CORONAVIRUS
ANALYSE
Auteur(s) : TANIT HALFON
À ce stade, l’origine animale du Sars-CoV-2 et les modalités de transmission à l’humain relèvent encore de l’hypothèse. Des projets sont lancés pour affiner les connaissances à ce sujet. L’étude des capacités adaptatives du virus à d’autres espèces animales, dont les animaux de compagnie, est un des axes de la recherche.
Un an après le début de la pandémie à Covid-19, l’origine animale du Sars-CoV-2 pose toujours question. S’il est désormais pratiquement acquis que le réservoir animal est une chauve-souris insectivore du genre Rhinolophus, les modalités du passage à l’espèce humaine ne sont pas claires. Éric Leroy, vétérinaire spécialiste des zoonoses virales, directeur de recherche à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) et membre de l’Académie vétérinaire de France (AVF) et de l’Académie nationale de médecine (ANM), travaille sur plusieurs projets de recherche sur le sujet. Comme il le souligne, cette thématique de recherche débute à peine. « Jusqu’à présent, les données dont nous disposons proviennent d’échantillons collectés les années passées. » Pour exemple, il a été conclu que la chauve-souris était très probablement le réservoir animal, du fait d’une forte similitude, à hauteur de 96 %, entre le génome du Sars-CoV-2 et celui d’un virus (souche RaTG13) d’une chauve-souris (Rhinolophus affinis), identifié dans des échantillons de fèces, collectés dans la province de Yunnan, au sud-ouest de la ville de Wuhan, en 2013 ! « En dehors de ce résultat, il n’y a pas eu d’études complémentaires de grande envergure pour évaluer la séroprévalence virale au sein de la population de chauve-souris, et son aire de distribution », précise le chercheur.
Comme pour les deux autres coronavirus, le Sras-CoV et le Mers-CoV, responsables d’une pneumonie sévère, une des hypothèses retenues pour expliquer le franchissement de barrière d’espèces est celle de l’implication d’un hôte intermédiaire, dans lequel aurait pu avoir lieu une recombinaison entre un coronavirus de l’hôte et celui de la chauve-souris. Une autre hypothèse serait celle de la simple évolution du virus à travers les sauts d’espèces et les passages de l’animal réservoir à l’hôte intermédiaire puis à l’être humain. Un passage direct1 de la chauve-souris à l’humain pourrait être aussi envisagé mais jusqu’à ce jour aucune épidémie liée à cette voie de transmission n’a été démontrée.
Plusieurs hôtes intermédiaires candidats ont été mis en avant, comme le chien viverrin ou le pangolin. Des souches virales de pangolins de Malaisie, collectées en 2017 en Chine (animaux saisis par la douane), ont par exemple montré 92,4 % d’homologie génomique avec le Sars-CoV-2, et 97,4 % d’homologie au niveau du domaine RBD (receptor binding domain, domaine de la protéine de surface du virus permettant l’attachement à la cellule hôte). Cela reste insuffisant pour conclure qu’il serait l’hôte intermédiaire, notamment car la région au niveau du domaine qui présente une forte similitude est de taille réduite. De plus, le taux d’identité génomique est loin de ce qu’on a pu par exemple trouver entre le Sras-CoV et la souche virale de la civette la plus proche (99 % d’homologie). À noter aussi que trouver une homologie de séquences ne veut pas dire qu’il s’agit de l’origine animale du virus. L’animal peut, en effet, avoir été contaminé au cours de la pandémie, par un être humain infecté.
« Ce sont des études prospectives, et exhaustives, qui permettront d’aller plus loin, sans éliminer les hypothèses qui paraissent les plus faibles, ni privilégier celles qui sont les plus fortes », explique Éric Leroy. En clair, il faut en passer par un inventaire le plus exhaustif possible des coronavirus circulants dans la faune sauvage. « Arriver à un résultat peut prendre plusieurs années, surtout si l’espèce animale concernée est difficile à étudier », précise-t-il. Sans oublier qu’à la diff érence des précédentes épidémies à coronavirus, qui se sont terminées rapidement, la crise sanitaire actuelle n’en finit pas. La priorité a donc été donnée aux questions de santé publique pour maîtriser l’épidémie. Aujourd’hui, est venu le temps de la compréhension de l’origine et de la transmission, avec plusieurs projets français de recherche en cours – sans oublier celui de l’OMS ! Parmi eux, le projet DisCoVer, auquel participe Éric Leroy, qui vise à identifier le réservoir animal, éventuellement les hôtes intermédiaires, et à élucider les modalités de franchissement de la barrière d’espèces. Ce projet sera mené dans le nord de la Thaïlande et du Laos, zone limitrophe de la Chine. Pourquoi pas en Chine ? « C’est une erreur de limiter les recherches à l’endroit où on a détecté officiellement les premiers cas. Il est plus probable que l’émergence de l’épidémie ne s’est pas produite à Wuhan, mais dans une zone rurale où les contacts entre l’humain et la faune sauvage sont plus naturels et fréquents. De plus, les chiroptères vivent généralement dans un périmètre géographique important, à l’échelle d’une région englobant souvent plusieurs pays frontaliers. » En outre, organiser des collectes d’échantillons biologiques sur le terrain est difficile à envisager en Chine. Une fois qu’une séquence génomique intéressante sera identifiée chez une population de chauve-souris, la suite sera l’étude des espèces animales de la faune avoisinante, les chauves-souris insectivores n’étant en général pas migratrices.
