ÉPIZOOTIE
PRATIQUE MIXTE
Auteur(s) : TANIT HALFON
En cinq ans, c’est la troisième fois que la France subit une épizootie d’influenza aviaire hautement pathogène. Avec près de 500 foyers domestiques répertoriés, la dernière épizootie de 2016-2017 avait été particulièrement lourde de conséquence pour la filière avicole. La crise actuelle semble suivre le même chemin.
Le répit n’aura été que de trois ans pour l’influenza aviaire hautement pathogène (IAHP). Après l’épizootie de 2015-2016, suivie de près de celle de 2016-2017, la France est une nouvelle fois confrontée à une épizootie d’IAHP. Selon le dernier communiqué de presse du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, au 25 janvier, sont dénombrés 398 foyers domestiques d’IAHP à H5N8, très majoritairement dans le Sud-Ouest et plus particulièrement dans les Landes avec 312 foyers, 38 dans les Pyrénées-Atlantiques, 30 dans le Gers, 3 dans les Hautes-Pyrénées, 2 en Lot-et-Garonne et 1 en Haute-Garonne. Cette crise diffère-t-elle des deux précédentes ? A-t-on également dû mettre en œuvre des abattages préventifs ? Peut-on craindre une troisième crise pire que les précédentes ?
À ces questions, il est d’abord clair que l’épizootie de 2015-2016 diffère largement des deux suivantes. En effet, elle avait totalisé seulement 77 foyers domestiques d’IAHP (et 16 faiblement pathogènes), dans 9 départements du Sud-Ouest, dont les Landes. Entre la découverte du premier foyer le 24 novembre 2015 et le 7 janvier 2016, 67 foyers avaient déjà été identifiés. Plusieurs sous-types viraux étaient en cause, à savoir H5N9, H5N1 et H5N2, tous différents des virus H5N1 HP de la lignée asiatique responsable de formes sévères chez l’humain. Ce sont les palmipèdes (canards, oies) qui avaient été majoritairement touchés (81 % des foyers), mais sans montrer de signes cliniques évidents, ni d’augmentation de la mortalité. Ainsi, seuls 28 foyers avaient été associés à une mortalité anormale. De plus, les cas de mortalité les plus nombreux concernaient plutôt les galliformes que les palmipèdes. De fait, c’est la surveillance programmée qui a révélé deux tiers des foyers domestiques HP ou FP. En outre, il n’a pas été démontré que l’avifaune sauvage avait joué un rôle dans l’introduction et la diffusion de la maladie. Des analyses phylogénétiques avaient révélé qu’une circulation virale inapparente avait eu lieu pendant près de deux ans avant la détection du premier cas chez une poule de basse-cour. L’hypothèse retenue est qu’il y aurait eu une mutation d’un virus FP en 2014 vers un virus HP, menant, par réassortiments successifs, aux soustypes incriminés dans l’épizootie. Les scientifiques évoquent ainsi un épisode plutôt enzootique qu’épizootique. À noter d’ailleurs qu’aucun cas positif n’avait été détecté dans l’avifaune sauvage pendant cette crise.
Cette crise avait amené à l’arrêté du 8 février 2016, listant les mesures de biosécurité obligatoires en élevage. Il avait été progressivement renforcé, en juillet et novembre 2017, avec plusieurs obligations pour l’éleveur : effectuer un dépistage virologique avant tout mouvement de palmipèdes d’un site d’exploitation à un autre, quelle que soit la période de l’année ; réaliser un dépistage annuel sérologique des palmipèdes ; ou encore prévoir une visite annuelle d’évaluation des mesures de biosécurité par le vétérinaire sanitaire.
Pour cette crise, les autorités sanitaires avaient défini une large zone dite de restriction, qui incluait 17 départements (bassin de production des palmipèdes), afin de programmer un dépeuplement progressif et ciblé, suivi d’un vide sanitaire synchronisé. Ce dernier a eu lieu du 18 avril au 16 mai 2016, suivi d’un repeuplement progressif, et d’une levée de la zone de restriction le 15 septembre 2016.
Toutes ces mesures n’ont pas empêché la France d’être touchée l’hiver suivant par une nouvelle crise encore plus violente. Entre la première déclaration en élevage le 4 décembre 2016 et le 2 janvier 2017, 89 foyers domestiques avaient déjà été répertoriés. Au 16 janvier, on dénombrait 153 foyers domestiques. Au 6 février, 203 foyers. Au total, ce sont 486 foyers d’IAHP qui ont été détectés en élevage, dont 85 % d’élevages de palmipèdes. L’épizootie a débuté à l’est de la Chalosse (Landes), et c’est seulement la première semaine de février que cette zone, à haute concentration d’élevages, a été atteinte. Au total, 9 départements du Sud-Ouest, surtout le Gers et les Landes, ont été touchés. Cette fois-ci, l’épizootie était liée majoritairement au sous-type H5N8 (70 % des foyers), ainsi qu’à H5N5 et H5N6. La clinique était très différente, avec des palmipèdes qui ont présenté des signes cliniques notamment neurologiques (+/-frustres dans certains cas), et une mortalité variable mais pouvant être élevée. Autre différence : 52 cas dans l’avifaune sauvage ont été détectés. De plus, s’il a été établi que le virus a été introduit en France par des oiseaux sauvages migrateurs, la diffusion était liée aux activités humaines.
