une casaque rose, dans une clinique rose et l’enfant sur la boîte une fille avec un t-shirt rose. Du côté des livres, les vétérinaires sont des filles : Barbie, Julie, Flora… Comment un garçon peut-il se projeter en tant que vétérinaire si les jouets et livres sur les vétérinaires sont délibérément ciblés envers les filles ?

En perte de vocations masculines

Christine Fontanini a interviewé des étudiants et étudiantes de l’école de Toulouse sur leurs motivations à devenir vétérinaire ainsi que leurs aspirations futures au sein de la profession. « Les garçons interrogés ne se sentaient pas dans une profession féminine, sûrement car le métier de vétérinaire était jusqu’à assez récemment un métier masculin et que ses instances sont encore majoritairement masculines. Cependant, certains rapportent s’être fait moquer pour leur choix d’orientation vers les études vétérinaires », explique-t-elle. La profession vétérinaire, perçue comme féminine par l’image prépondérante des vétérinaires canins, n’attire alors plus les garçons qui ne sont pas socialisés pour se diriger vers les métiers du care. Déjà en 1998, un membre de l’Ordre des vétérinaires s’inquiétait dans la Revue de l’Ordre vétérinaire : « Devrons-nous bientôt établir des quotas pour préserver un minimum de places pour les garçons ? » Ce à quoi Christine Fontanini rétorque : « Y aurait-il des garçons pour les remplir ? » En prépa BCPST, 70 % des candidatures sont féminines, la sélection genrée a donc lieu bien plus tôt. Claudine Hermann n’est pas contre les quotas, elle qui est une ancienne élève de l’École normale supérieure de jeunes filles (ENSJF). Pour elle, « contrer les tendances sociales nécessite un acte volontaire, une volonté politique en faveur de l’égalité, sinon le changement est trop lent. En politique, le déblocage ne s’est fait qu’en 2000 avec la loi sur la parité qui a permis de passer de 10 % à 35 % de femmes députées. » Cependant, elle rappelle que « si l’on souhaite mettre des quotas pour favoriser les garçons dans les filières très féminisées, il faudra mettre les mêmes dans les filières à prédominance masculine ».

Une profession féminisée mais pas encore women-friendly

Le basculement de la démographie vétérinaire en faveur des femmes a-t-il instauré le matriarcat dans la profession ? Loin de là. Christine Fontanini invite à se pencher sur la proportion de garçons dans les internats, assistanats et résidanats qui est bien plus importante que celle du cursus initial. Cela correspond à la fois à une auto-élimination des filles qui sont moins candidates proportionnellement à leur représentation au sein du cursus initial mais pourrait aussi suggérer la persistance d’un plafond de verre au sein de la profession. De même, le fonctionnement de la profession et des cliniques se fait encore sur l’ancien modèle masculin de la valorisation de la disponibilité, voire du présentéisme. Ce modèle n’est pas compatible avec les contraintes sociétales qui pèsent sur les femmes, elles le savent très tôt, avant même de subir ces contraintes et elles prévoient les adaptations nécessaires. Ainsi, lorsque Christine Fontanini demande dans ses interviews des étudiants et étudiantes, comment est vue l’articulation future de la vie familiale et professionnelle, les garçons ont plus tendance à répondre « on verra bien » ou « ma femme fera de la canine », alors que les filles envisagent soit le temps partiel soit de déléguer les taches qui leur incomberont à une autre femme : de ménage ou assistante maternelle. La chercheuse constate qu’encore aujourd’hui aucune des filles interrogées n’envisage d’exiger de son futur conjoint qu’il fasse sa part et assume la moitié des charges inhérentes au foyer. Pour elle, « les femmes avanceront dans leurs carrières et dans leurs choix quand elles remettront en question l’organisation du travail domestique ». Ses interviews montrent donc des attentes envers les femmes pour qu’elles fassent de la canine afin de pouvoir s’occuper des enfants alors que plus tard ces contraintes familiales qu’elles supportent leur seront reprochées à l’embauche. La situation pourrait se résumer ainsi : « Si c’est ma femme, je veux qu’elle fasse de la canine et soit disponible pour s’occuper des enfants, si c’est mon employée, je veux qu’elle soit disponible pour le travail et sans contraintes familiales. » travail et sans contraintes familiales. »

