UNILASALLE
ANALYSE
Auteur(s) : TANIT HALFON
Un recrutement en post-bac, 90 000 euros de frais de scolarité, une formation clinique en partenariat étroit avec des établissements vétérinaires privés… Voici quelques-uns des axes du projet de cursus vétérinaire privé proposé par UniLaSalle. Explications avec son directeur général, Philippe Choquet.
Philippe Choquet est le directeur général d’UniLaSalle. Cela fait une dizaine d’années qu’il réfléchit à l’ouverture d’un cursus d’enseignement supérieur vétérinaire, ce qui pourrait désormais être possible avec la récente adoption de l’article 45 de la loi de programmation de la recherche. Il a accepté de nous expliquer l’état d’avancement de son projet.
Depuis 2008. À l’époque, nous avions reçu un avis favorable de la part du ministre en charge de l’agriculture, Michel Barnier, et avions été en contact avec la DGER. Si le projet n’a finalement pas abouti, nous avons néanmoins continué à travailler le dossier, notamment en visitant de nombreuses écoles européennes. Nous avons fait au ministère une nouvelle proposition en 2015, puis en 2018 forts de notre étude européenne et de nos contacts avec le monde agricole. En 2019, nous avons fait le « tour du monde » vétérinaire - les ENV, les professionnels et les politiques - pour présenter le projet. De ce fait, si un décret d’application était publié d’ici le mois de juillet prochain, nous serions prêts pour accueillir notre première promotion dès la rentrée 2022.
Je constate que malgré tous les efforts déployés, le problème de l’attractivité des territoires ruraux n’est pas réglé. En parallèle, on constate aussi que le système français n’arrive pas à répondre à la demande croissante des jeunes, qui souhaitent s’engager dans la voie vétérinaire de sorte qu’ils sont obligés de s’expatrier pour le faire. Aujourd’hui, environ 400 des primo-inscrits au tableau de l’Ordre ont obtenu leur diplôme à l’étranger (sur un peu moins de 1 000 inscrits, ndlr). À cela s’ajoutent aussi des vétérinaires étrangers non inscrits à l’Ordre et qui évoluent dans d’autres secteurs d’activité, par exemple dans les abattoirs. Une augmentation de l’offre de formation vétérinaire en France, dont la qualité est contrôlée, permettrait de contrebalan cer en partie ce phénomène. Le caractère très discriminant du système vétérinaire actuel pose également problème : si le recrutement s’est effectivement diversifié ces dernières années, la voie royale demeure celle la classe préparatoire. Sans oublier la hausse globale de l’activité des praticiens, les énormes carences dans les filières industrielles, dans les abattoirs… De plus, qu’est-ce qui justifie un monopole d’école publique quand on sait que plus de 90 % des vétérinaires diplômés travaillent dans le secteur privé ?
Le recrutement se ferait en post-bac, sur dossier et concours avec des épreuves pratiques et des entretiens oraux, comme cela est d’ailleurs prévu dès la rentrée prochaine dans les ENV, chose que nous prônions depuis 2008 ! Nous maîtrisons bien ce mode de recrutement, que nous mettons en œuvre depuis longtemps. Nous nous appuyons sur un réseau historique qui nous permet de trouver des bons candidats dans de nombreux lycées, y compris dans des zones rurales reculées.
Pour la suite, nous avons déjà défini un programme académique, même s’il reste encore des choses à affiner. C’est le cas notamment pour la formation clinique dont l’approche serait différente de celle des ENV. L’idée serait de dispenser une partie de l’enseignement clinique sur notre campus, et par ailleurs, de constituer un réseau de cliniques vétérinaires privées partenaires - en Normandie et dans le nord de la région parisienne - qui complèteraient la formation clinique de nos étudiants (système dit semi-distribué). Dans les structures privées, l’encadrement des étudiants serait assuré soit par un enseignant détaché dans la clinique partenaire, soit par un vétérinaire de la structure qui déciderait alors de consacrer une partie de son temps de travail à l’enseignement. Il serait bien-entendu formé à la pédagogie. Ce système nous paraît le plus intéressant à mettre en œuvre, car il évite que les étudiants ne soient exposés qu’à des cas référés. De plus, il est validé par l’A3EV, en témoigne l’exemple de l’école vétérinaire de l’université de Nottingham (Royaume-Uni). Comme dans les ENV, les étudiants seront tenus de soutenir une thèse. Nous visons une promotion de 120 étudiants et une durée de cursus de six ans.
