PRISE EN CHARGE D’UN LAPIN ANOREXIQUE - La Semaine Vétérinaire n° 1894 du 09/04/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1894 du 09/04/2021

NAC

PRATIQUE CANINE FÉLINE NAC

FORMATION

Auteur(s) : MYLÈNE PANIZO

CONFÉRENCIER

MINH HUYNH, diplômé ECZM, ACZM, spécialiste en médecine zoologique, praticien au centre hospitalier vétérinaire (CHV) Frégis, Arcueil (Val-de-Marne)

Article rédigé d’après une web conférence organisée par le centre hospitalier vétérinaire (CHV) Frégis, Arcueil, le 2 février 2021.

L’anorexie est l’un des motifs de consultations les plus fréquents chez le lapin. Il s’agit d’un symptôme peu spécifique dont le diagnostic différentiel est large : dans 60 % des cas l’anorexie est due à une stase digestive, dans 20 % à des problèmes dentaires, et dans les 20 % restant à d’autres maladies.

Stases et occlusions digestives

Origine

Une alimentation inadaptée – défaut de fibres, consommation excessive de granulés –, un manque d’hydratation et d’activité – lié notamment à l’obésité – sont les causes les plus fréquentes de stases chez le lapin. Elles apparaissent en général à partir de 3 ans. Un tiers des lapins, surtout ceux de grande taille, présente une stase après une anesthésie générale. Une ingestion excessive de poils lors de la mue, le stress et la douleur sont également des causes de stase digestive.

Diagnostic

L’arrêt ou la diminution de la motricité digestive provoque une douleur abdominale, un abattement, un arrêt de production de selles et une absence de borborygmes. La radiographie abdominale permet de mettre en évidence une dilatation gazeuse des anses digestives, révélatrice de la présence d’un iléus. Face à un lapin en stase, plusieurs éléments permettent d’évaluer la gravité et ainsi de donner un pronostic au propriétaire, dès l’admission. Une hypothermie (température inférieure à 36 °C) est caractéristique d’un animal en état de choc. Une glycémie supérieure à 4 g/l révèle une ischémie, suggérant une obstruction digestive. Une azotémie à plus de 1,2 g/l signe une déshydratation importante ou une atteinte rénale. Une hyponatrémie peut être constatée. Enfin, une lactatémie inférieure à 5 mmol/l est spécifique d’une stase digestive, plus particulièrement cæcale – les lapins produisent des lactates endogènes dans le cæcum.

Traitement

Le traitement des stases digestives repose sur le quatuor suivant : apport de fluides, apport de fibres, gestion de la douleur et induction de mouvements.

En cas de stase simple – absence d’hypothermie, de dilatation stomacale et de modifications biochimiques –, le traitement consiste à réhydrater l’animal par voie sous-cutanée ou intraveineuse, à l’aide de Ringer Lactate à 100-120 ml/kg/24h, à adapter en fonction du pourcentage de déshydratation. Une analgésie à base de méloxicam à 1 mg/kg/12h, de buprénorphine (0,03 à 0,05 mg/ kg/4-6h) et de maropitant à 1 mg/kg/24h est conseillée. L’animal devra être gavé à l’aide de produits spécialisés (Critical Care, Recovery, Emeraid Sustain herbivore). Ils contiennent environ 1,3 kcal/ml. Le besoin énergétique (BE) peut être calculé grâce à la formule suivante : BE = k × 70 × (poids en kg) 0,75 où k est le coefficient de correction, à appliquer suivant le statut physiologique de l’animal (k = 1 pour un animal en bonne santé, k = 1,2 pour un animal débilité, en sepsis, etc.). Il est conseillé de stimuler l’appétit avec des produits frais et humides, telles les herbes aromatiques. Favoriser le mouvement du lapin peut s’effectuer en pratique en le plaçant sur une plaque de vibration (de type fitness) pendant 5 à 10 minutes ou en réalisant des massages.