Mieux comprendre l’origine animale du Sars-CoV-2, les mécanismes de franchissement de la barrière d’espèces et les facteurs (sociologiques, climatiques, etc.) favorisant la transmission virale permettra de mieux surveiller, prédire et prévenir de nouvelles émergences du Sars-CoV-2 depuis la faune sauvage, mais aussi d’autres coronavirus. Un autre point apparaît également essentiel dans la lutte contre le coronavirus : évaluer les capacités adaptatives du Sars-CoV-2 à d’autres espèces animales. Comme le rappelle Éric Leroy, une grande diversité d’espèces animales est sensible à ce virus, ce qui montre à quel point il présente une grande capacité de franchissement de la barrière d’espèces. De fait, il n’est pas exclu que de nouvelles espèces animales deviennent des sources possibles du Sars-CoV-2, voire que le virus s’installe dans la faune locale. Avec à la clé des résurgences locales. L’épisode de la contamination des visons d’élevage dans plusieurs pays en est un exemple : à ce sujet, l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) et l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail (Anses) estiment qu’il existe un risque que le vison devienne un réservoir du Sars-CoV-2 dans les zones de fortes densités d’élevages. À ce jour, il s’agit de la seule recommandation officielle associée à des animaux d’élevage. Ces possibles nouvelles sources de contamination sont au cœur de deux autres projets de recherche de l’IRD : le premier, le projet Spillback, est mené en République du Congo, car cette zone géographique possède un écosystème semblable à celui du sud-est asiatique, pouvant donc être favorable à une endémisation et une adaptation du virus à la faune autochtone ; le deuxième, le projet CoVet (voir encadré), concerne le territoire français avec l’étude du rôle des animaux de compagnie.
1. Quelle que soit l’histoire naturelle du virus, la question de la date de l’émergence se pose aussi. Il est probable que le Sars-CoV-2 ait émergé bien avant la détection officielle des premiers cas. Certains scientifiques avancent le scénario d’une circulation virale à bas bruit, jusqu’à ce qu’une mutation lui confère ses caractéristiques actuelles de transmission.
Sources : Académie vétérinaire de France (AVF), Centre national de la recherche scientifique (CNRS), Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), Organisation mondiale de la santé (OMS), Plateforme nationale d’épidémiosurveillance en santé animale (plateforme-ESA).
Si plusieurs cas d’infections à Sars-CoV-2 d’espèces animales de compagnie ont été décrits, la principale voie de transmission du Covid-19 reste d’humain à humain. En l’état actuel des connaissances, ces animaux sont considérés comme un cul-de-sac épidémiologique. Ceci dit, Éric Leroy rappelle que le Sars-CoV-2 évolue au fil du temps : il existe donc un risque non négligeable que ces animaux deviennent un jour une source de contamination. L’appréhension de ce risque a fait l’objet d’une première étude1, dont le but était d’évaluer l’intensité de circulation du Sars-CoV-2 chez 85 chats et chiens. La conclusion : les animaux vivant dans un foyer avec au moins un cas humain ont 8 fois plus de chance d’être infectés, confortant le fait qu’un humain peut contaminer son animal. Pour aller plus loin, une étude de plus grande envergure a été lancée : 10 000 échantillons d’animaux domestiques (chats, chiens, et autres) devraient être récoltés d’ici juin. Cette étude permettra d’avoir des données plus précises sur le niveau d’infection des animaux de compagnie, et surtout de suivre l’évolution du virus pour ne pas passer à côté d’une nouvelle source de contamination possible pour l’être humain.