DOSSIER
Auteur(s) : LORENZA RICHARD
LE PROBLÈME DE LA DÉSERTIFICATION DES ZONES RURALES PAR LES VÉTÉRINAIRES N’EST PAS SEULEMENT FRANÇAIS, MAIS EUROPÉEN. D’APRÈS UNE ENQUÊTE DE LA FÉDÉRATION DES VÉTÉRINAIRES EUROPÉENS (FVE) DE 2020, LA PÉNURIE DE VÉTÉRINAIRES RURAUX N’EST PAS LIÉE À UN MANQUE DE DIPLÔMÉS, MAIS À LEUR DÉSINTÉRÊT POUR LES ZONES ISOLÉES. TOUR D’HORIZON DES RÉFLEXIONS EN COURS EN FRANCE, POUR ÉVITER UNE AGGRAVATION DE LA SITUATION.
D’après le rapport de la Fédération des vétérinaires européens (FVE) sur la pénurie de vétérinaires dans les zones rurales (et loin de tout) d’Europe1, paru en juin 2020, 78,5 % des pays interrogés reconnaissent un problème de maillage territorial de la profession. Notre pays arrive en seconde position, après l’Espagne, et il est immédiatement suivi par l’Allemagne, le Royaume-Uni, puis l’Italie. Tous les États craignent l’aggravation de la situation à l’avenir. « Au Royaume-Uni, notamment, seulement 4 % des vétérinaires se trouvent dans les territoires ruraux. Cette perte du maillage est catastrophique en termes de gestion des maladies contagieuses », déplore Thierry Chambon, vice-président de la FVE. Pour Laurent Perrin, président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL), la nécessité de la présence des vétérinaires à proximité, dans les territoires, tient à la demande sociétale de garantie de la qualité sanitaire des denrées d’origine animale dès les exploitations agricoles et au respect du bien-être animal dont le premier élément est bien l’accès aux soins dans des délais raisonnables ».
Augmenter l’effectif des vétérinaires est une solution évoquée au manque de praticiens dans les zones reculées. Cependant, le rapport de la FVE montre que, dans tous les pays européens, la pénurie de praticiens n’est pas liée à un manque de nouveaux diplômés, mais à des considérations sociologiques et économiques. « Les praticiens mixtes se posent la question de la rentabilité de leur activité en productions animales par rapport aux contraintes qu’elle impose », explique Christophe Brard, président de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV). De plus, les conditions de vie sont jugées défavorables dans certaines zones, en raison du manque de services publics, d’opportunité de travail pour le conjoint ou d’attractivité culturelle. « Les vétérinaires veulent être heureux dans leur vie personnelle et professionnelle, tout en ayant une rémunération qui corresponde à leur niveau d’étude », résume Thierry Chambon.
Devant l’urgence de la situation, il fait consensus auprès de toutes les instances que soutenir la profession, tout en facilitant de bonnes conditions de vie, est indispensable au maintien du maillage, et des discussions sont actuellement « sur la table ». Pour Christophe Brard, « nous sommes au pied du mur. Les structures qui vont arrêter la rurale demain vont contribuer à la désertification, et il est urgent d’y remédier, avec des objectifs opérationnels à court terme. » L’article 22 quater de la loi Ddadue (portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne), adoptée le 7 octobre 20202, devrait permettre le financement par les collectivités territoriales d’aides « aux vétérinaires contribuant à la protection de la santé publique et assurant la continuité et la permanence des soins aux animaux d’élevage dans les zones définies à l’article L 241-13 du code rural et de la pêche maritime », ainsi qu’aux étudiants vétérinaires qui s’engageraient à exercer durant cinq années dans ces zones. Pour toutes les personnes contactées pour ce dossier, l’adoption de cet article est une bonne mesure. Cependant, chacun fait remarquer que l’implication des collectivités territoriales pour maintenir les vétérinaires dans leur territoire était envisagée dans la feuille de route, publiée il y a cinq ans, et qui est « au point mort. »
« La SNGTV est prête à participer à la relance des travaux sur une feuille de route condensée, avec priorisation des objectifs, pour faire bouger les choses », propose Christophe Brard. Jacques Guérin confirme qu’il est grand temps qu’une réponse soit donnée, et qu’il est possible « d’espérer un dispositif opérationnel dans le courant de l’année 2021. À la vitesse où le maillage vétérinaire se délite, le plus tôt sera le mieux. Je forme le vœu d’une échéance avant l’été. » Laurent Perrin soutient qu’il « est urgent désormais de rédiger les décrets d’application, appuyés sur la détermination des zones éligibles qui seront définies à partir de la mise en perspective des données de l’Atlas démographique (de la profession) vétérinaire du CNOV (Conseil national de l’Ordre des vétérinaires) et les données de présence des cheptels dans les territoires. Ce travail doit être mené rapidement et surtout la liste ne devra pas être trop restrictive. Les régions bien dotées d’aujourd’hui risquent d’être les déserts de demain. » Jacques Guérin va dans ce sens : « La séquence réglementaire est une étape nécessaire mais pas décisive, car les aides apportées au maintien ou à l’installation des vétérinaires en zones sous denses nécessiteront un diagnostic préalable d’opportunité, une analyse projet par projet pour s’assurer de leur intérêt collectif et de leur pérennité. J’attends de ce dispositif d’aide qu’il enclenche avant tout une discussion en profondeur des causes et de la manière de les prévenir entre les éleveurs, les collectivités territoriales, l’État et les vétérinaires pour in fine redéfinir et adapter par bassin de vie et par filière les relations entre éleveurs et vétérinaires. Aider la présence vétérinaire dans un territoire n’a de sens que si elle se raisonne dans la durée. »
