DOSSIER
Auteur(s) : FRÉDÉRIC THUAL
DANS UN PAYS OÙ MEURENT CHAQUE ANNÉE 1,7 MILLION D’ANIMAUX DE COMPAGNIE, LA FIN DE VIE ANIMALIÈRE EST L’OBJET DE MULTIPLES INITIATIVES DANS LE PAYSAGE VÉTÉRINAIRE. LES ACTEURS DES POMPES FUNÈBRES RELÈVENT LEURS MANCHES.
Gédéon, 17 ans, diabétique, victime de convulsions dans la nuit, un chat banal au regard des centaines de milliers de matous décédés chaque année, pas banal à mes yeux embrumés au petit matin dans une salle aseptisée d’un CHV. « Vous pouvez le reprendre, vous nous le ramènerez dans huit jours », avise le professionnel. « C’est dur comme décision », dis-je devant donner le feu vert à cette fatale intervention. « Mais non, ce n’est pas dur », tranche le praticien. N’est pas professionnel de l’accompagnement de la fin de vie qui veut. « Individuelle ou collective, l’incinération ? » Vaste question quand on n’est pas préparé. Trois semaines plus tard au comptoir : « C’est pour les cendres. » « Bon courage », me glisse-t-on avec un sourire compatissant en me tendant un sac. Un service funéraire pourtant bel et bien facturé sans que l’on sache vraiment ce qu’il recouvre. C’est cette absence de transparence et de considération lorsqu’elle a perdu son chat, et plus encore, lorsqu’elle s’est vu refuser la crémation de sa chèvre – interdite à l’époque – qui a incité Sarah Truntzer à se lancer dans la crémation et les services funéraires. À La Teste-de-Buch, sur le bassin d’Arcachon, avec son mari, elle vient d’investir 200 000 euros dans un crématorium, baptisé Bye-bye. « Pour combler un vide et permettre d’accueillir les propriétaires d’animaux pour des cérémonies dans l’intimité, affirme Sarah Truntzer. Ici, il n’y aura jamais deux familles en même temps. » Du temps, elle en aura pris aussi pour monter son projet dans les règles de l’art et satisfaire aux exigences d’une enquête publique, d’une autorisation d’exploitation délivrée par la direction régionale de l’environnement, de l’aménagement et du logement (Dreal) et rayonner sur la Gironde et le nord des Landes. « On s’adresse à des personnes qui veulent faire des crémations privées ou qui prévoient la fin de vie de leur animal. »
Comme elle, c’est l’absence ou l’insuffisance de la prise en compte du « moment de deuil » et de la nécessité de l’accompagnement lors de la disparition de son chat qui a conduit Cédric Malin, graphiste de formation, à se reconvertir et à créer Animémoire, pour offrir des services funéraires très personnalisés. « On est les seuls à le faire de cette manière », explique Cédric Malin qui a noué un partenariat avec un crématorium, collecte les corps d’animaux à domicile et organise des cérémonies sur toute la région parisienne pour accompagner les propriétaires. Son cœur de métier, c’est l’incinération individuelle avec remise des cendres sous 24 à 48 heures. Quand d’autres les remettent quatre semaines plus tard. Vincent Dattée, lui, a fondé Anima Care en 2018. « J’aide les vétérinaires à transférer un acte réalisé par un tiers en un acte qui ne dépend que d’eux », dit-il. Tout est là. Ou presque. À travers des formations, des protocoles et des conseils pour la préparation du propriétaire lors de consultations préalables, l’aide à la décision, le choix funéraire, la création d’une salle dédiée à l’euthanasie et au recueillement, le retour des cendres, etc., Anima Care les aide à formaliser les conditions d’un véritable service autour de l’euthanasie. « Car, pour faire de la marge, il faut qu’il y ait un acte. Et ça a de la valeur pour les familles », assure Vincent Dattée. Reste que plus de trois ans après le lancement de ce service, seuls quatorze établissements vétérinaires ont souscrit un abonnement Premium pour offrir un service complet tandis que 1 200 cliniques font appel à lui pour mettre en place des cartes de sympathie, des urnes, des housses mortuaires, etc. Un premier pas vers l’accompagnement de la fin de vie alors que se dessinent de profonds bouleversements et de grandes manœuvres dans le secteur des pompes funèbres animalières.
