LES SYNDICATS ACCUSENT - La Semaine Vétérinaire n° 1878 du 04/12/2020
La Semaine Vétérinaire n° 1878 du 04/12/2020

ÉCOLES VÉTÉRINAIRES PRIVÉES

ANALYSE

Auteur(s) : TANIT HALFON

Les instances syndicales vétérinaires affirment ne pas avoir été consultées par le ministère de l’Agriculture sur le projet d’ouvrir l’enseignement vétérinaire au privé, et avoir appris l’existence d’un projet d’amendement sur ce sujet peu de temps avant son dépôt au Sénat.

Les vétérinaires, à travers leurs instances syndicales, ont-ils été associés au projet d’écoles vétérinaires privées ? Non, répondent collectivement les syndicats, qui affirment d’une part ne pas avoir participé avec le ministère à réfléchir collectivement aux enjeux posés par un système d’enseignement vétérinaire privé ; d’autre part, avoir été mis devant le fait accompli, à savoir le dépôt de deux amendements au Sénat demandant l’ouverture de la formation vétérinaire au privé. Ce n’est qu’au mois d’octobre - pour rappel, le dépôt des amendements au Sénat date du 14 octobre - qu’ils auraient eu la confirmation d’un projet imminent de modification législative, à travers la loi en discussion de programmation de la recherche. Le Syndicat national de l’enseignement technique agricole public Fédération syndicale unitaire (Snetap-FSU) l’avait indiqué dans un communiqué du vendredi 9 octobre dernier : « Informé qu’un projet d’amendement à la loi de programmation pluriannuelle de la recherche pourrait être actuellement à l’arbitrage du Premier ministre avant un passage devant le Sénat, le Snetap-FSU a donc interpellé le cabinet de Jean Castex. Celui-ci l’a renvoyé vers le ministère de l’Agriculture, assurant que la discussion était encore au niveau du ministère de l’Agriculture. » Une rencontre a eu lieu le mardi 6 octobre avec le représentant du ministre, en la personne de Michel Lévêque, conseiller enseignement agricole, formation, apprentissage, emploi auprès du ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation. Lors de ce rendez-vous, a été confirmé qu’il existait un projet de modification du code rural et de la pêche maritime à la demande notamment de l’institut UniLaSalle. « Le représentant du ministre a insisté sur le fait que le ministère est encore en réflexion sur le sujet et n’a pris aucune décision. »

Des bruits de couloir

« Nous avons réexprimé notre opposition à ce projet lors de ce rendez-vous, commente Bruno Polack, enseignant chercheur à l’EnvA et membre du Snetap-FSU. Nous avons aussi demandé un rendez-vous auprès du conseiller chargé de l’enseignement du Premier ministre puisque l’amendement prévu était à l’arbitrage du Premier ministre d’après M. Michel Lévêque. Ce rendez-vous ne nous a jamais été accordé. » La Fédération des syndicats vétérinaires de France (FSVF) avait également obtenu un rendez-vous courant octobre avec Michel Lévêque. Mais selon Laurent Perrin, président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL), « le sujet avait de nouveau été évoqué mais toujours sans aucune précision ». Ce projet d’amendements parlementaires, il ne l’a su que « lorsqu’ils ont été déposés au Sénat ». « Tout ce que nous avons pu faire, dans ces délais très courts et contraints, est de rédiger avec les autres syndicats de la profession une position commune que nous avons transmise à la commission mixte paritaire », complète-t-il. « Ce n’est que très tardivement que nous avons été informés avant le dépôt officiel par les sénateurs, dit aussi Jean-Yves Gauchot, président de la FSVF. Cela ne nous a pas laissé le temps nécessaire pour organiser une concertation et un débat avec l’ensemble de nos adhérents et la profession. Je rajoute que ni la FSVF, ni les syndicats qui la composent n’ont été auditionnés par les sénateurs porteurs de ces amendements. » « Des bruits circulaient sur la possibilité d’un dépôt d’amendement au Sénat mais nous n’en étions pas certains », explique Vanessa Louzier, enseignante-chercheuse à VetAgro Sup et présidente de la Fédération syndicale des enseignants des écoles vétérinaires (FSEEV). Si ces « bruits de couloir » relatifs à un dépôt d’amendements semblent donc s’être intensifiés tout récemment, l’idée d’ouvrir l’enseignement vétérinaire au privé est revenue officiellement sur le devant de la scène fin 2019. Bruno Polack est très clair : « Nous avons été alertés fin 2019 que le projet d’UniLaSalle était relancé. »