Ainsi, en coopération avec les services du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, un travail abouti est en mesure de qualifier les déserts vétérinaires en identifiant les zones blanches et les zones à risque de le devenir à brèves échéances. À ce titre, Jacques Guérin réitère son soutien aux outils d’analyse des bassins de vie développés à VetAgro Sup (UMR Métafort)3 et à l’École nationale vétérinaire de Toulouse (cf. témoignage de Guillaume Lhermie), « indispensables pour rendre le dispositif souhaité par les parlementaires opérationnel », déclare-t-il. La décision politique au plus haut niveau du ministère est désormais attendue. Ainsi « la question centrale est l’attractivité des territoires, et donc leur aménagement », remarque Christophe Brard. Pour Laurent Perrin c’est un problème plus large que celui des vétérinaires et de l’activité des animaux de rente, il est de la responsabilité des pouvoirs publics de maintenir le maillage. Jacques Guérin précise qu’il « n’est pas exclu d’anticiper un travail d’analyse en concertation avec les collectivités territoriales, bassin de vie par bassin de vie. » Par exemple, le président de la Région Nouvelle-Aquitaine a organisé des réunions sur le thème du maillage afin de créer des solutions. « Cette initiative est un signal positif indiquant que l’intelligence collective doit pouvoir aboutir à des solutions opérationnelles rapidement, » assure-t-il.
3. Projet de recherche VeTerrA (vétérinaires et territoires ruraux attractifs) : www.bit.ly/3oWPrxY
Le rapport de la Fédération vétérinaire européenne (FVE) indique qu’en Finlande, en Grèce et en Suède, le vétérinaire installé dans une zone désertée reçoit un salaire fixe de la part des autorités locales, qui ont une obligation légale de financer un « service de soins vétérinaires ». En Espagne et en Écosse, les vétérinaires font partie d’un programme de financement public lorsqu’ils interviennent dans des petites et moyennes exploitations rurales. À la question de savoir si de tels dispositifs pourraient être appliqués en France, Jacques Guérin répond qu’il « est toujours utile d’analyser les solutions mises en œuvre dans les autres États membres face à une problématique largement partagée. Toutes les options sont sur la table et doivent alimenter les réflexions avec les parties prenantes, sans tabou. » Pour Laurent Perrin, « aucune entreprise ne peut laisser perdurer dans son activité une branche rentable (animaux de compagnie) et une seconde qui pénalise la première. L’État a besoin de la présence du vétérinaire sanitaire. Cette activité autrefois rentabilisée par les opérations de prophylaxie ne l’est plus et c’est heureux puisque c’est lié à l’amélioration de la qualité sanitaire du cheptel français. Cependant, la surveillance des maladies et la capacité d’agir rapidement en cas de foyer nécessitent la présence de vétérinaires disponibles et en proximité des territoires, mobilisables rapidement en cas de crise. Peut-on imaginer des soldats uniquement rémunérés lors des interventions ? » Christophe Brard va dans ce sens : « L’État n’a pas les moyens de se passer des libéraux sur le terrain en appui des vétérinaires de l’administration, car ils remplissent des missions importantes de service sanitaire au quotidien. Cependant, ils ne sont payés que pour des actions ponctuelles : prophylaxies, visites sanitaires obligatoires, interventions lors de crises sanitaires, etc. » Pour cette raison, une réflexion est menée autour d’un financement des vétérinaires par une sorte de forfaitisation dans certains territoires, pour instaurer un système pérenne permettant de rémunérer leurs actions d’épidémiosurveillance, de lutte contre l’antibiorésistance et leur implication dans le bien-être animal, « également en temps de paix. »
TÉMOIGNAGE
STÉPHANIE PHILIZOT
Praticienne mixte et secrétaire générale de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV)
Il n’y a pas de solution univoque, car il n’y a pas une, mais des désertifications. Elles correspondent à des problématiques locales, auxquelles doivent être apportées des solutions spécifiques. Certaines zones comptent beaucoup d’élevages, mais elles sont désertées par les vétérinaires, qui les considèrent comme n’étant pas attractives, d’autres comptent peu d’élevages, mais disséminés dans des zones peu accessibles, d’autres enfin comptent beaucoup de vétérinaires, mais tellement d’élevages que l’effectif des praticiens n’est pas suffisant. Je pense qu’au-delà du financement des vétérinaires, une urgence serait de créer un mandat sanitaire ambitieux et intelligent, afin de redonner du sens à leur présence dans les élevages. De plus, il est capital que l’État cesse d’abandonner les campagnes, et remette des infrastructures qui permettent tout simplement d’y vivre en famille.
