PET FRIENDLY : EN FINIR AVEC LE STRESS EN CLINIQUE - La Semaine Vétérinaire n° 1882 du 15/01/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1882 du 15/01/2021

DOSSIER

Auteur(s) : TANIT HALFON

LE « PET FRIENDLY » ENGLOBE UN ENSEMBLE DE PRATIQUES BASÉES SUR LA PRISE EN COMPTE DES ÉTATS ÉMOTIONNELS DE L’ANIMAL DE COMPAGNIE. DES CONNAISSANCES ET PUBLICATIONS SUR LE COMPORTEMENT, AVEC EN TOILE DE FOND DES INITIATIVES INDIVIDUELLES ET COLLECTIVES, PROMEUVENT CETTE APPROCHE.

Un effet de mode, le pet friendly ? Derrière cette expression bien connue, se cache en réalité une dynamique en cours dans le monde vétérinaire, et qui se manifeste par des actions très concrètes. « Pour un vétérinaire praticien, être pet friendly veut dire organiser son travail autour de la gestion des états émotionnels des patients, résume Antoine Bouvresse, vétérinaire canin en exercice exclusif en comportement. Il n’y a pas de doute que sur le papier tous les praticiens adhèrent, mais encore faut-il disposer des outils théoriques et pratiques pour le mettre en œuvre, et qui doivent servir à une stratégie plus globale de sa structure. » « Avec le pet friendly, on s’inscrit dans une approche éthologique », complète Isabelle Vieira, vétérinaire comportementaliste, présidente de la Société européenne d’éthologie vétérinaire des animaux domestiques (SEEVAD), qui ajoute : « L’important est le contenu qu’on y met. Et je pense sincèrement qu’il y aurait une liste considérable d’éléments à mettre en place dans les structures vétérinaires. » Le pet friendly, appelé encore « low stress handling », repose en fait sur une bonne compréhension du langage corporel de l’animal et la reconnaissance des signes de peur, de stress, et in fine donc des signes d’agression.

Plus de sécurité et de sérénité

Les avantages sont multiples, comme l’explique Antoine Bouvresse. « Un animal moins stressé, et potentiellement moins agressif, va être mieux pris en charge pour les soins et mieux médicalisé. On aura aussi une plus grande latitude pour les soins en première intention, comme la prise de température, l’auscultation… Je dirais donc qu’on tend à faire de la meilleure médecine. Un animal moins stressé aura également une meilleure capacité de récupération en clinique, une bien meilleure probabilité de remanger rapidement, ce qui est un facteur pronostique important, surtout pour les chats. » Il continue : « C’est aussi positif pour l’image de la structure, avec une réelle plus-value pour la fidélisation. N’oublions pas non plus que ces pratiques améliorent aussi la sécurité des employés, et contribue donc à réduire le stress et la pression dans son travail. »

Observer, s’adapter

Comment s’y prendre ? Caroline Gilbert, professeure d’éthologie fondamentale et appliquée à l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA), résume : « Le concept de pet friendly, c’est en premier lieu un travail de toute l’équipe de la clinique qui doit être formée à la reconnaissance des signes de stress des animaux reçus en consultation, et être capable de s’adapter en retour. Tout le monde doit s’accorder sur la façon de faire et la prise en charge de l’animal. Je pense aussi que la gestion de la douleur devrait être une composante essentielle du pet friendly. Il faut bien comprendre qu’il y a des situations pour lesquelles l’animal n’arrivera pas à gérer sa douleur, et ne pourra pas s’habituer à celle-ci. Dans ces cas-là, il faudra appliquer une sédation, sinon l’animal gardera en mémoire une situation négative. » Les manipulations coercitives sont aussi à éviter : « Prendre par la peau du cou, [utiliser] la cage de contention, les filets à chats, les gants (…) sont à réserver pour des cas particuliers, comme les chats errants ou les chiens très dangereux. Les chats tolèrent mal la contention. » Antoine Bouvresse complète : « La base du pet friendly, c’est l’observation et la maîtrise des méthodes d’apprentissage, le medical training. C’est également prendre conscience qu’il n’y a pas une seule bonne manière de faire les choses, mais une bonne manière d’organiser sa façon de travailler. C’est aussi une démarche globale qui va de la prise de rendez-vous à la sortie de la clinique. »