Mais pour bien comprendre, il est utile de revenir au tout début de l’histoire, soit une dizaine d’années en arrière. Nous sommes en 2009, et l’institut de formation privée UniLaSalle fait pour la première fois parler publiquement de lui. Il s’appelait alors Institut polytechnique LaSalle Beauvais1.

Une histoire ancienne

À cette époque, avait été annoncée par communiqué de presse2 de la ville de Beauvais (Oise) que le ministre de l’Agriculture, Michel Barnier, avait donné son feu vert pour la création d’une école vétérinaire privée. Une annonce, en réalité, trop catégorique puisque le ministre disait seulement être favorable à envisager une création. Et trop précipitée puisqu’au final cela n’aboutira jamais. À l’époque, dans nos colonnes, Michel Baussier, alors vice-président du conseil de l’Ordre, disait : « Il y avait quelques éléments intéressants à étudier (…) Mais il est vite apparu que ce projet relevait d’une entente entre cet établissement et le ministère de l’Agriculture à l’insu des organisations professionnelles vétérinaires, tout étant déjà ficelé. La concertation, tardive de surcroît, n’était en réalité que d’apparence et sans eff et sur les objectifs visés et les moyens de les atteindre. » Depuis, l’institut UniLaSalle a continué à travailler sur le dossier. Pour finalement avoir de nouveau une oreille attentive de la part du ministère de l’Agriculture en 2019. Cette année-là, pourtant, semblait se dérouler dans la continuité des choses, pour l’enseignement vétérinaire public. En eff et, en juillet 2019 avait lieu un séminaire sur l’enseignement vétérinaire, organisé par la FSVF. Vanessa Louzier nous en explique la teneur : « Il nous semblait important de réfléchir avec l’ensemble de la profession sur ce que nous souhaitions pour l’enseignement vétérinaire. C’était un séminaire unique car c’était la première fois que les enseignants, la tutelle et tous les acteurs de la profession vétérinaires libéraux et non libéraux se mettaient autour de la table pour discuter de l’avenir de l’enseignement vétérinaire. Nous avions demandé qu’un volet financement des études vétérinaires soit abordé dans ce séminaire. La DGER (direction générale de l’Enseignement et de la Recherche, ndlr) n’a pas voulu et ce volet financement devait faire l’objet d’un second séminaire en 2020 qui n’a pas pu avoir lieu compte tenu de la crise sanitaire. »

Un tournant en 2019

Ce séminaire a finalement abouti à l’élaboration d’une feuille de route pour l’enseignement vétérinaire. Parmi les quatre orientations définies, une d’entre elles visait à augmenter le nombre de vétérinaires formés. « Pour ce qui est de ce séminaire ou de cette feuille de route il n’a jamais été question d’ouvrir des établissements vétérinaires privés pour répondre aux enjeux identifiés au cours de ce séminaire », explique Vanessa Louzier. Par ailleurs, elle souligne aussi que la question du maillage avait été prise en considération dans une autre orientation - « faire évoluer la formation dispensée dans les ENV » -, et « là encore, elle ne passe pas par la création d’écoles vétérinaires privées ». Mais en parallèle, le projet d’UniLaSalle était bel et bien revenu sur le devant de la scène, comme le confirment Jean-Yves Gauchot et Laurent Perrin. « Il nous avait été présenté par UniLaSalle, notamment lors d’une réunion à l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture et lors d’échanges au salon international de l’agriculture, en 2019 », indique Laurent Perrin. « Lors de plusieurs CNESERAAV (Conseil national de l’enseignement et de la recherche agricole, agroalimentaire et vétérinaire, ndlr) en 2019 et 2020, la question a été posée par les syndicats, il nous a toujours été répondu qu’il n’y avait pas de projet de modification de la loi par le gouvernement mais qu’un projet porté par UniLaSalle avait été déposé à la DGER en vue de la création d’une école vétérinaire privée », complète Jean-Yves Gauchot. Ce dernier organise alors en interne une réflexion sur les forces et faiblesses, opportunités et menaces d’un système privé d’enseignement vétérinaire. Il avait d’ailleurs accordé une interview à La Semaine vétérinaire3 à ce sujet, publiée en novembre 2019. Il déclarait : « Il y a eff ectivement actuel lement un projet d’une cinquième EVP qui revient sur le devant de la scène politique vétérinaire. Des acteurs privés ont sollicité le gouvernement avec des arguments qui ne peuvent laisser indiff érent (…) Nous travaillons avec les autres OPV, afin de disposer d’une analyse complète. » Durant de cette interview, il soulignait la nécessité de disposer d’une étude d’impact.