« Les praticiens mixtes se posent la question de la rentabilité de leur activité en productions animales en rapport aux contraintes qu’elle impose »
TÉMOIGNAGE
THIERRY CHAMBON
Vice-président de la Fédération vétérinaire européenne (FVE)
Un équilibre entre vie professionnelle et personnelle et une rémunération juste sont indispensables. Dans la feuille de route, l’État s’était engagé à mettre en place un tarif unique pour les prophylaxies obligatoires au chevet de l’animal. En 2021, cela n’est toujours pas le cas, alors que c’est la base d’une rémunération équivalente pour chaque confrère. Cela n’encourage pas les vétérinaires à faire ces actes mal payés, qui prennent du temps et qui, bien que répétitifs, doivent être professionnels. De plus, il serait bien de réviser le décret prescription-délivrance. Ainsi, il serait nécessaire que plusieurs visites obligatoires par an soient réalisées dans chaque élevage, et qu’un seul cabinet vétérinaire les assure. La contractualisation de cet acte entre vétérinaires et éleveurs permettrait d’attirer les jeunes dans ces zones, car cela assurerait une rémunération régulière. De plus, il n’y aurait pas de dépenses surprises pour l’éleveur, qui aurait également l’assurance d’avoir un praticien à sa disposition. Enfin, cela sécuriserait l’État en termes de maillage territorial.
→ 1/3 des vétérinaires qui ont suivi l’option « stage tutoré » résident dans le département du lieu du stage.
→ 52 % déclarent une activité prédominante « animaux de compagnie » versus 80 % pour la population générale.
→ 44 % déclarent une activité « animaux de rente » versus 34 % pour la population générale.
→ 80,5 % ne changent pas d’espèces traitées par rapport à leur déclaration de primo-inscription. Ce pourcentage monte à 87,2 % pour ceux qui ont déclaré un exercice exclusif « animaux de rente » lors de leur primo-inscription.
Source : CNOV
En France, les étudiants vétérinaires en cinquième année d’approfondissement ont la possibilité de réaliser des stages de longue durée en immersion dans une zone rurale, principalement dédiés à la médecine et à la chirurgie des animaux de rente. « Depuis 2013, 214 étudiants ont fait le choix de cette option dont le succès est indéniable, se félicite Jacques Guérin. La première motivation est la recherche de l’autonomie en prévision de la bascule de la vie étudiante vers la vie professionnelle. »
« Cependant le budget alloué pour cette option est limité pour 45 étudiants par an », regrette Christophe Brard, avant de suggérer que « les collectivités territoriales qui le souhaitent pourraient prendre le relais pour financer plus d’étudiants dans leur zone ».
TÉMOIGNAGE
GUILLAUME LHERMIE
Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE), École vétérinaire de Toulouse
La genèse du projet de définition et de classification des zones sous-denses en vétérinaires qui est mené à l’école vétérinaire de Toulouse1 est d’abord motivée par des questions scientifiques. Il fait suite à une concertation avec l’Ordre des vétérinaires et la direction générale de l’Alimentation, après que j’ai contacté l’Observatoire national démographique de la profession vétérinaire (ONDPV) en 2019 pour lancer trois sujets de thèse vétérinaires sur cette question. L’objectif est d’évaluer les politiques publiques de lutte contre les déserts et de comprendre quels sont les problèmes posés à ceux qui y vivent. Ceci nécessite d’abord de localiser ces zones, grâce à des indicateurs pertinents. C’est un projet ambitieux où les questions économiques sont essentielles, et où la loi Ddadue (portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne en matière économique et financière) est une politique publique parmi d’autres, une partie du puzzle, qui mérite d’être évaluée à la lumière des coûts et bénéfices sociétaux et privés qu’elle représente. En développant une approche basée sur la gouvernance sanitaire, le but est d’éclairer les décideurs pour qu’ils apportent les réponses adaptées. Nous devrions obtenir les premiers résultats à la fin du premier semestre 2021.
« Aider la présence vétérinaire dans un territoire n’a de sens que si elle se raisonne dans la durée »