Des démarches associatives

« Avec le pet friendly, on bascule dans le One Welfare : plus de sécurité pour les équipes, plus de sérénité, et le propriétaire d’un animal prend plaisir à aller chez le vétérinaire », souligne Caroline Gilbert. Cette dernière a encadré une thèse sur le sujet il y a deux ans, qui détaille les axes de travail du pet friendly et propose surtout un outil à destination des vétérinaires praticiens sous la forme d’une grille de notation « pet friendly ». Dans la littérature, d’autres publications de synthèse sont aussi facilement accessibles pour le vétérinaire praticien, qui peut aussi décider de suivre une formation sur le sujet. Car le pet friendly, ce sont également des initiatives individuelles et collectives qui se sont structurées, aboutissant au développement d’une méthodologie et de formations. Une des premières initiatives est celle relative au cat friendly avec l’International Society of Feline Medicine (ISFM), branche vétérinaire de l’association caritative anglaise International Cat Care, fondée dans les années 1950. Elle propose des ressources documentaires dans une optique d’amélioration des pratiques en médecine féline, et a élaboré en ce sens le programme de Cat Friendly Clinic qui permet aux structures vétérinaires d’obtenir une accréditation ISFM. À ce jour, 49 établissements français de soins vétérinaires ont obtenu cette étiquette. Son guide sur le cat friendly, élaboré avec l’American Association of Feline Practitioners (AAFP), est accessible en français sur le site de l’Association de protection vétérinaire (APV). Très récemment, une autre association, toujours anglaise, la British Veterinary Behaviour Association (BVBA), s’y est mise, cette fois-ci pour le chien, et propose une certification Dog Friendly. Les nouveaux animaux de compagnie sont également concernés et l’association Rabbit Welfare Association and Fund (RWAF) a développé l’accréditation Rabbit Friendly.

Former, informer

En France, des initiatives se développent également. Ainsi Animal University, créé en 2017, dispensent des formations sur le pet friendly, dont fait partie Antoine Bouvresse - les formations sur le thème Animal Friendly ont débuté dès 2016. Il y a aussi, portée par Isabelle Vieira, l’initiative le Chien mon ami, qui a vu le jour il y a deux ans, et vise de la même manière, à travers la constitution d’un réseau de professionnels - éleveurs, éducateurs, vétérinaires, etc. -, à tendre vers des pratiques plus bienveillantes en cliniques. Et à faire entendre sa voix au niveau politique. « Il faut montrer que la profession vétérinaire s’investit pour moins de morsures, moins d’abandons et plus de sécurité pour les gens », dit Isabelle Vieira. Il y a trois ans se créait aussi le Groupe de réflexion et d’intérêt félin (Grif), devenu il y a peu une association. À travers ses (web) conférences - entre 50 et 100 depuis la création du groupe - et son groupe de discussion Facebook, fort de près de 900 membres, « sa raison d’être est de promouvoir la démarche Cat Friendly Clinic », explique Cyril Berg, vétérinaire et un des membres fondateurs du Grif. Il ajoute : « Se lancer dans une démarche cat friendly amène aussi assez logiquement vers le pet friendly. »

Un buzz ?

Certains aspects du pet friendly laissent néanmoins perplexes certains vétérinaires, comme Muriel Marion, vétérinaire comportementaliste et présidente du Groupe d’études en comportement des animaux familiers (Gecaf) à l’Afvac. « Le pet friendly est un mouvement très honorable, je m’étonne par contre que cet abord soit présenté comme révolutionnaire. » Elle poursuit : « Le chat est un animal de plus en plus présenté en soins dans les cliniques vétérinaires et la recherche de l’amélioration de son confort lors de ses séjours chez les vétérinaires est une problématique qui existe depuis plusieurs années. Le pet friendly est une occasion de poursuivre et d’enrichir un mouvement déjà en place chez mes confrères. »