Nous sommes alors à la fin de l’année 2019. Tous les syndicats sont au courant que la proposition d’UniLaSalle est sur la table du ministère. C’est à ce moment-là que les choses s’emballent.

Un discours flou de la DGER

Au cours d’un CNESERAAV en décembre 2019, la DGER indique qu’un groupe de travail avec le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV) va être constitué à ce sujet, affirme Bruno Polack. Jean-Yves Gauchot confirme avoir également eu vent d’un hypothétique groupe de travail, ce qui l’amène à envoyer un mail au ministère. « J’ai demandé à la DGER d’associer la FSVF. Il m’a été répondu que les syndicats seraient consultés mais ne seraient pas membre de droit de ce groupe. J’ai alerté le directeur de la DGER de la faute politique de ne pas associer les syndicats à cette réflexion et depuis, plus rien ! » Quelques mois plus tard, lors de la séance du 25 juin 2020 du CNESERAAV, Bruno Polack indique qu’à la question d’un éventuel amendement parlementaire, la DGER lui a répondu que le ministère de l’Agriculture n’avait aucun projet de création d’école privée. Nous n’avons pas pu consulter les comptes-rendus des séances du CNESERAAV. Les seuls documents accessibles sont des synthèses rédigées par un autre syndicat, Force ouvrière Enseignement agricole et Anses. Celui de la séance de décembre 2019 est manquant. Dans celui de juin 2020, ne figurent pas de passages sur les écoles vétérinaires privées. En revanche, dans celui de la séance du 8 septembre 2020, il est écrit, à propos d’un projet de décret relatif à la refondation de l’enseignement vétérinaire : « Les écoles vétérinaires privées ne sont pas autorisées. La DGER défend le service public en confortant un diplôme solide et robuste partagé. » Ceci dit, selon Jean-Yves Gauchot, la possibilité d’amendements sur un enseignement vétérinaire privé avait été évoquée à demi-mot par le ministère, cet été : « La DGER a fait état courant juillet 2020 qu’une initiative parlementaire de modification législative pourrait avoir lieu sans plus de précision. »

Et maintenant ?

Dans cette aff aire, les syndicats dénoncent un manque de concertation, mais aussi un flou entretenu par la DGER. « À aucun moment, les échanges avec la DGER n’ont pu dépasser le stade de bribes d’informations sur cet hypothétique projet. Nous n’avons jamais été réellement consultés », dit Laurent Perrin. « À aucun moment, les enseignants des écoles n’ont été consultés sur le sujet », dit Vanessa Louzier. Elle ajoute : « Outre le sujet sur l’existence des écoles vétérinaires privées, cette façon de procéder est indigne de notre démocratie et de notre profession. Il ne faudrait pas que l’objectif poursuivi par l’État avec ce projet de loi sur la création d’écoles vétérinaires privées n’ait été fait que pour que l’État puisse se désengager financièrement de ses obligations en matière de besoin en vétérinaires en France. Notre profession mérite mieux qu’un amendement adopté en catimini pour sa formation. Un vrai débat doit s’engager. » Au Snetap-FSU, on va plus loin : « C’est intentionnellement que le ministère a avancé par le biais d’un amendement sénatorial, qui, comme par hasard, a été soutenu par le gouvernement. »

