COLLOQUE
ANALYSE
Auteur(s) : LORENZA RICHARD
La crise du Covid-19 a mis en lumière la nécessité d’une approche transversale des santés humaine, animale et environnementale. Lors du colloque One Health Joint Action qui s’est tenu en format digital les 17 et 18 décembre, cette thématique s’est ajoutée à la seconde édition des Oncodays, journée de médecine comparée en oncologie, dans l’objectif d’aboutir à l’émergence de projets interdisciplinaires.
Déboucher non pas sur un état des lieux mais sur des actions concrètes était le mot d’ordre du colloque One Health selon Valérie Freiche, praticien hospitalier en médecine interne à l’école vétérinaire d’Alfort (EnvA) et organisatrice des Oncodays. Initialement prévue en mars dernier, la seconde édition de ce rendez-vous s’est déroulée les 17 et 18 décembre derniers. Ce colloque, organisé par 1Healthmedia avec TF1, l’Institut Imagine, l’OCR (Oncovet Clinical Research) et l’aide de ses sponsors (Boehringer Ingelheim, MSD Santé animale, Okivét), « est l’occasion d’une approche scientifique, politique, philosophique et médiatique du concept One Health », a présenté Jacques Legros, journaliste de TF1. Jean-Luc Angot, inspecteur général de la santé publique vétérinaire et président de l’Académie vétérinaire de France, a constaté que « le concept One Health, One Life est beaucoup discuté depuis la crise de la Covid-19, et c’est une opportunité de le développer. » Pour cela, une transversalité, c’est-à-dire la construction de passerelles entre les trois colonnes actuellement cloisonnées que constituent la médecine humaine, la médecine animale et la médecine environnementale, doit être envisagée. « Une approche transverse, interdisciplinaire et intersectorielle, est nécessaire, et le plus vite possible », a-t-il assené. Pour Loïc Dombreval, notre confrère député des Alpes-Maritimes, « la prévention des pandémies doit être revue en intégrant le concept One Health, mais aucune organisation n’est possible si ce sujet n’est pas pris en main concrètement par le pouvoir politique. » Dans ce sens, il a organisé un colloque One Health à l’Assemblée nationale et rédigé une proposition de résolution pour inviter le gouvernement à réfléchir à ce sujet.
« Les liens entre l’organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) et l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) sont anciens, importants et actifs, déclare Jean-Philippe Dop, directeur général adjoint de l’OIE. Cette alliance tripartite a abouti à l’élaboration de priorités ciblées en fonction d’analyses de risques. » Il s’agit de la lutte contre l’antibiorésistance, notamment avec le développement du plan Écoantibio en France, la notification des foyers d’influenza aviaire hautement pathogène transmissible à l’homme, qui permettent notamment de choisir les souches intégrées dans le vaccin contre la grippe humaine chaque année, et la lutte contre la rage. Jean-Philippe Dop assure également que les capacités techniques des laboratoires vétérinaires pour réaliser les tests Covid existent en France (1 500 tests au bénéfice des hôpitaux de Lyon sont réalisés chaque semaine à VetAgro Sup), et qu’il est important de les maintenir. Enfin, pour lui, la production scientifique de standards de lutte et de prévention des maladies dans le respect de normes internationales est importante. Cela passe par la « création d’un réseau international de laboratoires nationaux de référence et de centres collaborateurs en identifiant des niveaux d’excellence dans les 182 pays membres. La coopération internationale est essentielle, car les maladies ne connaissent pas de frontières et 75 % des maladies émergentes sont des zoonoses. Il est ainsi important de décloisonner les compétences et que les médecins, les vétérinaires et les scientifiques travaillent ensemble pour les identifier à la source et mettre en place des mesures de contrôle. » Cependant, pour Loïc Dombreval, cette collaboration n’est pas institutionnalisée et la décision doit être politique, pour déclencher la généralisation du dispositif. Pour cela, Jean-Luc Angot indique qu’un cycle de hautes études en santé globale serait nécessaire pour former nos décideurs, afin que le concept One Health devienne un réflexe. Il conviendrait également de développer des troncs communs dans les écoles vétérinaires et les universités de médecine et d’agronomie, pour donner les bases permettant d’appréhender les problématiques complexes et apprendre à travailler ensemble.
