CONFÉRENCE
PRATIQUE MIXTE
FORMATION
Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE
CONFÉRENCIÈRE
CLÉO OMPHALIUS, ingénieur de recherche chez Lab to Field.
Article rédigé d’après la présentation faite par lors des Rencontres recherches ruminants, 3 R 2020, le 2 décembre à Paris.
Chez le bovin, une bonne synchronisation des apports en énergie et en azote est essentielle au fonctionnement correct du microbiote ruminal3 et à l’optimisation de la digestibilité de la ration. C’est pourquoi, en France, un correcteur azoté, généralement formulé à partir de tourteau de soja, est fréquemment apporté dans les rations des taurillons à l’engraissement. Or, ce dernier représente une proportion importante du coût de la ration et il a des impacts environnementaux conséquents. L’une des alternatives à l’utilisation massive du tourteau de soja est de substituer une fraction des apports par une source d’azote dégradable dans le rumen telle que l’urée4. Cependant, dès les années 1970, une étude1 a montré sur des bovins à l’engraissement que, bien que cette pratique pouvait favoriser la synthèse de protéines microbiennes dans le rumen, l’hydrolyse de l’urée en ammoniac (NH3) par les bactéries uréolytiques pouvait conduire à la production de quantité de NH3 dépassant la capacité des micro-organismes ruminaux à l’utiliser pour leur croissance. L’accumulation de NH3 dans le rumen, puis dans le sang, peut alors être à l’origine d’une pollution de l’environnement ainsi que d’une toxicité pour l’animal5. C’est pourquoi, afin d’avoir une libération lente de l’urée6, des complexes organiques et inorganiques constitués d’urée et d’un composé minéral2 sont utilisés.
L’objectif de cet essai était de comparer in vivo les effets de différentes sources azotées - tourteau de soja, urée non protégée et urée protégée par un complexe d’aluminosilicates - sur la composition et l’activité du microbiote ruminal et sur la digestion de la ration. Pour cela, 8 taurillons charolais âgés de 12 à 14 mois ont été étudiés sur quatre périodes expérimentales de 21 jours et nourris avec quatre rations différentes calculées individuellement, sur la base du poids visé en milieu d’essai, avec un gain moyen quotidien (GMQ) cible de 1,2 kg/jour, pour couvrir les besoins énergétiques et protéiques des taurillons (recommandations de l’Institut national de la recherche agronomique, INRA, 2007). Les rations ont été calculées pour être quasiment iso-énergétiques, iso-azote et iso-matière sèche (MS). La ration contrôle était composée d’ensilage de maïs (67 % MSI), de blé tendre (18 % MSI), de tourteau de soja 48 (14 % MSI) et d’un aliment minéral (1 % MSI). 40 % du tourteau de soja étaient remplacés par de l’urée non protégée (UNP) dans la ration UNP ou par une urée à libération lente (ULL) dans la ration ULL. Le correcteur azoté a été progressivement introduit dans les rations sur une période de 7 jours au début de chaque période expérimentale. Durant chaque période, les animaux ont été pesés toutes les semaines afin de suivre l’évolution de leur GMQ et la digestibilité totale apparente de la ration a été évaluée en parallèle. À J21 des prélèvements ruminaux et sanguins ont été réalisés pour mesurer le pH ruminal, l’activité microbienne (concentrations en acides gras volatils, AGV, en D- et L-lactate et en NH3) et l’urémie. La structure et la diversité bactériennes ont été analysées par séquençage (Illumina Miseq).