« Certains vétérinaires en ont fait une question de marges alors que c’est un sujet sociétal », déplore Philippe Thomas, P.-D.G. du groupe Veternity (anciennement La Compagnie des vétérinaires), devenu le leader du marché des pompes funèbres animalières parmi une kyrielle de petits acteurs – Brendlé, Services Animaux domestiques (SAD), Compagnie d’incinération des animaux familiers, (CIAF), etc. – disséminés sur le territoire français. « Le marché va évoluer avec l’arrivée des fonds d’investissement et des chaînes corporates mais aussi avec la médiatisation auprès du grand public. Ce ne sera plus un business dans l’entre-soi vétérinaire. Ils vont devoir s’adapter et comprendre que le client a son mot à dire et des attentes. Ce ne sera plus un service exclusif vétérinaire, comme c’est d’ailleurs le cas dans tous les pays où nous sommes installés », prévient le P.-D.G. de Veternity, passé du statut de PME française à celui d’ETI (entreprise de taille intermédiaire), présente en Allemagne, en Belgique, en Pologne, en République tchèque, au Canada et aux États-Unis avec l’ambition de devenir le leader mondial des pompes funèbres animalières. L’entreprise finalise aujourd’hui une levée de fonds de 100 millions d’euros pour accompagner son développement à l’international. « On ne se contente plus d’acheter des crématoriums, on acquiert des réseaux de crématoriums notamment sur le marché américain où nous avons signé des partenariats avec Bansfield ou IVC au Canada. Nous discutons beaucoup avec les chaînes vétérinaires corporates », indique Philippe Thomas. Dans l’Hexagone, avec 14 crématoriums, Veternity est devenu, au grand dam de certains, un incontournable. « Nous allons en ouvrir un quinzième avec le rachat de la société Crémateck à Fay-aux-Loges dans le Loiret, en créer trois de plus d’ici un an pour densifier le réseau, que nous allons mailler avec des agences Esthima [anciennement Incineris, NDLR]. Nous venons d’en ouvrir deux à Vincennes et Neuilly, deux autres vont suivre à Seclin dans le Nord et à Lyon, puis dans toutes les grandes métropoles françaises, comme Nantes, Nice, Bordeaux, etc. », égrène Philippe Thomas, qui n’exclut pas de développer des franchises pour répondre à des demandes de groupements vétérinaires. Un moyen de gagner en visibilité.
Si le marché français représente encore les deux tiers de l’activité de Veternity (50 millions d’euros en 2020), il devrait être rapidement dilué pour ne plus représenter que 20 % ou 30 % de l’activité du groupe. L’ambition est de réaliser un chiffre d’affaires global de 200 millions en 2026. « De passer de 180 à 500 millions d’euros d’ici cinq à dix ans », projette le P.-D.G. de Veternity, qui dit avoir refusé des propositions de rachats faites par des groupes internationaux. Signe de leur intérêt pour le marché de la crémation. En France, AniCura, VetFamily ou VetOne s’appuient sur les acteurs en place et disent n’envisager aucun projet en ce sens. En revanche, le britannique IVC Evidensia avoue, lui, y travailler. « Le GIE (groupement d’intérêt économique) Wivetix, constitué entre les différentes cliniques ayant rejoint le groupe pour mutualiser leurs besoins communs, interviendra sur le sujet de la fin de vie des animaux et l’accompagnement de leurs propriétaires. À ce stade, les modalités de l’intervention de Wivetix sur ces services ne sont pas définitivement fixées mais il est vraisemblable que cela passe par l’acquisition d’au moins l’un des acteurs intervenant sur ce secteur », précise Christophe Farah, directeur général d’IVC Evidensia France. Si VetPartners France ne commente pas, la récente décision du groupe britannique d’acquérir le réseau