En oncologie, comme en génétique notamment, des modèles animaux sont utilisés pour décrire les maladies humaines, les comprendre et les traiter. Des dizaines de médicaments candidats sont testés sur les plateformes précliniques de recherche. Cependant, plutôt que de provoquer une maladie chez un animal sain, les chercheurs préfèrent mener des essais cliniques sur des cancers spontanés chez les animaux de compagnie. Tester un traitement chez un animal spontanément malade permet de lui rendre service, tout en partageant des connaissances et en développant des outils pour les médecines humaine et vétérinaire, et c’est tout l’intérêt de la médecine comparative. Jérémy Beguin, du service de médecine interne-oncologie à l’EnvA montre ainsi que les chiens développant un cancer spontané sont des modèles prédictifs pertinents en oncologie pour développer des stratégies thérapeutiques. C’est le cas de l’immunologie ou de la radiologie interventionnelle, qui consiste à réaliser des gestes per-cutanés ou endovasculaires sous le contrôle d’une technique d’imagerie, échographie ou tomodensitométrie notamment, et qui peut se substituer à la microchirurgie. En effet, la génétique, le mécanisme de développement des tumeurs, leur classification histologique, leur évolution, leurs traitements et leurs mécanismes de résistance sont comparables à ceux de l’homme. Ainsi, dans une étude présentée par le médecin Olivier Pellerin, la chimioembolisation des artères prostatiques de chiens atteints de cancers de la prostate avancés a entraîné une diminution du volume de l’organe de 40 % en moyenne en un mois, avec peu de passage systémique du traitement et une réponse inflammatoire modeste. Cette étape préliminaire permet d’envisager un essai de phase 1 pour ce traitement chez l’homme. De même, les techniques d’électrochimiothérapie utilisées pour traiter des thymomes chez le chat intéressent la médecine humaine. Enfin, des essais d’introduction d’une aiguille-électrode au cœur d’une tumeur pour la congeler ou la brûler, par radiofréquence pour une tumeur de moins de 3 cm ou par micro-ondes pour des lésions plus étendues, de façon ciblée et sans impact sur la fonction de l’organe, ont fait leurs preuves. Les patients sont traités en ambulatoire par cette technique, et pour le médecin Frédéric Deschamps, elle pourrait être adaptée en médecine vétérinaire.
De plus, le chien joue un rôle de sentinelle car il vit dans le même environnement que son propriétaire et est exposé aux mêmes facteurs cancérigènes. Ainsi, l’apparition d’un mésothéliome chez un chien peut faire suspecter la présence d’amiante dans son foyer. A contrario, une étude de l’université de Glasgow montre de hauts niveaux de nicotine dans le pelage d’un animal dont le propriétaire fume. Le tabagisme passif induit ainsi un risque accru de cancer pulmonaire et nasal chez le chien, et de lymphome digestif chez le chat (par ingestion de la nicotine lors du toilettage). Ces résultats ouvrent ainsi de nombreuses perspectives de collaboration en oncologie humaine et animale.
Pour revenir à la crise du Covid-19, de nombreux essais ont été menés chez les animaux afin de tester des traitements. Ainsi, une étude ne met aucun effet antiviral de l’hydroxychloroquine en évidence, alors qu’une autre révèle une très bonne efficacité des anticorps monoclonaux pour induire des anticorps neutralisants du virus chez tous les modèles animaux. De plus, l’ivermectine montre des effets in vitro mais elle a une mauvaise biodistribution et l’effet antiviral obtenu n’est pas satisfaisant in vivo. Enfin, un vaccin testé peut prévenir les symptômes et la transmission secondaire du virus. Certains essais montrent également que ce serait un déficit de la production d’interféron (IFN 1) et une réplication virale incontrôlée qui seraient à l’origine d’une exacerbation de la réponse inflammatoire en cas d’infection par le Sars-Cov-2. La thérapeutique envisagée doit donc, notamment, bloquer dans un premier temps la réplication virale (anticorps neutralisants et IFN 1 ou 3), puis réduire l’inflammation (glucocorticoïdes).
Les études des coronavirus animaux montrent également « qu’ils ont une grande capacité d’évolution par mutation et par recombinaison, et que de nombreux échanges inter-espèces sont possibles », d’après Sophie Le Poder, de l’unité de virologie de l’EnvA. Elle rappelle que les coronavirus, répartis en quatre genres, infectent de nombreuses espèces animales. Un coronavirus peut infecter plusieurs espèces animales, et une espèce animale peut être infectée par plusieurs coronavirus, avec un éventail de maladies. Ainsi, les coronavirus humains ont probablement tous une origine animale. Dans le cas de la péritonite infectieuse féline (PIF), il semblerait que le sérotype bénin à tropisme entérique de ce coronavirus (FECV) mute chez certains chats en un sérotype virulent à tropisme respiratoire. La mutation de la protéine S (spicule), responsable de l’attachement du virus sur les cellules, et d’une protéine accessoire développerait un tropisme pour les monocytes macrophages, provoquant une lymphopénie T et une neutrophilie importante. Ces modifications hématologiques sont également retrouvées chez les hommes infectés par le Sars-CoV-2. Cependant, les traitements administrés aux hommes pour le Covid-19 ne permettent pas de prévoir un traitement des chats atteints de PIF, car les molécules antivirales ont une pharmacocinétique différente selon les espèces, et elles sont souvent cytotoxiques chez le chat. Ces études vont se poursuivre dans un projet, MUSECoV (2021-2024), qui sera coordonné par notre consœur et cherchera à mieux comprendre le passage interespèce et le diagnostic des coronaviroses.