REDORER L’IMAGE DE LA PROFESSION AUX YEUX DES GARÇONS

Après avoir lu le travail de Christine Fontanini, professeure de sciences de l’éducation, on comprend que, si la profession vétérinaire veut attirer des garçons, la bataille doit se mener au niveau des jouets et autres représentations du métier données aux enfants. Avec la diffusion de la série Daktari dans les années 1970, de nombreux vétérinaires ont expliqué leur vocation en disant « je suis de la génération Daktari ». Si aujourd’hui les jeunes filles sont de la génération Barbie vétérinaire, Léa vétérinaire et Jennifer vétérinaire, la profession pourrait-elle présenter de nouveaux rôles, modèles vétérinaires ? La marque « Vétérinaire pour la vie et pour la planète » ne serait-elle pas un outil approprié ? Après le film Les Vétos, à quand les Playmobil véto rural homme comme femme, à quand la série Boules de fourrure avec notre confrère Sylvain Balteau qui tient le blog du même nom, ou le jeu vidéo Dr Toudou inspiré par le compte Twitter éponyme tenu par notre confrère et déjà suivi par près de 8 000 personnes en moins de deux ans d’existence. Un moyen de susciter des vocations chez la gent masculine ? Car si les chercheuses peuvent nous permettre de comprendre les mécanismes du déséquilibre, les actions politiques à mener en conséquence restent du ressort de la profession.

PASSER D’UNE PROFESSION FÉMINISÉE À UNE PROFESSION FÉMINISTE

Si les femmes vétérinaires sont majoritaires en nombre, elles sont encore bien trop invisibilisées, notamment dans la langue. La directive concernant la féminisation des noms de métier, titres et fonction qui date de 1984 n’est toujours pas appliquée dans la profession, qui montre la plus grande réticence à écrire « Docteure » ou « Doctoresse ». Pourtant, Christine Fontanini alerte : « Ce qui n’est pas nommé n’existe pas. » Claudine Hermann abonde dans son sens : « La féminisation des termes est une question de visibilité. » Ce sont pour toutes ces questions de langage comme de lutte pour une meilleure répartition des tâches que s’est créé le Collectif Vétérinaires Féministes, qui regroupe une centaine de vétérinaires souhaitant agir pour une profession vétérinaire égalitaire. Dotées d’une page Facebook et d’un compte Instagram, les membres de ce collectif militent pour une profession en avance sur la société en matière d’égalité des genres.

J’ai souffert du syndrome de l’imposteur

TÉMOIGNAGE

AMÉLIE KPADÉ (L 07) Vétérinaire en canine à Saint-Bonnet-de-Mure (Rhône), administratrice de la page Facebook Collectif Vétérinaires Féministes

Quand j’avais 4 ans, j’ai dit que je voulais être vétérinaire. Dans ma famille, c’est resté comme mon souhait initial et je n’ai pas vraiment osé en décrocher. Au final, c’est presque un hasard que ça me plaise. Je suis rentrée à l’école pour faire de la rurale. À la sortie, alors même que je faisais des césariennes quasiment toute seule suite à mes stages, je ne me sentais pas légitime. J’ai beaucoup souffert du syndrome de l’imposteur, et encore plus en rurale, alors que des garçons de ma promo se sont lancés sans être bien meilleurs que moi. J’ai senti que dans la profession les femmes n’étaient pas forcément bien vues, en entretien j’ai entendu « bon, ben de toute façon on ne trouve plus que des femmes maintenant », j’ai vu plusieurs fois des entretiens d’embauche basculer parce que j’étais en couple et en âge d’avoir des enfants. J’ai aussi été harcelée sexuellement par l’un de mes patrons qui me mettait des mains aux fesses. Dans une autre clinique où j’avais raconté mon harcèlement, mon patron m’a dit « faut pas t’étonner de te faire harceler si tu te balades comme ça à la clinique » parce que j’étais en débardeur pour enfiler une blouse de chirurgie… Si aujourd’hui nous avons créé le Collectif Vétérinaires Féministes, c’est pour que tout cela cesse, que les femmes se sentent légitimes en rurale comme ailleurs, qu’elles osent demander une augmentation, n’aient pas honte de faire des enfants et ne laissent plus rien passer en cas d’agression sexuelle.