de quatorze crématoriums Pet Cremation Services (PCS) n’exclut pas cette volonté dans l’Hexagone. « L’acquisition de PCS marque une nouvelle diversification par VetPartners », précise Jo Malone, fondatrice et dirigeante de Vet-Partners. « Être en mesure d’offrir des soins de qualité aux propriétaires d’animaux de compagnie en cette période douloureuse est un élément essentiel », considère-t-elle dans un communiqué. L’avenir dira si la France fait partie de ce nouveau terrain de jeu. Toujours est-il que dans l’Hexagone, le marché de la fin de vie est en proie à toutes les convoitises. OGF, leader français des services funéraires (fondation PFG, Pompes funèbres générales, maison Roblot, etc.), vient de faire son entrée dans le domaine animalier à travers sa filiale Funecap (Roc Eclerc), contrôlée par Xavier Thoumieux et Thierry Gisserot, coprésidents, et accompagnée par deux fonds d’investis sement entrepreneuriaux, Charterhouse Capital Partners et Latour Capital. Le groupe vient de créer la Société des crématoriums pour animaux avec l’ambition de construire quatre crématoriums d’ici la fin de l’année 2022 à Compiègne au nord de Paris, à Fougères en Ille-et-Vilaine, à Damazan dans le Sud-Ouest et dans la vallée du Rhône où Funecap vient de faire l’acquisition de terrains pour répondre au besoin de proximité. Un premier pas. « Funecap, c’est 300 millions d’euros de chiffre d’affaires, 650 agences en France, 40 crématoriums en France, 10 en projets, délégataire de nombreux sites comme le Père-Lachaise, Caen, Nice… Une forte rentabilité, de nombreux investissements, nous n’avons jamais redistribué le moindre euro aux actionnaires », explique Thierry Gisserot, engagé dans un plan de développement alliant croissance organique, externe et internationalisation. « Dans l’analyse de nos activités, nous avons découvert la gestion de crématoriums pour animaux. Alors, on a regardé comment était structuré le marché », détaille Thierry Gisserot. « On a découvert un besoin croissant, une réflexion de la société sur la place de plus en plus importante de l’animal, et la présence d’un acteur principal… Or, dans aucun secteur, un seul acteur ne détient 90 % du marché. Les monopoles ne sont jamais très sains. La concurrence ne peut qu’amener une régulation des prix », prévient-il.
Les capacités des crématoriums (3 à 4 millions d’investissement par site) sont calées sur les besoins identifiés du marché pour prendre des parts de marché significatives. Pour Funecap, l’objectif est d’apporter au secteur animalier la qualité de services funéraires, d’assurance prévoyance et d’accueil qu’il a développé dans l’humain. « On arrive avec une vision très souple, c’est logique pour nous d’y aller. Personne n’a jamais construit autant de crématoriums que nous au cours des dix dernières années, des sites eco-friendly qui respectent les normes environnementales. On écoute et on lit beaucoup ce que disent les vétérinaires pour bâtir une offre de services qui réponde aux attentes de chacun. On ne peut être qu’accompagné par les vétos même s’il ne faut pas oublier les propriétaires d’animaux pour qui l’animal est un membre de la famille. On l’a vu dans l’aliment, dans la santé, on le voit aujourd’hui dans la fin de vie », argumente Thierry Gisserot, « La compétition va se durcir, mais c’est le jeu de la concurrence », observe Philippe Thomas qui regrette que le monde vétérinaire ait oublié un peu rapidement les services apportés au cours des vingt-cinq dernières années pour permettre aux vétérinaires d’offrir à leur client une vision autre que celle de l’équarrissage et de proposer des incinérations individuelles à partir des années 2010.