Si elle ne rejette évidemment pas l’importance pour un vétérinaire, aussi bien praticien que chercheur, d’avoir un socle de connaissances en comportement animal permettant d’identifier et d’agir sur les facteurs de stress dans les structures, elle critique un certain côté rigide du pet friendly : « Je ne suis pas convaincue que la mise en place de procédures soit nécessairement la réponse. Des connaissances solides du comportement animal permettent aux vétérinaires et à leurs équipes de s’adapter à chaque animal de façon dynamique et sont selon moi préférables à des “il faut” et “il ne faut pas” qui manquent souvent de souplesse. » Elle ajoute : « Beaucoup de vétérinaires travaillent avec la préoccupation du confort physique et moral des animaux soignés, sans avoir fait de démarche pet friendly. Il y a bien sûr des marges de progrès par manque de connaissances, et c’est bien de le garder à l’esprit. »

La question des « labels »

La démarche des « labels » la questionne également. « Je ne suis pas favorable de façon globale à la notion de “label”. Cela laisse entendre que les vétérinaires qui n’en ont pas font mal leur travail. Je rappelle que le bien-être animal est au cœur du métier de vétérinaire. Des pratiques anciennes ne prenaient pas suffisamment en compte les facteurs de stress de l’animal, elles tendent à disparaître. De plus, que reste-t-il du “label”, un an après ? En appliquant les procédures rigides qui y sont associées, le risque est de freiner l’évolution des pratiques dans le temps au lieu de favoriser une recherche constante d’amélioration. » Caroline Gilbert note aussi une limite des « labels » : « L’obtention d’un “label” est soumise actuellement à une autoévaluation, et non une évaluation par un comité ou des pairs. Ceci dit, je trouve l’approche pet friendly intéressante, car elle permet d’avoir des lignes directrices plutôt que d’avoir à rassembler différentes informations de façon individuelle. Cela formalise aussi bien les choses. Pour le “label” Cat Friendly, ce qui est particulièrement intéressant également est le tout premier point, à savoir le fait de devoir former une équipe. À mon sens, le facteur humain est un frein majeur dans l’évolution des pratiques. »

S’adapter à l’animal

Isabelle Vieira est positive également : « Le “label” pousse les gens dans leur retranchement, et permet de faire évoluer. Ça part d’une démarche positive et pas discriminatoire. Tout le monde peut y avoir accès, c’est sans restriction. » Pour Cyril Berg, le « label » a l’avantage de formaliser les choses. « C’est une démarche qui challenge, qui oblige à faire mieux. Et offrir ce qu’il y a de mieux pour l’animal va dans le sens du code de déontologie. Je vois cependant une limite à cet outil car certaines recommandations pourraient ne pas être adaptées à la France. Par exemple, est-ce vraiment cat friendly de se dire qu’il faut un appareil de radiographie dentaire ? N’est-ce pas plus cat friendly de référer pour une extraction dentaire de qualité ? » « Label » ou pas, le pet friendly apparaît finalement comme un questionnement de ses propres pratiques et de son organisation de travail pour une meilleure prise en compte des besoins de l’animal, en s’aidant de l’éthologie et d’un certain bon sens. Comme le souligne Caroline Gilbert, s’il commence à y avoir des publications scientifiques sur le stress de l’animal en clinique vétérinaire, il n’y a pas grand-chose sur l’évaluation des pratiques pet friendly. « Pour l’instant, cela ne me choque pas qu’on en soit là. Je pense qu’il faut retenir que le plus important est de s’adapter à l’animal et pas de cocher une case, il faut tendre vers la boîte à outils la moins stressante possible. »

Renforcer l’implication de tous

TÉMOIGNAGE

AUDREY PALMERO (A 11)

Vétérinaire à Hautot-sur-Mer (Seine-Maritime)

Audrey Palmero a entamé une démarche pour l’obtention de l’accréditation Rabbit Friendly auprès de l’association anglaise Rabbit Welfare Association and Fund (RWAF). Sa clinique l’a obtenu au début de l’année 2020.

