PROFESSION
ANALYSE
Auteur(s) : TANIT HALFONN
L’evidence based veterinary medicine, ou médecine factuelle vétérinaire, est une démarche de prise de décision, qui tient compte autant de l’expérience clinique que des données scientifiques issues de la littérature. Quel que soit le niveau de preuves, le praticien se doit de conserver un esprit critique.
L’evidence based veterinary medicine (EBVM) est une démarche applicable au quotidien, et qui va dans le sens d’une amélioration des pratiques, ont rappelé les auteurs d’un manifeste en sa faveur, publié récemment dans Veterinary Record1. Pour y arriver, il faut s’appuyer sur le meilleur niveau de preuves scientifiques possible pour prendre une décision médicale, indique le manifeste. La théorie résiste-t-elle vraiment à la pratique ? Il y a des obstacles, mais cela n’empêche pas l’EBVM d’être une démarche de terrain, explique Jean-Michel Vandeweerd, enseignant à l’université de Namur (Belgique) et auteur d’un ouvrage sur la question. « On peut définir l’EBVM comme une démarche de prise de décision dans laquelle est associée l’expérience personnelle du praticien aux meilleures preuves scientifiques, souligne-t-il. Le but est de mieux décider. » Il précise ce que cela implique dans sa pratique quotidienne : « Il y a les consultations qui reposent sur nos connaissances et c’est bien suffisant. Nul besoin de consulter PubMed pour une consultation vaccinale de routine ! En revanche, l’EBVM prend tout son sens pour les cas les plus compliqués. » En effet, sans EBVM, le « background » scientifique du vétérinaire peut être dépassé face aux progrès des connaissances scientifiques.
Un bref rappel historique aide à saisir tout l’intérêt de l’EBM : « Cela a été défini dans les années 1970 en médecine humaine, car on s’était rendu compte à quel point la prise de décision devait disposer d’une littérature scientifique sérieuse. Pour bien comprendre, citons l’exemple de l’antiarythmique, la flécaïnide. Une étude sur 9 patients publiée dans le New England Journal of Medicine avait amené des médecins à prescrire la molécule chez de nombreux patients cardiaques. Grâce à des études sur un nombre important de patients, il est apparu, quelques années plus tard, qu’en fait les patients décédaient deux fois plus vite que ceux traités par un placebo. Autre exemple parlant, celui du livre du pédiatre [Benjamin McLane] Spock qui recommandait dans les années 1950 de faire dormir les bébés sur le ventre pour éviter tout risque d’étouffement en cas de vomissements. Si ces conseils semblaient de bon sens au premier abord, il a été montré que cette pratique était associée à une incidence plus élevée de mort subite du nouveau-né. »
Les évidences sont ainsi parfois trompeuses, et parler d’EBM ne va donc pas sans comprendre les différents niveaux de preuves : « On parle de pyramide des preuves, avec à la base les données les moins précises. Par ordre croissant d’importance, on trouve les avis d’experts et notes de cours, les ouvrages car ils ne sont en général pas relus par les pairs, les descriptions d’un cas, d’une série de cas, les études observationnelles rétrospectives ou prospectives, les études contrôlées randomisées en double aveugle et enfin les revues systémiques de la littérature », liste l’enseignant.
Sur le terrain, l’accès aux meilleures données n’est pas une évidence. « C’est vrai qu’il y a plusieurs obstacles : certaines informations ne sont pas toujours disponibles, car il est compliqué de mener des essais cliniques vétérinaires de bonne qualité méthodologique, pas si facile par exemple qu’un propriétaire accepte un placebo pour son animal dans le cadre d’un essai clinique. De plus, toutes les études publiées ne sont pas en libre accès pour les praticiens vétérinaires. Enfin ceux-ci manquent souvent de temps pour consulter la littérature scientifique », convient Jean-Michel Vandeweerd. Attention cependant à ne pas assimiler l’EBVM à une tyrannie de la preuve : si les études randomisées sont au sommet de la pyramide, les autres niveaux ne sont pas dénués d’intérêt pour la pratique, et le pragmatisme est de mise dans sa prise de décision. Tout en gardant son esprit critique. « On le voit bien sur le terrain, souvent, face à un cas compliqué, le premier réflexe du praticien est de demander l’avis d’un confrère. C’est intéressant bien sûr, mais cela ne doit pas empêcher de continuer à se poser des questions. » N’oublions pas l’histoire du Dr Spock. Il ne faut pas croire que tout est « propre et net » dans les évidences scientifiques, que ce soit les avis d’experts ou encore les ouvrages.
Et l’enseignant de préciser : « Le vétérinaire a une obligation éthique de prendre une décision fondée sur des preuves. » Ce discours vaut aussi pour l’approche médicale personnalisée, une conception de la médecine en plein essor aujourd’hui. « Les obstacles à l’EBVM et le prétexte d’une médecine individualisée ne doivent pas être les excuses d’une médecine empirique qui ne devrait pas se justifier, martèle l’enseignant. La méthode du “N of 1 trial”, qui permet d’étudier de façon structurée l’effet d’un traitement chez un seul individu, mériterait certainement par ailleurs d’être explorée en médecine vétérinaire. »
Une des solutions pour faciliter la démarche de l’EBVM est d’avoir accès à des résumés d’articles scientifiques présentant ce que l’on sait et ne sait pas sur une thématique donnée. C’est ce qu’on appelle les CATs pour critically appraised topics, deux sites anglo-saxons en proposent :
– Veterinary Evidence : www.bit.ly/3gFErSf
– BestBETs for Vets : www.bit.ly/2WaB501
– L’Université de Nottingham propose également un accès libre à une base de données répertoriant des méta-analyses : www.bit.ly/3oM9jDD
– Il est en outre utile de connaître les points clés à vérifier dans une publication scientifique : www.bit.ly/3qLweR4 Ceci dit, développer la médecine factuelle devra en passer nécessairement par une amélioration de la qualité méthodologique des travaux de recherche.