Dans cette bataille, le challenger s’appelle Seleste. La société coopérative d’intérêt collectif a été créée en juin dernier par le groupe Generys, dirigé par Nicolas Goossens, repreneur de la SIAF, Service de crémation et d’inhumation d’animaux familier, acteur historique de la crémation en Île-de-France et propriétaire de trois crématoriums en région parisienne. « Notre objectif est de répondre à une demande latente et insistante des vétérinaires pour avoir un maillage d’établissements de pompes funèbres animalières en France », explique Julien Hanoka, directeur général de Seleste, soutenu par la centrale de référencement Vet Harmonie, fondée par le Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL), et le réseau d’urgentistes vétérinaires Vetoadom, tous deux débarqués du conseil d’administration de Veternity. Ambiance. « Notre projet s’inscrit dans l’économie sociale et solidaire aux services des vétérinaires et des familles. Il ne s’agit pas d’enrichir les dirigeants. Chaque acteur aura droit aux bénéfices générés par le projet et en premier lieu les vétérinaires », ajoute le dirigeant de Seleste. Le plan de développement prévoit l’implantation et la construction d’une vingtaine de crématoriums écologiques et salles de recueillement au cours des cinq prochaines années, dont certains seront dimensionnés pour répondre aux besoins de la filière équine. L’investissement portera, selon les options, sur 2 à 4 millions d’euros, financés par des « investisseurs volontaires ». Autrement dit, des vétérinaires ou des groupes de vétérinaires en cours de structuration sur le marché français qui pourront à la fois intégrer le capital de la SCIC et la holding Seleste Partenaires. « Nous discutons avec certains d’entre eux », reconnaît Julien Hanoka, qui évoque une décision pour la fin du premier semestre. Largement ouverte, Seleste pourrait accueillir des opérateurs des pompes funèbres, des acteurs du monde associatif, des bénévoles, des sous-traitants et même des collectivités locales. Un projet alternatif qui entend néanmoins rester dans le secteur du B to B. « Nous n’avons pas vocation à démarcher les familles », précise Julien Hanoka dont le premier investissement se situe à Cadaujac en Nouvelle-Aquitaine où, suite à l’acquisition du cimetière animalier, un projet de réaménagement du terrain, la construction d’un établissement d’accueil et de recueillement (diffusion d’images, de vidéos, de musique, etc.), ainsi qu’un projet de crématorium sont en cours. À plus long terme, Seleste prévoit la création d’un centre de formation ouvert aux ASV, aux vétérinaires ou aux collectivités territoriales confrontés à l’accompagnement au deuil.
TÉMOIGNAGE
CHRISTELLE GRANSART
Gérante de la clinique vétérinaire de l’Arche, à Croissy-sur-Seine (Yvelines)
« Pour la crémation, les gens craignent de tomber sur un margoulin et redoutent de ne pas récupérer les cendres de leur propre chien. Alors, le véto est celui qui conseille. Si on est des apporteurs d’affaires, on doit toucher là-dessus. Les vétos sont trop souvent des bonnes poires. Même si l’on n’a pas besoin de ça pour vivre, le véto ne peut travailler pour rien ! », estime Christelle Gransart, qui a changé de prestataire pour la crémation et fait appel à Seleste pour 3 à 4 quatre crémations par mois. « Ils sont à l’écoute et réactif. Chez nous qui avons une seule porte d’entrée, ce qui est important, c’est la discrétion, la propreté, l’absence d’odeur et la disponibilité. Pour des crémations individuelles, les gens récupèrent les cendres en une semaine et non sous deux ou trois semaines. Sans quoi, c’est la piqûre de rappel dans la mort. Les tarifs dépendent des options. Je marge très peu dessus. Parfois, j’effectue les euthanasies à domicile pour rester dans l’esprit du vétérinaire de proximité. »
TÉMOIGNAGE
MARION FOURRIER
Directrice de la clinique vétérinaire Alliance, à Bordeaux (Gironde)
De magnifiques photos de voies lactées et d’horizons paysagers ornent les murs de la salle dédiée à l’euthanasie des animaux et au recueillement des propriétaires à la clinique vétérinaire de l’alliance à Bordeaux où l’on effectue un millier de crémations par an. « On a voulu mettre en place une vraie prise en charge du deuil », explique Marion Fourrier, directrice de la clinique bordelaise qui a fait appel à l’expertise d’AnimaCare pour agencer et organiser l’accueil et accompagner la formation des vétérinaires et des ASV. « Ce n’est anodin pour personne une euthanasie », dit-elle. « Ça répond à une vraie demande de l’externe comme de l’interne. Les relations à l’animal ont beaucoup évolué. Il est comme un frère, une sœur… Le confinement a lui-même exacerbé cette relation. On donne un vrai temps à l’euthanasie. Ce n’est pas quelque chose que l’on fait entre deux consultations. On suit les formations et le cahier des charges d’Anima Care. Ainsi, les vétérinaires sont sensibilisés et avec les ASV ont vraiment le sentiment d’aller au bout de la démarche. » Entre l’installation d’un congélateur, d’une table mortuaire et du mobilier, l’investissement dépasse les 40 000 euros. « Économiquement, la crémation est sortie de la facturation pour plus de transparence. On gagne en visibilité. »