Les résultats ont montré qu’au niveau de l’écosystème ruminal, la diversité bactérienne était plus élevée chez les animaux recevant la ration ULL en comparaison de la ration contrôle. De plus, le pH ruminal tendait à augmenter avec les rations UNP et ULL par rapport à la ration contrôle. Quel que soit le temps, l’urémie était significativement différente entre les rations : plus haute avec la ration UNP et plus basse avec la ration contrôle. Cette étude innovante a donc permis de montrer que, comme supposé au préalable, la substitution du tourteau de soja par de l’urée fournit de l’azote plus facilement dégradable par les micro-organismes. En effet, les concentrations en NH3 étaient supérieures dans les rations contenant des urées de synthèse par rapport à la ration avec le tourteau de soja, conférant au rumen un environnement plus tamponné (valeurs de pH supérieures dans les rations UNP et ULL). De plus, le retour de l’urémie à sa valeur basale avec la ration contrôle par rapport aux rations UNP et ULL reflétait une utilisation plus rapide de l’azote lorsque ce dernier était fourni par une matière première comme le tourteau de soja et non sous forme d’urée. Cela pourrait s’expliquer par le fait que l’urée de synthèse est hydrolysée en NH3 plus lentement que l’urée issue de l’alimentation7 permettant ainsi une utilisation prolongée de l’azote par les micro-organismes du rumen.
De même, le complexe d’aluminosilicates a montré son efficacité pour permettre une libération lente de l’urée dans le rumen en la protégeant des dégradations bactériennes (concentrations en NH3 supérieures avec la ration ULL par rapport aux deux autres rations). Cela conférerait à l’écosystème ruminal un environnement favorable au fonctionnement des micro-organismes selon les auteurs de l’étude. Ces mécanismes ont déjà été évoqués dans la littérature8 et ils sont confortés ici par la plus forte diversité bactérienne observée chez les animaux recevant la ration ULL. De plus, avec la ration ULL, les plus petites particules fécales observées dans les fèces des animaux suggèrent une meilleure fibrolyse. Cette hypothèse est étayée par des augmentations numériques de l’efficacité alimentaire, et donc du GMQ, par rapport aux rations contrôle et UNP, mais aussi par une meilleure digestibilité totale apparente numérique des fibres. Enfin, les concentrations ruminales en AGV mesurées avec la ration ULL plus faibles pourraient suggérer une meilleure absorption de ces métabolites avec cette ration, ce qui expliquerait la meilleure efficacité alimentaire observée avec la ration ULL. Des études complémentaires restent néanmoins nécessaires pour valider ces hypothèses et élucider les mécanismes impliqués.
1. Kropp J., Johnson R., Males J. et coll., Microbial protein synthesis with low quality roughage rations: isonitrogenous substitution of urea for soya bean meal, J.Anim. Sci., 1977, 45(4):837-843.
2. Huntington G., Harmon D., Kristensen N. et coll., Effects of a slow-release urea source on absorption of ammonia and endogenous production of urea by cattle, Anim. Feed Sc. Technol., 2006, 130(3): 225-241.
3. Nocek J., Russell J., Protein and Energy as an Integrated System. Relationship of Ruminal Protein and Carbohydrate Availability to Microbial Synthesis and Milk Production, J. Dairy Sc., 1988, 71: 2070-2107
4. Storm E., Ørskov E.R., The nutritive value of rumen microorganisms in ruminants. 1. Large-scale isolation and chemical composition of rumen micro-organisms, Br. J. Nutr., 1983, 50(2):463-470.
5. Patra A.K. et Aschenbach J.R., Ureases in the gastrointestinal tracts of ruminant and monogastric animals and their implication in urea-N/ammonia metabolism: A review, J. Adv. Res., 2018, 13:39-50
6. Alvarez-Almora E., Huntington G. et Burns J., Effects of supplemental urea sources and feeding frequency on ruminal fermentation, fiber digestion, and nitrogen balance in beef steers, Anim. Feed Sc. Technol., 2012, 171:136-145.
7. Kang S., Wanapat M., Phesatcha K. et coll., 2015. Trop. Anim. Health Prod., 47(4):671-679.
8. Benedeti P., Paulino P., Marcondes M. et coll., 2014, Livestock Sc., 165:51-60.