URGENCES
PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC
FORMATION
Auteur(s) : GWENAËL OUTTERS
CONFÉRENCIÈRE
ISABELLE GOY-THOLLOT, vétérinaire, PhD, Dipl. ECVECC, EBVS, European veterinary specialist in emergency and critical care, directrice de projet Rapprochement des ENV françaises.
Article rédigé d’après une conférence présentée au congrès de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (AFVAC) en novembre 2019 à Lyon.
La prise en charge des perturbations électrolytiques dans les situations d’urgence améliore le pronostic et le temps d’hospitalisation.
La natrémie est la proportion de sodium dans l’eau des fluides extracellulaires. Le sodium, peu présent dans la cellule, détermine l’osmolarité extracellulaire (espaces interstitiel et vasculaire) et les mouvements d’eau (l’eau va du secteur le moins concentré en sodium vers le plus concentré). La natrémie permet d’apprécier la déshydratation intracellulaire et d’ajuster la fluidothérapie. L’hypernatrémie est définie par une natrémie > 150 mEq/l. Les valeurs de natrémie dépendent de l’appareil de mesure ; il est indispensable de se référer aux références du laboratoire ou de la machine.
L’hypernatrémie est toujours responsable d’une hyperosmolarité plasmatique ; l’inverse est faux, une hyperosmolarité plasmatique peut exister sans hyper natrémie, par exemple dans le syndrome urémique ou le diabète sucré. L’hyponatrémie est généralement associée à une hypo-osmolarité plasmatique, mais une hypo-osmolarité plasmatique est toujours due à une hyponatrémie.
La natrémie augmente lors de perte d’eau libre : hypodipsie chez les vieux chiens ayant perdu la sensation de soif ou les animaux ayant une insensibilité des osmorécepteurs hypothalamiques à l’hypernatrémie (prédisposition raciale comme le schnauzer, posttraumatisme, diabète insipide, diurèse excessive, des pertes gastro-intestinales, levée d’obstacle au niveau des voies urinaires ou hyperthermie). La natrémie augmente également lors de gain de sodium : ingestion d’eau de mer, diabète insipide, ingestion excessive de sel (utilisé de façon inappropriée comme émétisant), administration de fluides hypertoniques. Une hypernatrémie supérieure à 190 mEq/l est peu fréquente mais grave ; elle provoque une déshydratation intracellulaire particulièrement délétère pour les cellules nerveuses, rénales, cardiaques et digestives. Les symptômes les plus graves sont neurologiques (léthargie, confusion, crises convulsives), accompagnés de faiblesse musculaire, myoclonies, hémorragie ou thrombose : c’est une urgence grave dont le traitement est complexe. En effet, une correction trop rapide de la natrémie provoque un œdème cérébral grave. Dans un premier temps, l’hypotension est corrigée avec des fluides isotoniques de sodium puis avec du glucose à 5 % dans le but d’obtenir une variation de la natrémie inférieure à 0,5 mEq/l/h.
Une hyponatrémie aiguë (< 120 mEq/l) résulte d’une perte de sodium ou d’un apport d’eau libre. Elle est la conséquence d’un hypocorticisme, d’une perfusion de solutés hypotoniques, d’une administration inappropriée d’hormone antidiurétique ou d’un hypoaldostéronisme. Une forte baisse de la concentration en sodium en 24 heures réduit l’osmolarité plasmatique et induit un gradient osmotique potentiellement responsable d’un œdème cérébral, d’une dépression, d’une irritabilité, de convulsions et de coma. L’hyponatrémie grave et symptomatique est rare.
