COMPORTEMENT
PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC
Auteur(s) : CAMILLE GASSMANN*, MARIE LOPEZ**
Fonctions :
*CEAV de médecine du comportement des animaux domestiques
**vice-présidente de l’Association de protection vétérinaire (APV)
***secrétaire de la Société francophone d’éthologie vétérinaire (SFEV).
****DU de psychiatrie vétérinaire.
Méconnue et cible de préjugés, cette activité canine encadrée par la loi n’est effectuée que par des chiens à l’obéissance parfaite, dont la cible n’est pas l’humain mais la toile qui le recouvre.
Notre confrère Loïc Dombreval, député des Alpes-Maritimes, dans son rapport de mission sur le bien-être des animaux de compagnie remis au gouvernement le 23 juin 20201, propose d’interdire la pratique du mordant sportif. Le 30 juillet dernier, interrogé à ce propos sur RMC2, il déclarait : « Je considère que des gens, aujourd’hui, utilisent leur animal comme une arme par destination », avant d’ajouter qu’« il y a d’autres activités sportives de loisirs extraordinaires à faire avec son chien plutôt que de l’entraîner à mordre ». Le mordant sportif souffre donc d’un amalgame entre mordant sportif et dangerosité chez le chien. Lorsque la question est posée, il apparaît que peu de nos consœurs et confrères savent réellement de quoi il s’agit, alors qu’ils ont sans doute dans leur clientèle des patients pratiquant l’une des disciplines concernées.
Le mordant sportif est une pratique encadrée de manière très stricte par le législateur3 qui prévoit des sanctions lourdes – 6 mois d’emprisonnement et 7 500 € d’amende, article L. 215-3 du code rural et de la pêche maritime – pour toute personne qui ferait mordre un chien en dehors des dispositions prévues. Cette loi prévoit entre autres un terrain déclaré, un moniteur habilité et une obligation pour le conducteur de faire suivre à son chien l’ensemble de la formation. Les chiens qui pratiquent le mordant sportif doivent d’abord faire la preuve de leur obéissance et de leur sociabilité en réussissant l’épreuve du certificat de sociabilité et d’aptitude à l’utilisation (CSAU). Ainsi, les chiens dressés « en fond de cour » ne sont aucunement des chiens pratiquant le mordant sportif et leurs propriétaires s’exposent à de lourdes sanctions.
En France, 4 disciplines sont reconnues : le ring, le campagne, le mondioring et l’IGP4. Si elles diffèrent par les détails, elles ont en commun d’associer sauts, exercices d’obéissance et exercices de mordant. Ces derniers sont très codifiés et demandent au chien de grandes aptitudes : courage face aux menaces, contrôle de soi pour s’arrêter de mordre avec ou sans ordre (en fonction des exercices), initiative, obéissance, etc. Le but recherché est la sélection des reproducteurs pour l’amélioration des races utilitaires (pour la police, l’armée, les douanes, les pompiers, etc.). Eneffet, il faut des chiens joueurs, physiquement aptes et réceptifs au travail : qualités recherchées pour tous les chiens de travail, qu’ils « mordent » ou pas.
Les statistiques de morsures causées par des chiens pratiquant le mordant brillent par leur absence ! Le nombre de licenciés en France auprès de la Commission d’utilisation nationale chiens de berger et de garde (Cun-CBG), seule habilitée à les délivrer, était de 9 568 en 2018. Chacun de ces chiens est assuré dans le cadre de sa pratique sportive par une assurance spécifique. L’étude des sinistres la même année est éloquente : pour tous les chiens licenciés en discipline comportant du mordant, seuls 2 sinistres de morsure corporelle sur un humain sont à déplorer, et ils sont intervenus lors d’une bagarre entre chiens que la victime a cherché à séparer. L’étude5 menée sur les facteurs de gravité des morsures de chiens aux urgences par l’Institut de veille sanitaire et Zoopsy, une association vétérinaire de zoopsychiatrie, de 2009 à 2010, ne mentionne même pas les chiens dressés au mordant.
Pour commencer, il y a deux principales causes de morsures : la prédation et l’agression. La prédation est un comportement rythmique : « J’ai faim, je cherche de la nourriture, je tue, je mange. » Chez le chien, elle est rare et très dangereuse quand elle vise l’humain. L’agression, elle, est une mise à distance, car le chien a peur, pas envie, ou protège une ressource… Par ailleurs, le chien utilise volontiers sa gueule pour toutes ses occupations qu’il s’agisse de jeu ou même de câlin. L’usage de sa mâchoire est quelque chose de normal et on conseille d’ailleurs de lui laisser des choses à mastiquer pour l’occuper. Parfois, lorsqu’il n’a pas été corrigé chez le chiot ou lorsque le chien se contrôle mal, ce comportement de mâchonnement peut persister, par exemple sur les mains, et entraîner des morsures sans que cela ne soit pour autant une agression. Enfin, les jeux de traction sur des objets (tug) sont l’une des récompenses les plus utilisées quelle que soit la discipline (mordant, obéissance, agility, recherche de substances, de personnes, etc.), car beaucoup de chiens adorent ça et que c’est ainsi un renforçateur.
Concernant le mordant sportif, la « morsure » n’a pour but ni de tuer, ni de mettre à distance, ni de mâchonner n’importe comment tout ce qui passe à portée de gueule. L’idée selon laquelle il s’agirait d’une agression dans laquelle la menace disparaîtrait n’est donc pas pertinente. Lorsqu’il « mord » le costume, le chien n’agresse pas, au contraire : plus longtemps il peut rester dans la toile de manière stable (sans mâchonner), plus le jeu dure et plus il prend du plaisir. Pour apprendre au chien à « mordre », on commence sur une serpillière, puis un boudin, puis une jambière ou manchette molle et enfin, au costume. On n’apprend en aucun cas au chien à mordre quelqu’un mais bien la toile, portée par son partenaire de jeu, et le mordant n’est rien d’autre qu’un tug très contrôlé et associé à différents exercices. D’ailleurs, les chiens lâchent leur prise lorsqu’ils prennent les mains par accident. Pour les chiens utilisés par les administrations, qui eux peuvent être envoyés en attaque réelle, un déconditionnement est nécessaire, car les chiens entraînés au mordant sportif ne mordent pas ailleurs que sur la toile. La pratique sportive ne compromet donc en rien la capacité du chien à communiquer en cas de situation réelle d’agression, puisque le contexte est totalement différent.
Ainsi, contrairement à certaines idées reçues, les chiens qui pratiquent le mordant sportif, tel qu’encadré par la loi française, ne sont mis en cause dans aucun accident. Cet état de fait s’explique par le conditionnement ludique de la prise, la sociabilité et la stabilité des chiens qui pratiquent ces disciplines. Interdire la pratique du mordant sportif serait donc délétère pour la sélection des races concernées, et en aucun cas efficace pour lutter contre les agressions canines. Il existe d’autres pistes à explorer, bien plus pertinentes dans cet objectif, à commencer par l’application complète de la loi déjà existante au sujet des morsures, et la création, enfin !, de l’observatoire des morsures prévu dès 2008 et qui n’a jamais vu le jour.
1. Voir La Semaine vétérinaire, n° 1861 du 3 juillet 2020, p. 24-25.
3. Arrêté du 26 octobre 2001 relatif à l’exercice de l’activité de dressage des chiens au mordant et aux modalités de demande et de délivrance du certificat de capacité s’y rapportant.
4. Internationale Gebrauchshunde Prüfungsordnung : Règlement international de chiens d’utilité, anciennement RCI pour Règlement de concours international.