Un congé deuxième parent obligatoire pour mettre fin à la discrimination à l’embauche

TÉMOIGNAGE

LAURENCE CRENN (A 03)

Vétérinaire solo en canine à Lons-le-Saunier (Jura)

Soigner les animaux était le métier de mes rêves depuis mon enfance. À mes débuts en tant que vétérinaire, je ne me sentais pas légitime, j’avais l’impression de devoir faire beaucoup plus mes preuves parce que j’étais une femme : soit les clients me prenaient pour la stagiaire, soit mes patrons posaient un regard paternaliste sur mon travail. Être enceinte et avoir des enfants m’a fait prendre conscience que femmes et hommes n’étaient pas sur un pied d’égalité, notamment face à la couverture santé ou la perte de revenus liée à la baisse d’activité. Aujourd’hui, le fait que le deuxième parent n’ait pas de congé obligatoire produit une forme de concurrence déloyale vis-à-vis des femmes enceintes qui sont les seules à devoir s’absenter de leur travail pour avoir des enfants. En instaurant un congé deuxième parent obligatoire, de durée égale au congé maternité et bien indemnisé, on pourrait mettre fin à la discrimination à l’embauche puisque le fait d’avoir un enfant impliquerait pour les deux sexes de quitter son emploi quelques mois.

PLAFOND DE VERRE ET PLANCHER COLLANT

Premier phénomène de la sociologie des femmes au travail à avoir été mis en évidence, le « plafond de verre » est une expression américaine (« glass ceiling ») importée en France en 2004 par la sociologue Jacqueline Laufer dans son article « Femmes et carrières : la question du plafond de verre » : « Partout on constate que les femmes sont de plus en plus rares au fur et à mesure que l’on s’élève dans la hiérarchie et qu’elles demeurent minoritaires dans les postes de décision et de responsabilité de haut niveau. » Plus récemment, des études se sont intéressées au phénomène de « plancher collant » qui explique que, dès leur entrée dans la vie professionnelle, les femmes sont cantonnées dans des fonctions périphériques et excentrées, à des postes qui ne constituent pas la voie royale pour gravir les échelons.

Nul besoin de faire du présentéisme pour être un « bon » vétérinaire

TÉMOIGNAGE

CAROLINE DABAS (T 93)

Vétérinaire associée en canine à Langon (Gironde) et conseillère ordinale au conseil régional de l’Ordre (CRO) Nouvelle-Aquitaine

En 1987, après le bac, j’ai hésité entre faire médecine ou vétérinaire. Mais les animaux, surtout les chevaux, l’ont emporté. Je voulais vraiment faire de la mixte, je me suis formée par des stages volontaires pendant mes études à Toulouse. Le côté « touche-à-tout » du veto mixte, à patrouiller en campagne au volant, c’était mon idéal professionnel. Mais en 1993 les confères recruteurs ne voulaient que des garçons ! On me répondait « on vous rappellera si aucun homme ne postule ». J’ai donc fini par créer ma clinique canine-équine. J’ai eu trois enfants, l’exercice libéral m’a permis de m’organiser comme je le voulais : arrêt de l’équine, mercredis après-midi libres. C’était un choix avec des conséquences financières, mais j’ai toujours choisi d’adapter mon temps de travail à mes besoins financiers. Le côté obscur a été une charge mentale colossale, dont je me rends compte maintenant. Aujourd’hui, des solutions sont à trouver au sein des entreprises vétérinaires pour alléger la charge mentale des femmes : temps de travail et horaires adaptés et modulables, congé paternité élargi, services annexes (places en crèche d’entreprise). Les mentalités doivent changer : on n’a pas besoin de faire du présentéisme pour être