L’hyperkaliémie (> 5,5 mEq/l) résulte d’un excès d’apport iatrogène de potassium (complémentation excessive en potassium), soit de l’utilisation de molécules telles que les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine II ou les spironolactones, soit d’une translocation extracellulaire du potassium, soit d’un déficit d’excrétion rénale (insuffisance rénale oligo-anurique, obstruction urétrale ou urétérale, rupture des voies urinaires), soit d’un hypocorticisme (maladie d’Addison). Dans ce dernier cas, l’hyperkaliémie est associée à une hyponatrémie. La bradycardie est un signe d’alerte. Les conséquences de l’hyperkaliémie sont graves, essentiellement cardiaques – augmentation de l’excitabilité musculaire avec diminution du potentiel de repos, incapacité de repolarisation et modification de la conduction –, pouvant aller jusqu’à l’arrêt cardiaque. Des modifications ECG sont visibles : augmentation de la taille des ondes T, allongement des espaces P-R et QRS. L’ECG doit être monitoré. Il n’existe pas de corrélation précise entre la valeur de la kaliémie et l’anomalie ECG : plus la kaliémie augmente, plus des anomalies ECG risquent d’apparaître mais une absence d’anomalie n’exclut pas une hyperkaliémie. La présence d’anomalies de l’ECG nécessite un traitement immédiat. Il convient d’administrer 0,5 à 1,5 ml/kg de gluconate de calcium 10 % pour obtenir un effet cardioprotecteur immédiat. Parallèlement il convient de diminuer la kaliémie : administration de bolus de 10 à 20 ml/kg de NaCl 0,9 % pour traiter l’hypovolémie et rétablir la diurèse, donc la kaliurèse, administration de glucose IV +/- suivi d’injection d’insuline rapide pour bénéficier des effets hypokaliémiants de l’insuline. Le protocole conseillé par notre consœur est le suivant : IV lente de 0,125 à 0,25 g/kg d’Actrapid associé à 2 g de glucose/UI d’Actrapid sur 15 minutes et pour 4 à 6 heures. La glycémie doit être mesurée toutes les 30 minutes pendant 4 à 6 heures afin de prévenir et de corriger une éventuelle hypoglycémie. Le salbutamol, β2-agoniste, est utilisé par notre consœur chez le chat (2 bouffées de 100 µg/dose avec une chambre d’inhalation sur 20-30 sec) car il favorise la translocation intracellulaire du potassium.
L’hypokaliémie (< 3,5 mmol/l) est moins grave, mais délétère. Elle est fréquente en hospitalisation, conséquence d’un défaut d’apport, alimentaire notamment, ou d’un excès de pertes, la sécrétion de catécholamines due au stress. L’administration d’insuline ou une alcalose métabolique peuvent également être responsables d’hypokaliémie. Elle se manifeste par une perte de tonus, des troubles neuromusculaires (ventroflexion relativement caractéristique chez le chat), un iléus paralytique, des vomissements, une anorexie et une augmentation du temps de convalescence. L’hyper kaliémie doit être corrigée et monitorée au risque de s’aggraver.
Le magnésium est un ion important (cofacteur enzymatique, action au niveau de la membrane cellulaire, constituant des structures protéiques et nucléiques). Son dosage est difficile puisque sa distribution est à 99 % intracellulaire : les concentrations sériques sont de faibles marqueurs de la concentration intracellulaire. Une hypomagnésémie est à suspecter lors d’état de choc, d’hypokaliémie réfractaire aux traitements. Elle se manifeste par de la faiblesse, des myoclonies, de la dysphagie, de la dyspnée, des arythmies supraventriculaires et ventriculaires. La correction se réalise à l’aide de chlorure de magnésium : de 0,75 à 1 mEq/kg/j le premier jour, puis 0,3 à 0,5 mEq/ kg/j les suivants. Le chlorure de magnésium est préférable au sulfate de magnésium lors d’hypocalcémie concomitante, car le sulfate est un chélateur du calcium.
Le trou anionique est la différence entre les cations (HCO3- et Cl-) et les anions (Na+ et K+) mesurés. Il est de 18 +/- 6 mmol/l chez le chien et 20 +/- 7 mmol/l chez le chat. Il permet le diagnostic différentiel de l’acidose métabolique. Une acidose métabolique avec anionique normal se rencontre lors de diarrhées riches en bicarbonates, de reflux duodénal alcalin, d’anomalie de la régénération proximale tubulaire rénale de HCO3-, ou d’hypocorticisme ou encore associée à une nutrition parentérale. Une acidose métabolique avec trou anionique augmenté se rencontre si un acide fort est anormalement présent et donneur de protons : hyperlactatémie, hyperphosphatémie (insuffisance rénale), présence de corps cétoniques (diabète), ou plus rarement présence d’oxalate (intoxication à l’éthylène glycol). Suivre l’évolution du trou anionique pour suivre la diminution des corps cétoniques lors de la prise en charge du diabète acidocétosique.