« Je suis passionnée depuis longtemps par les lapins. Il me tenait donc à cœur de les prendre en charge le mieux possible, et l’obtention de cette accréditation était finalement une prolongation du travail déjà fait au sein de la structure. C’était aussi une manière de mettre en lumière nos pratiques vis-à-vis des propriétaires qui sont très conscients de l’effet du stress sur leur animal. La démarche de l’accréditation a également permis de renforcer l’implication de l’ensemble du personnel, dans la prise en compte du bien-être du lapin. D’un point de vue pratique, obtenir l’accréditation est similaire à ce qui existe pour le chat. Nous devons constituer un dossier d’une dizaine de pages dans lequel il faut détailler notre mode de fonctionnement, nos pratiques, les spécificités de notre structure, le matériel dont on dispose… Au final, les propriétaires de lapins me questionnent à ce sujet et sont très contents. »

Une démarche d’amélioration de nos pratiques

TÉMOIGNAGE

FRANÇOIS-XAVIER BACOT (L 02)

Vétérinaire à Pornic (Loire-Atlantique)

La clinique vétérinaire de Pornic est la première en France à avoir obtenu le niveau « Gold » du programme Cat Friendly Clinic.

« L’obtention de ce “label” s’est faite dans la continuité de la création de notre clinique. Avec ma femme, qui est mon associée, nous étions convaincus du fait qu’il fallait penser la structure de l’établissement en tenant compte des besoins de chaque animal. Et c’est finalement assez naturellement que nous nous sommes renseignés sur le programme Cat Friendly Clinic, que nous connaissions déjà. Cette démarche a permis d’engager et de sensibiliser toute l’équipe aux bonnes pratiques. L’abonnement à la revue de l’International Society of Feline Medecine (ISFM), qui va de pair avec l’obtention du “label”, aide aussi à se tenir au courant des nouveautés, et d’éviter que ne s’installe une certaine routine. À mon sens, le “label” s’inscrit totalement dans une démarche d’amélioration de nos pratiques, et soude aussi une équipe. C’est également un bon support de communication, pour montrer aux propriétaires que nous suivons les recommandations internationales. En comparaison avec nos précédentes cliniques, nous sentons vraiment la différence : les animaux sont beaucoup moins stressés, tout comme leurs propriétaires. C’est clairement une évidence pour les chats. »

ATTENTION À LA COMMUNICATION

Le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires a estimé que communiquer sur la classification « Bronze, Silver, Gold », proposée par le programme Cat Friendly Clinic, pouvait induire le public en erreur, « car elle laisse à penser qu’elle résulte d’un processus de certification ou d’accréditation ». De fait, il est interdit de communiquer là-dessus. En revanche, « le vétérinaire qui met en place le programme Cat Friendly doit informer ses clients de son appartenance à ce réseau et il peut communiquer sur le fait qu’il s’engage dans cette démarche ».

De la même manière, « la communication des vétérinaires à propos de leur appartenance au réseau Chien mon ami doit proscrire tout élément faisant allusion à la notion de certification, car une licence de marque ne saurait s’apparenter à une démarche de certification ».

Un vrai travail à faire sur soi

TÉMOIGNAGE

CAMILLE GASSMANN (L 11)

Vétérinaire à Firminy (Loire), titulaire du CEAV de médecine du comportement des animaux domestiques

Pour Camille Gassmann, le pet friendly repose sur la bonne connaissance du comportement animal. Pour y parvenir, elle a suivi plusieurs formations continues l’ayant amené à modifier ses pratiques.

« L’approche pet friendly vise à faire en sorte que l’animal médicalisé se sente bien du début à la fin de sa prise en charge. Pour le praticien, cela implique de reconnaître les signaux de stress et de former les assistantes vétérinaires. Dans ma pratique, même si la structure de la clinique n’est pas forcément adaptée pour tout, j’essaye de mettre en place les choses que j’ai pu apprendre lors de mes formations. Les retours sont globalement positifs de la part des propriétaires qui peuvent se sentir moins stressés. De mon côté, c’est extrêmement gratifiant de constater que l’animal se sent mieux, et ça me permet aussi de vivre des moments plus détendus en consultation. Au final, je dirais que c’est un vrai travail à faire sur soi, car on va vraiment repenser toute la manière d’aborder un animal. Par exemple, j’ai exclu de ma pratique l’approche coercitive, alors que c’était quelque chose que je faisais auparavant. Ce n’est pas forcément intuitif de se dire qu’il vaut mieux désamorcer une situation avec un chien agressif, au risque au contraire d’augmenter l’agressivité de l’animal. On ne gagne jamais à faire celui qui est le plus fort. »