RECHERCHE
PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC
Auteur(s) : TANIT HALFON
Déjà utilisé en santé humaine, le méthotrexate à faible dose pourrait faire partie de l’arsenal thérapeutique du vétérinaire dans le traitement de la dermatite atopique canine. Son faible coût, par rapport aux traitements habituellement employés, rend la molécule particulièrement attrayante.
La dermatite atopique canine est une dermatose inflammatoire chronique qui coûte cher, notamment du fait du traitement immuno modulateur que l’animal devra prendre au long cours, pour les formes modérées à sévères. Si l’on prend l’exemple d’un golden retriever d’environ 30 kgs atteint de dermatite atopique modérée à sévère, le traitement avec une des molécules immunomodulatrices actuellement sur le marché aura un coût de 130 à 160 euros. Puis, en fonction de la réponse au traitement, une diminution progressive de la dose ou de la fréquence d’administration du médicament pourra être envisagée avec pour conséquence une baisse du coût aux alentours de 100 euros par mois. Actuellement à l’étude, une molécule immunomodulatrice, le méthotrexate, pourrait faire passer ce coût à 30 euros par mois, explique Marion Mosca, vétérinaire spécialiste en dermatologie, maître de conférences à VetAgro Sup et promotrice de l’étude. Le méthotrexate est un analogue structural de l’acide folique, aux propriétés anti-inflammatoire, immunosuppressive et cyto statique suivant la dose employée, ce qui lui vaut d’être utilisé en médecine humaine en cancérologie à forte dose quotidienne, mais aussi à faible dose pour le traitement de maladies auto-immunes ou à médiation immune, comme la polyarthrite rhumatoïde, la maladie de Crohn ou le psoriasis. Actuellement, en dermatologie humaine, il s’agit du traitement immuno modulateur le plus utilisé après la prednisolone. En médecine vétérinaire, des données existent pour les équidés et le chien, mais elles sont très peu nombreuses, et surtout relèvent d’études à faible niveau de preuves. « C’est dans ce contexte que nous avons obtenu un financement par Agreenium en 2019, afin de mettre en place un ambitieux projet de recherche clinique interécoles qui va nous permettre d’évaluer l’intérêt de cette molécule en dermatologie canine », précise Marion Mosca.
Ce projet, ATOPIE-MTX, est le seul au monde à étudier le méthotrexate pour un usage en médecine vétérinaire. « Un travail collaboratif interdisciplinaire, impliquant dermatologues, pharmacologues, toxicologues, pharmaciens, spécialistes en chimie analytique et vétérinaires biologistes provenant des quatre écoles vétérinaires, nous permet de mener ce projet ambitieux pour la recherche clinique française », précise Antoine Rostang, enseignant-chercheur en pharmacologie, et directeur de l’essai clinique du projet. Il est né sous l’impulsion de Didier Pin, vétérinaire spécialiste en dermatologie et professeur à VetAgro Sup. « Il s’intéresse à ce principe actif depuis une dizaine d’années. Les retours positifs d’essais de faible ampleur qu’il a pu mener sur le terrain l’ont poussé à structurer un projet de recherche clinique », explique Antoine Rostang. Ce dernier a soutenu sa thèse universitaire1 en janvier dernier sur les premières phases du projet, à savoir l’évaluation de la pharmacocinétique et de la tolérance du méthotrexate. Aujourd’hui, il s’agit d’évaluer l’efficacité du traitement par un essai clinique multicentrique de non-infériorité de phase III, en double aveugle, en se comparant au traitement de référence (ciclosporine), mais aussi de valider un schéma posologique. Cet essai permettra aussi d’appréhender le temps de réponse au traitement chez le chien et d’identifier les facteurs individuels influençant cette réponse comme l’effet race ou âge, et d’identifier des marqueurs biologiques précoces qui faciliteraient l’adaptation du schéma posologique à l’individu. Pour y parvenir, l’objectif est d’inclure 60 animaux dans l’étude - 30 pour le groupe MTX et 30 pour le groupe traitement de référence -, qui seront suivis une fois par mois, pendant sept mois. Les animaux sont recrutés et suivis par des vétérinaires dermatologues spécialistes (du Collège européen de dermatologie vétérinaire, ECVD) dans les écoles vétérinaires (Vet Agro Sup, EnvT, EnvA) mais aussi dans certains établissements privés.
« Nous avons pour l’instant pu inclure 29 chiens. En termes d’efficacité, hormis le manque de puissance statistique, on se dirige vers une non-infériorité du méthotrexate par rapport au traitement de référence. C’est plutôt satisfaisant pour nous », se félicite Antoine Rostang. Autre point positif, la tolérance du traitement, qui est similaire à celle observée avec la ciclosporine : les vomissements et diarrhées existent mais sont rares, une anorexie passagère semble être l’effet secondaire le plus fréquent chez le chien, surtout le premier mois de traitement, avec une nette amélioration ensuite. « Nous avons adapté notre schéma posologique pour réduire le risque d’apparition d’effets secondaires », expliquent les deux chercheurs. Le schéma choisi consiste en une administration hebdomadaire de méthotrexate par voie injectable2, avec une augmentation progressive de dose le premier mois afin de maîtriser la tolérance, pour arriver à une dose de 0,25 à 0,5 mg/kg/semaine. À noter aussi que la molécule peut agir sur la lignée germinale : un chien sous traitement ne pourra donc pas être mis à la reproduction.
Si l’efficacité se confirme, ce médicament pourra-t-il être utilisé ? En effet, il existe déjà des médicaments pour cette indication, et il y a peu de chances qu’un médicament vétérinaire avec AMM se développe, étant donné que la molécule est tombée dans le domaine public. La question sera donc de savoir si le coût d’un traitement pourra justifier un recours à la cascade. « Sur cette question, tout vient de l’interprétation du mot "approprié" que l’on retrouve dans le code de la santé publique pour justifier du recours à la cascade (article L. 5143-4 du code de la santé publique) : si le coût du traitement ne permet pas une prise en charge adaptée de l’animal, probablement que ce traitement n’est pas approprié », précise Antoine Rostang, de ce fait plutôt optimiste sur les possibilités d’utilisation en pratique courante. Une autre question reste en suspens : celle du mécanisme d’action, qui n’a pas encore été identifié. « La seule chose qui est certaine est que c’est la forme métabolisée du méthotrexate qui agit, ce qui explique le temps long de réponse au traitement », souligne l’enseignant. La méconnaissance du mécanisme d’action n’étant, bien entendu, pas un frein à un usage sur le terrain.
2. La voie injectable a été choisie du fait d’une meilleure biodisponibilité et aussi pour avoir la meilleure répétabilité d’un chien à l’autre.
L’équipe de recherche interécoles est à la recherche de chiens pour compléter sa cohorte. Des chiens atteints de dermatite atopique modérée à sévère, et n’ayant jamais reçu de traitement à base de ciclosporine (ou de méthotrexate) sont des candidats pour l’étude. La présentation de l’étude, le recueil du consentement éclairé du propriétaire et l’inclusion du cas seront réalisés par un vétérinaire spécialisé dans un des centres universitaires (Lyon, Toulouse, Alfort), où le chien sera suivi durant les sept mois de l’étude. Les avantages pour le propriétaire sont un traitement et un suivi totalement gratuits, la seule contrainte étant d’être disponible une fois par mois pour le suivi clinique.
Si vous êtes intéressé pour soutenir ce projet de recherche, contacter Antoine Rostang : antoine.rostang@oniris-nantes.fr