CONFÉRENCE
PRATIQUE MIXTE
FORMATION
Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE
Article rédigé d’après la présentation faite lors des Journées nationales vétérinaires de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV) en 2020 par Carine PARAUD (laboratoire de Ploufragan-Plouzané-Niort, unité pathologie et bien-être des ruminants).
Dans un contexte où l’efficacité de l’éprinomectine (EPN) administrée par voie pour-on (Eprinex spot on) sur les ovins et caprins est remise en question par de nombreux éleveurs (cf. analyse pages 28-29), une équipe de chercheurs a tenté de caractériser ce phénomène par une étude menée en élevages caprins laitiers, à l’aide de différentes méthodes de détection, dans le cadre du projet Epribele1. Pour cela, ils ont étudié six élevages utilisateurs d’EPN. Dans chaque troupeau, ils ont sélectionné au hasard 60 chèvres en lactation, de plus de 12 mois, ne présentant pas de maladie manifeste, non vermifugées depuis plus de 3 mois et ayant pâturé depuis le dernier traitement anthelminthique. Des prélèvements individuels de matières fécales ont été réalisés à J-5 et l’excrétion fécale individuelle d’œufs de strongles gastro-intestinaux (SGI) a été déterminée par coproscopie avant la réalisation d’une coproculture. Puis, les 45 chèvres les plus excrétrices ont été réparties en 3 lots de 15 chèvres (lot contrôle négatif non traité, lot contrôle positif traité par de l’EPN injectable administrée par voie sous-cutanée à la posologie de 0,2 mg/kg PV et lot test traité par de l’EPN administrée par voie pour-on (Eprinex Multi) à la posologie de 1 mg/kg PV, soit 2 ml/10 kg PV). Le second lot avait pour objectif de permettre la distinction entre un défaut d’efficacité lié à la voie d’administration et une résistance des parasites à l’EPN.
Les chèvres du lot test (EPN pour-on) ont été traitées les premières puis séparées du reste du troupeau, soit le temps du traitement des autres chèvres (pendant au moins 6 heures après traitement). L’excrétion fécale d’œufs des 45 chèvres des 3 lots a de nouveau été mesurée à J14 et une coproculture a aussi été réalisée2. Pour chaque élevage, l’excrétion fécale a été comparée à J0 et à J14 dans les lots témoins. La détection de défauts d’efficacité ou de résistance a été faite à l’aide d’un test de réduction d’excrétion fécale d’œufs (REF). Puis la moyenne des comptages d’œufs, le pourcentage de REF et l’intervalle de confiance à 95 % (IC 95 %) ont été calculés par lots de traitement par rapport ou non au lot contrôle négatif. Trois méthodes de calcul de la REF ont ici été utilisées pour comparer le nombre d’opg avant et après traitement dans chaque lot traité, en tenant compte de l’évolution de l’excrétion dans le lot témoin négatif. Les pourcentages de REF et IC 95 % ont été interpretés3 comme suit : les chercheurs ont conclu à une suspicion de résistance ou à une réelle résistance à l’EPN quand un défaut d’efficacité de l’EPN était observé pour les deux lots traités. À l’inverse, si l’inefficacité n’était observée que pour le lot test traité par voie pour-on, ils ont conclu à un défaut d’efficacité lié au produit (formulation, dose, voie d’administration).
Ainsi, une variabilité individuelle de l’efficacité est observée suite à l’administration de l’EPN par voie pour-on contrairement au lot traité avec l’injectable. De plus, cette voie d’administration a été efficace dans un seul élevage sur six alors que l’injectable a été efficace dans 3 élevages sur 6 (valeurs du pourcentage de REF). Pour les 3 autres élevages du lot traité à l’injectable, des résistances sont suspectées (un élevage) ou avérées (deux élevages). Ces dernières devront toutefois être confirmées en conditions expérimentales, notent les auteurs de l’étude. Par ailleurs, bien qu’aucun comportement de léchage entre chèvres n’ait pu être mis en évidence par des observations à la suite du traitement pour-on dans les élevages étudiés, un transfert d’EPN a été soupçonné entre chèvres traitées par voie pour-on et les chèvres non traitées sur la base de réductions significatives d’excrétion d’œufs dans les élevages dans lesquels ces deux groupes d’animaux n’ont été séparés que peu de temps. La durée de séparation appliquée dans les autres élevages a permis de ne plus observer de réduction d’excrétion fécale d’œufs significative dans le lot témoin. Les auteurs de l’étude recommandent donc d’éviter d’utiliser l’EPN par voie pour-on pour la réalisation d’un traitement sélectif.
Cette étude montre également qu’un test REF, réalisé sur 15 chèvres traitées avec un produit à administrer par voie pour-on, peut être réalisé en comparant l’excrétion fécale avant et après traitement, sans qu’un lot témoin ne soit nécessaire, afin de documenter les déclarations de pharmacovigilance concernant des manques d’efficacité de l’EPN en pour-on. Cependant la présence d’un contrôle positif reste nécessaire si l’on souhaite identifier si le défaut d’efficacité est lié à la voie d’administration ou bien à une résistance des parasites à la molécule, ajoutent les auteurs de l’étude. Enfin, les deux cas de résistance mis en évidence dans l’étude, bien que devant être confirmés par un essai en conditions expérimentales, démontrent l’urgence qu’il y a à raisonner l’utilisation des anthelminthiques et à identifier et déployer des méthodes complémentaires (utilisation de plantes riches en tannins condensés, sélection d’animaux résistants, optimisation de la gestion du pâturage) chez les petits ruminants laitiers, concluent les auteurs de l’étude.
1. Usage et efficacité des traitements par l’éprinomectine dans les élevages caprins laitiers : projet Epribele (idele.fr)
2. Ma, Ministry of Agriculture, Fisheries and Food, Part I : Helminthology. Chapter 4 : Culture, recovery and storage techniques, dans Manual of Veterinary Parasitological Laboratory Techniques, HMSO,1986:20-24.
3. Coles G.C., Bauer C., Borgsteede F.H. et coll., World association for the advancement of veterinary parasitology (w.a.a.v.p.) methods for the detection of anthelmintic resistance in nematodes of veterinary importance, Vet. Parasitol., 1992;44 (1-2):35-44.