Du fait d’une grande contagiosité du virus H5N8, et du taux de mortalité, cet épisode avait motivé des abattages préventifs massifs autour des zones les plus contaminées (3 ou 10 km autour des foyers), pour tous les élevages de palmipèdes vivant en liberté. Au total 2,5 millions de canards ont été abattus de manière préventive, et plus de 2 millions dans les foyers de 5 départements (Haute-Garonne, Gers, Landes, Pyrénées-Atlantiques, Hautes-Pyrénées). Une stratégie de vide sanitaire a aussi été mise en œuvre, du 17 avril au 28 mai 2017, suivi d’un repeuplement progressif. À la suite de ces deux crises, la France n’a retrouvé son statut indemne, perdu en novembre 2015, qu’à la fin du mois d’octobre 2017.
La situation actuelle rappelle fortement la précédente crise, avec d’abord un virus qui a été très probablement introduit par l’avifaune sauvage. À ce sujet, 11 cas dans l’avifaune sauvage ont été répertoriés depuis le début de la crise. De plus, on constate un nombre élevé et croissant de foyers domestiques. Mais la cinétique de l’épizootie est bien plus rapide. Pour la crise de 2016-2017, en un mois et demi (fin novembre-mi janvier), 153 foyers avaient été confirmés. Pour la crise actuelle, pratiquement pour la même période (début décembre-13 janvier), ce sont 190 foyers domestiques qui ont été enregistrés, et pour la plupart dans un unique département, celui des Landes, avec une situation qui s’est particulièrement dégradée à partir de la mi-décembre. Ainsi, avaient été dénombrés 6 foyers au 22 décembre, contre une cinquantaine début janvier. À ce sujet, il faut aussi dire que cette épizootie a atteint plus vite la zone landaise de la Chalosse, à forte concentration d’élevages, avec un foyer à Sort-en-Chalosse le 20 décembre.
Début janvier, le nombre global de foyers confirmés par jour a explosé, dépassant de loin les chiffres de décembre : par exemple, 35 foyers ont été confirmés le 6 janvier, le maximum de janvier, contre 18 foyers le 30 décembre, le maximum de décembre.
Il semblerait que le virus, encore de sous-type H5N8, soit particulièrement contagieux. Enfin, comme en 2016-2017, la progression de l’épizootie se fait selon deux modes : de proche en proche, et par saut de plusieurs kilomètres. Rapidement, une stratégie d’abattages préventifs a été mise en place (arrêté du 23 décembre 2020) dans les Landes d’abord, pas de manière systématique, mais en fonction de la situation sanitaire (décision du préfet). Aujourd’hui, ce dispositif préventif est applicable aux 5 départements (Landes, Pyrénées-Atlantiques, Gers, Hautes-Pyrénées et certaines communes du Lot-et-Garonne). Les abattages préventifs sont possibles dans un rayon de 5 km autour d’un foyer : pour le premier kilomètre, pour tous les oiseaux d’élevage et de basse-cour, et pour les 4 km suivants, uniquement pour les palmipèdes et autres volailles non claustrées. À cela s’ajoute une zone de surveillance autour des foyers dans laquelle sont interdites les entrées et sorties de volailles, y compris pour repeupler un élevage. Cette zone, d’abord de 10 km, mesure désormais 20 km. Au 14 janvier, 1,116 million de volailles, surtout des canards, ont été abattues dans le Sud-Ouest, dans les foyers ou de manière préventive.
1. Avant l’épizootie de 2015, le dernier foyer domestique en France remontait à 2006, dans le département de l’Ain. Ce foyer était resté isolé.
Sources : Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses), plateforme nationale d’épidémiosurveillance en santé animale (ESA) et Organisation mondiale de la santé animale (OIE).
L’ÉPIZOOTIE DE 2015-2016 AVAIT AMENÉ À L’ARRÊTÉ DU 8 FÉVRIER 2016 LISTANT LES MESURES DE BIOSÉCURITÉ OBLIGATOIRES EN ÉLEVAGE. IL A ÉTÉ PROGRESSIVEMENT RENFORCÉ, NOTAMMENT AVEC L’OBLIGATION D’EFFECTUER UN DÉPISTAGE VIROLOGIQUE AVANT TOUT MOUVEMENT DE PALMIPÈDES D’UN SITE D’EXPLOITATION À UN AUTRE