CARNET DE BORD DE MARIE GASNIER
COMMUNAUTÉ VÉTÉRINAIRE
Auteur(s) : M.B.
Chaque mois, notre consœur Marie Gasnier (A 18) nous fait partager ses expériences de jeune praticienne.
Impossible de me souvenir de son nom, impossible de savoir s’il s’agissait d’un chien, d’un chat, impossible de me remémorer le motif. Pourtant je me souviens de la tristesse de cet acte, de la peine des propriétaires, de leurs pleurs mêlés aux miens. Je me souviens du silence qui a envahi la salle de consultation une fois le dernier souffle rendu par l’animal, la moiteur de mes mains qui soulèvent ce petit corps inerte et l’enveloppent dans le plaid de son panier. Je me souviens de la solitude qui émanait de cette famille en sortant de la clinique, leurs dos voûtés, les têtes basses, et leur désarroi immense d’avoir perdu leur compagnon de route.
C’est un moment marquant dans la vie d’un vétérinaire, car à l’école nous ne sommes pas préparés à affronter la mort. On nous apprend à sauver des vies, à effectuer les bons diagnostics et à traiter la maladie. Mais à aucun moment on ne nous apprend comment nous comporter au moment d’euthanasier un animal. Et quand bien même, les qualités requises telles que la compassion et l’empathie ne s’apprennent pas dans les livres mais se ressentent et s’expriment.
Bien souvent, la mort de son animal de compagnie n’est pas planifiée. Retardant et redoutant ce moment, il n’est pas rare que cela soit au milieu de la nuit que les propriétaires prennent la lourde décision d’abréger les souffrances de leur animal. La nuit effraie, nos angoisses refont surface et la peur de la maladie, d’une mort soudaine dicte nos actes. Combien de propriétaires ai-je reçus en garde afin de les aider à dire au revoir à leur animal ? Une fois l’espoir d’une amélioration passé, une fois qu’il ne reste plus que la souffrance et la déchéance d’un corps, la nuit semble alors plus propice aux adieux.
En France, contrairement à la médecine humaine, l’euthanasie active est autorisée en médecine vétérinaire. Elle est définie comme « un acte médical destiné à abréger la vie d’un animal présentant une pathologie physique ou mentale à l’origine de souffrances pour lui-même ou son entourage ». Cela ne signifie pas pour autant que le vétérinaire a l’obligation de la pratiquer s’il ne la juge pas justifiée. Il fait alors appel à la clause de conscience. L’euthanasie permet donc d’accompagner les animaux en fin de vie et d’abréger leurs souffrances lorsque ces dernières sont jugées intolérables par le vétérinaire et le propriétaire.
Il s’agit d’offrir une fin de vie digne aux animaux et de leur permettre de quitter ce monde sans être à l’agonie durant plusieurs jours.
L’euthanasie est un acte techniquement simple et facile à réaliser mais moralement difficile et éprouvant. En pratique, bien qu’aucun consensus officiel n’ait été publié à ce sujet, car chaque situation est unique, l’euthanasie se fait dans la majorité des cas après injection intraveineuse d’un anesthésique afin d’endormir l’animal puis s’ensuit l’injection d’un produit à une dose létale qui provoquera l’arrêt cardiorespiratoire.
Il n’est jamais aisé de réussir à prendre de la distance et à ne pas s’impliquer émotionnellement durant cet acte. Bien souvent, l’animal euthanasié est connu du praticien qui l’a accompagné durant sa vie puis durant sa maladie. Et quand bien même cela ne serait pas le cas, faire face à la douleur et à la tristesse des propriétaires ne laisse jamais insensible. Aussi, paradoxalement, l’euthanasie est un acte à la fois salvateur et destructeur : tout en délivrant l’animal de sa souffrance, il reste malgré tout un acte définitif qui laisse un vide considérable.