OUTILS CONNECTÉS
PRATIQUE MIXTE
FORMATION
Auteur(s) : CÉDRIC ALAUX
Fonctions : chargé de recherche à l’unité de recherche abeilles et environnement de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae)
Il existe d’importantes lacunes dans l’évaluation des risques environnementaux menaçant les abeilles domestiques et ainsi dans la mise en œuvre de réponses efficaces en matière de gestion des cheptels apicoles. Ceci peut s’expliquer par la multitude des pressions environnementales et la difficulté d’évaluer l’état des colonies de manière robuste. Or, les colonies peuvent passer d’un état apparent stable à un déclin de leur population en quelques jours ou semaines. Si dans les réseaux de surveillances des colonies, la fréquence des visites apicoles n’est pas adaptée, la détection de tels événements sera facilement manquée et l’identification des causes en deviendra impossible, notamment puisque les cohortes d’abeilles concernées auront disparu et, avec elles, les traces des facteurs de stress, tels les agents infectieux ou chimiques par exemple. Dans ce contexte, les outils de ruches connectées apparaissent intéressants puisqu’ils permettent une surveillance in situ en continu, et à long terme, des colonies, ce qui pourrait participer à améliorer la gestion du cheptel par les apiculteurs et le suivi épidémiologique des colonies. À l’heure actuelle, les outils disponibles sur le marché, ou dont le développement est en cours de finalisation, peuvent permettre aux apiculteurs, autorités de veilles sanitaires et chercheurs de suivre plusieurs paramètres tels que la miellée, le couvain et l’activité de butinage.
De nombreux modèles de balances automatiques et connectées sont utilisés par les apiculteurs pour suivre le gain de poids des ruches. L’apiculteur peut notamment surveiller le démarrage (augmentation du gain de poids) et la fin des miellées (stabilisation du gain de poids), et ainsi organiser au mieux les transhumances et récoltes de miel. Pour exemple, sur le panneau de gauche de la figure 1, on peut observer un gain de 3,5 kg d’une ruche de 10 cadres entre le 15 et 20 juin 2020. En plus de mesurer la quantité de miel accumulée sur une période donnée, les balances peuvent aussi servir d’indicateur de l’activité des abeilles. En effet, il a été observé, lors des miellées, un patron quotidien de variation de poids très régulier avec une diminution du poids des ruches en début de journée et une augmentation plus importante sur le reste de la journée. Ce patron est caractérisé par 3 pentes de variation de poids illustrées dans le panneau de droite de la figure 1 : une perte de poids pendant la nuit, due à une évaporation de l’eau par les abeilles, notamment afin de transformer le nectar en miel (A-B et D-E) ; une deuxième perte de poids plus abrupte, due au démarrage de l’activité de butinage (sortie des abeilles, B-C) ; et enfin, un gain de poids correspondant au retour des butineuses accumulant les réserves dans la ruche (C-D). Comme pour tout capteur, il est important d’équiper plusieurs colonies de balances au sein d’un rucher afin de déterminer si un rendement anormal d’une ruche est spécifique à celle-ci ou lié à un environnement peu favorable.
Les balances sont souvent associées à des capteurs thermiques pouvant être disposés à l’intérieur et au centre de la ruche, la température étant un indicateur de la présence de couvain et des capacités de thermorégulation des colonies. En effet, pour un développement optimal du couvain, la température au sein de la colonie est strictement contrôlée par les abeilles dans une fourchette de 33 à 36 °C, et la régulation est encore plus précise pendant la période nymphale (35 ± 0,5 °C). Les capacités de thermorégulation peuvent varier en fonction de la taille des colonies : les plus petites ayant généralement plus de difficulté à maintenir une température stable que les grandes, plus populeuses. Sur le panneau de gauche de la figure 2, la température enregistrée sur un mois d’août indique l’absence de couvain dans la proximité du capteur au début du mois, puis la présence de couvain à partir du 15 août. Plus récemment, l’équipe de Martin Bencsik, de l’université de Nottingham Trent, a mis au point un système d’accéléromètres de quelques dizaines d’euros, permettant de mesurer les vibrations sur les cadres de ruches. Une forte corrélation a été mise en évidence entre l’amplitude des vibrations et le cycle de développement du couvain à proximité des accéléromètres. Sur le panneau de droite de la figure 2, un spectre de vibration montre un pic tous les 21-26 jours, ce qui correspond au cycle de développement du couvain d’ouvrières (21 jours). Ainsi, deux générations d’ouvrières ont été produites entre mars et mai et aucune en hiver. Cependant, pour un suivi optimal du couvain au sein des colonies, plusieurs cadres de ruches devraient être équipés de ces capteurs de température ou accéléromètres.
Un paramètre clé de la surveillance des colonies est la mesure des taux de mortalité des abeilles à l’échelle de la colonie. Dans ce cadre, un compteur optique d’abeilles enregistrant l’activité en temps réel des abeilles à l’entrée de la ruche a été mis au point en 2010 à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE) par Didier Crauser et Yves Le Conte, chercheurs à l’unité de recherche abeilles et environnement. En dénombrant le nombre d’entrée et de sortie de la ruche, il donne une estimation du taux de mortalité quotidien des abeilles. Ainsi sur le graphique de la figure 3, représentant pour une colonie les nombres de sortie et d’entrée toutes les 5 minutes, nous avons observé une perte de 1 458 abeilles sur 24 heures. Cet outil est en cours d’amélioration pour le rendre autonome sur le terrain. Plus sophistiqué et onéreux que des balances, il semble plutôt être dédié à de la surveillance environnementale et à l’évaluation des risques liés à des expositions aux pesticides.
Si de plus en plus d’outils de ruche connectée deviennent disponibles, le principal challenge à venir sera l’interprétation des données. En effet, afin que ses outils permettent une meilleure appréciation de l’état des colonies à la fois par la filière apicole mais aussi par les réseaux de veilles sanitaires, les futurs travaux de recherche devront relier la dynamique des colonies aux variations dans le temps des données de capteurs. Il sera alors possible de distinguer une dynamique anormale d’une dynamique normale à partir des capteurs et de diagnostiquer des affaiblissements.