Notre principe est que la dimension financière ne doit pas être un obstacle pour nos étudiants. Pour cela, nos étudiants ont accès à des systèmes de bourse, mais aussi peuvent prétendre à des prêts à taux zéro. Il est aussi à espérer que la loi Daddue, récemment votée, puisse contribuer à aider financièrement les futurs étudiants. Pourquoi pas imaginer également un rachat des années d’études par de futurs employeurs vétérinaires ou des centres de recherche ? À mon sens, 15 000 euros par an, ce n’est pas complètement aberrant par rapport à ce qui se pratique en écoles de commerce. Ceci dit, il convient d’analyser le montant de ces frais de scolarité au regard du coût complet des études. Selon la Cour des comptes, former un étudiant vétérinaire coûte entre 40 et 45 000 euros par an, soit un total d’environ 230 000 euros pour former un vétérinaire environ en incluant le coût de la prépa. Nous estimons que nous pouvons baisser ce coût à environ 140 000-150 000 euros, du fait notamment de coûts inférieurs, et d’une redistribution d’une partie des financements que nous recevons pour la formation des ingénieurs, vers le cursus vétérinaire. D’autres dispositifs - mécénat, formation continue, subventions des collectivités - vont permettre d’arriver à ce que les étudiants n’aient à débourser que 15 000 euros par an. Le delta est lié au financement public et aux ressources internes.
Nous suivrons les exigences de l’A3EV, notamment 75 % de nos enseignants-chercheurs seront des vétérinaires. On cherchera aussi à recruter autant que possible des enseignants ayant une sensibilité à la rurale. Concernant les difficultés de recrutement, je pense qu’il sera possible de pouvoir recruter des profils européens, via notre réseau. Par ailleurs, nous avons pris l’engagement de ne pas aller débaucher de professeurs dans les écoles existantes. Je précise que vu notre équilibre budgétaire, nous ne pourrons pas les payer plus cher qu’une ENV, nous ne ferons pas d’enchère salariale. Au total, ce sont 80 à 90 professeurs, majoritairement avec un doctorat, qui seront engagés sur une période de six ans, principalement en CDI.
Mon objectif est d’amener de la biodiversité dans le système français. En quoi est-ce une menace pour les écoles vétérinaires ? À ce sujet, je rappelle qu’en matière d’enseignement supérieur agronomique, 40 % des diplômés sortent d’une école privée. Par ailleurs, nous avons obtenu la qualification EESPIG1, et dans ce cadre, nous devons justifier tous les six ans d’une gestion désintéressée. De plus, notre projet s’inscrit dans le cadre défini par l’A3EV et la réglementation européenne : il ne peut donc pas y avoir de formation duale.
La sénatrice Sophie Primas, en tant que membre du conseil d’administration de l’école, était informée du projet d’ouvrir un cursus vétérinaire. Dans le cadre des discussions avec le ministère, assez vite il était apparu qu’une modification législative était nécessaire pour envisager une école vétérinaire privée. Quelques mois plus tard, elle nous a prévenus qu’elle comptait déposer un amendement avec d’autres sénateurs dans le cadre de la loi de programmation de la recherche (LPR) et ce avec le soutien du ministère. Nous n’avons pas participé à la rédaction de cet amendement.
1. Établissement d’enseignement supérieur privé d’intérêt général. Seuls les établissements d’enseignement supérieur privés à but non lucratif peuvent prétendre à cette qualification. www.bit.ly/2Lg2mw3