En cas de stase complexe – hypothermie et/ou modifications biochimiques –, et en l’absence de dilatation stomacale, le traitement est similaire, mais il est conseillé d’hospitaliser le lapin au moins 48 à 72 heures, afin d’apporter des fluides par voie intraveineuse, à l’aide d’un pousse-seringue. Pour traiter la douleur, l’administration de maropitant et de morphiniques est conseillée : selon le degré de douleur avec de la buprénorphine ou de la morphine ou de la méthadone à 1-2 mg/kg/4h, voire du fentanyl à 2,5 µg/kg.

En cas de stase associée à un iléus sévère, en plus d’une bonne analgésie, il faudra tout d’abord réchau er le lapin afin que la fluidothérapie soit efficace (présence fréquente d’une vasoconstriction). Cette dernière est réalisée préférentiellement par voie intraveineuse ou intra-osseuse au niveau du plateau tibial. Il a été démontré que la voie intra-rectale est efficace pour réhydrater un lapin si les veines ne sont pas accessibles. À l’aide d’une sonde naso-gastrique souple, un bolus de fluide de Ringer Lactate réchau é peut être introduit par voie intra-rectale (environ 20 ml pour un lapin de 2 kg). Le support nutritionnel s’effectue à l’aide d’une sonde naso-œsophagienne ou naso-gastrique.

En cas d’obstruction digestive, le lapin est en état de choc : hypothermie, bradycardie, douleur abdominale aiguë, abdomen distendu, absence de selles. La différence avec une stase peut être constatée à la radiographie, en traçant une ligne imaginaire au niveau de la dernière côte. Si l’estomac se situe avant cette ligne, le lapin est en stase. Si la distension de l’estomac est telle qu’il dépasse la ligne, il s’agit d’une obstruction. L’aspect de l’estomac perd son aspect dit en « mie de pain » et une bulle d’air est souvent présente, ce qui révèle une déshydratation importante du contenu digestif. Dans ce cas, il convient de sonder l’animal pour décomprimer l’estomac, et il ne faut surtout pas le gaver. La fluidothérapie intraveineuse doit être associée à une analgésie poussée, comme l’association de fentanyl 2,5 µg/kg/h, lidocaïne à 2 mg/kg/h et kétamine à 0,5 mg/kg/h, ainsi qu’une injection quotidienne de maropitant. La gestion médicale est associée à un meilleur taux de survie que la gastrotomie (45 % versus 62 % au centre hospitalier Frégis).

Lésions dentaires

Il est primordial de faire la différence entre le lapin qui n’a pas d’appétit et celui qui est intéressé par la nourriture mais qui ne peut pas manger. Ce dernier cas oriente vers des lésions dentaires, qui apparaissent généralement à partir de 3 ans. Le lapin conserve la plupart du temps un bon état général. L’anorexie est parfois associée à du ptyalisme et/ou à un épiphora. L’examen dentaire permet d’identifier des lésions sur la langue et les joues ainsi que des pointes dentaires. Sur un animal vigile, 50 % des lésions ne sont pas visibles, il ne faut donc pas hésiter à effectuer une anesthésie. Le traitement consiste à réaliser un parage dentaire et à appliquer une crème antidouleur sur les lésions. En cas de malocclusion dentaire associée à une stase digestive, il convient de traiter la stase en priorité.

Autres causes d’anorexie

Une femelle entière a 75 % de risques de développer une tumeur utérine après l’âge de 3 ans. L’anorexie, due à la douleur viscérale, est souvent associée à une hématurie et à de la nervosité. L’ovario-hystérectomie est le traitement de choix.

Les lapins sont sujets aux néphrolithiases, l’insuffisance rénale est fréquente chez les animaux âgés. Une anorexie associée à une élévation des paramètres hépatiques est évocatrice d’une maladie virale hémorragique (VHD), particulièrement en cas d’hyperthermie chez un lapin non vacciné, ou d’une torsion de lobe hépatique (complication de dilatation digestive souvent accompagnée d’une anémie, il s’agit d’une urgence chirurgicale). Une anorexie associée à une élévation des protéines sériques peut être due à une infection chronique (abcès, otite, etc.). L’absence d’appétit chez un lapin âgé peut avoir un lien avec une douleur arthrosique.