Les intervenants ont tous déploré l’absence des vétérinaires au Conseil scientifique français, mis en place le 10 mars 2020 auprès du gouvernement pour adopter les mesures de lutte contre le Covid-19. « Le monde vétérinaire n’a pas été suffisamment associé à la gestion de cette crise, déplore Jean-Luc Angot. Les laboratoires vétérinaires auraient pu faire des tests dès le début, et cela me choque que les vétérinaires n’aient pas fait partie de ce Conseil. » Une certaine rigidité de la médecine humaine et son absence d’ouverture d’esprit à l’aide des vétérinaires, notamment pour la gestion épidémiologique, ont ainsi été soulevées. « L’attention a été focalisée sur le traitement et le vaccin, mais on a oublié l’origine animale de cette maladie », déplore Loïc Dombreval, qui assure cependant qu’ « il n’est pas trop tard pour s’en occuper. » Notre confrère député a rédigé une lettre au président de la République pour demander l’intégration d’un vétérinaire à ce Conseil, idée « qui fait son chemin ». Toutefois, pour lui, un mea culpa de ce Conseil auprès des vétérinaires n’est pas nécessaire. « Les vétérinaires ont une grande part de responsabilité dans leur absence, car ils devraient montrer leur haut niveau de compétence scientifique, explique-t-il. Ils sont capables de gérer des épizooties, mais ce travail est fait de façon souvent isolée, sans cohésion. La profession est comme balkanisée et il lui manque une structure pour parler d’une seule voix, notamment sur les questions de santé publique, dans lesquelles on sait à quel point les vétérinaires sont essentiels. » Pour Pascal Boireau, directeur du laboratoire de santé animale de l’Anses, il conviendrait également que les vétérinaires s’intéressent davantage à la recherche en infectiologie pour être associés à certaines réflexions, mais leur formation très pratique en est éloignée et les étudiants qui s’y intéressent sont rares. Pour Loïc Dombreval, les travaux de recherche sont sous-valorisés en termes financiers, et il serait nécessaire que le pouvoir politique donne plus de moyens aux chercheurs et les rémunère mieux pour que des vocations se créent.
Le philosophe et ancien ministre Luc Ferry constate qu’avec la crise Covid, pour la première fois, l’Homme place la vie au-dessus de l’économie. Les questions qui touchent à la santé, au bien-être animal, au bonheur et à l’écologie sont liées, et sont regroupées sous le concept du vivant. Pour lui, sept courants écologistes s’opposent actuellement : les effondristes, les décroissants, les partisans de la croissance verte, l’écomodernisme, l’écoféminisme, l’écologie décoloniale et le courant vegan. Pour les effondristes, ou collapsologues, l’effondrement du monde est inéluctable, et il s’agit de préparer le monde qui renaîtra à partir de 2050. Les décroissants plaident pour une nouvelle hiérarchisation des droits fondamentaux, notamment en priorisant ceux de la nature devant les droits de l’Homme. Ils s’opposent aux partisans de la croissance verte et du développement durable (Conférence des parties ou COP). Pour Luc Ferry, ce débat n’est pas le bon et devrait s’orienter vers l’écomodernisme, qui repose sur deux idées : la première est le découplage des activités humaines et de leurs impacts environnementaux par un regroupement de la population sur une petite partie de la planète, de façon que la majorité de celle-ci redevienne une réserve de biodiversité ; la seconde est l’économie circulaire, c’est-à-dire que nous devons concevoir nos produits industriels afin qu’ils soient recyclés en fin de parcours, et retirer de leur fabrication tout ce qui est mauvais pour l’environnement. Il s’agit de repenser notre relation au vivant, et le philosophe cite l’altermondialiste Susan George : « Quand vous êtes sur l’autoroute pour aller à Marseille et qu’il est indiqué Lille-Bruxelles, ralentir ne sert à rien, il faut faire demi-tour. »