Maintenant que la loi a été adoptée, que va-t-il se passer ? Un recours est-il possible ? Oui, par l’intermédiaire du conseil constitutionnel, et des députés de l’opposition ont déjà annoncé leur intention de s’en saisir. Malgré cela, pour Laurent Perrin, il faut se préparer pour la suite : « Nous concentrons notre énergie sur la rédaction des décrets et la réelle prise en compte de nos exigences. Si tel n’était pas le cas, la profession se devrait de réagir à un projet qui alors lui serait étranger et imposé. »

1. L’institut a changé de nom en 2016, à la suite d’une fusion avec l’École supérieure d’ingénieurs et de techniciens pour l’agriculture (Esitpa). Puis il a fusionné avec deux autres établissements, ce qui fait qu’aujourd’hui il dispose de quatre campus, situés à Beauvais, Rouen, Rennes et Amiens.

2. www.bit.ly/3fNxPAZ

3. www.bit.ly/39yclah

Le rôle de l’Ordre

L’Ordre des vétérinaires a-t-il été associé à des réflexions sur un projet d’ouvrir l’enseignement vétérinaire au privé ? A-t-il été consulté par la direction générale de l’Enseignement et de la Recherche (DGER) sur les amendements ? À ces questions, il nous a été répondu que le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV) avait été informé du projet d’amendement, et sollicité par la DGER sur un point technique relevant de sa compétence. Aucun groupe de travail n’a été évoqué. Voici la réponse complète de Jacques Guérin, président du CNOV : « En tant que personne morale de droit privé, chargée d’une mission de service public, la compétence de l’Ordre des vétérinaires est définie par la loi : les textes relatifs à la formation initiale vétérinaire ne relèvent pas de la compétence de l’Ordre des vétérinaires. L’Ordre des vétérinaires a été informé des projets d’amendement au même titre que le Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral et la fédération des syndicats vétérinaires français. Le rôle de l’Ordre des vétérinaires, dans le cadre défini par la loi, a été de vérifier que la position ordinale des vétérinaires enseignants salariés d’un éventuel établissement privé d’enseignement supérieur vétérinaire, d’intérêt général, agréé par le ministère de l’Agriculture, envisagée par les parlementaires était régulière : ils seront pleinement soumis à la juridiction ordinale. Dès lors, la question de l’ouverture d’un cursus de formation vétérinaire par un établissement d’enseignement supérieur agricole privé agréé a fait l’objet d’un communiqué le 21 octobre 2020 précisant la position de l’Ordre des vétérinaires. L’Ordre des vétérinaires sera vigilant au respect des exigences formulées dans ce communiqué. »

QUE DIT LA DGER ?

Lors d’une première sollicitation1 faite à la suite du dépôt des amendements au Sénat, la direction générale de l’Enseignement et de la Recherche (DGER) nous avait indiqué que « la profession vétérinaire a eu l’occasion d’exprimer ses préoccupations sur ce sujet notamment lorsqu’elle a été reçue par le cabinet du ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation. Les dispositions prévues leur ont été expliquées et les garanties qui ont été données répondaient à leurs attentes. Bien entendu, ils ont exprimé la vigilance qu’ils comptent assurer dans le suivi. » Quand exactement cette rencontre a-t-elle eu lieu ? À cette question, la DGER n’a pas souhaité répondre. Côté syndicat, ce qui ressort des interviews est qu’ils ont été informés trop tardivement pour faire véritablement entendre leur voix. D’autres questions restent aussi en suspens : un travail préparatoire sur les enjeux d’un cursus privé a-t-il été fait au sein de la DGER ? Qui y a participé ? Depuis quand ? Ce qu’elle a voulu communiquer, en revanche, est que le ministère est en train de finaliser une convention de collaboration avec l’Association européenne des établissements d’enseignement vétérinaire (AEEEV) : « Le moment venu, l’association pourra mandater un groupe d’experts afin d’analyser le ou les projets. » Elle a ajouté aussi que les représentants de la profession vétérinaire seront associés à toutes les étapes du processus.

1.Voir La Semaine vétérinaire no 1876, pages 14-17.