Examen de conscience - La Semaine Vétérinaire n° 1898 du 07/05/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1898 du 07/05/2021

LIVRE

COMMUNAUTE VETO

Auteur(s) : MICHEL BERTROUMICHEL BERTROUMICHEL BERTROU

Gil Bartholeyns avait agréablement surpris en 2019 avec Deux kilos deux1, un roman original conjuguant une implacable immersion dans l’aviculture intensive à l’atmosphère insolite d’un western contemporain, sur un haut plateau belge paralysé par la neige. Le travail d’enquête qu’a réclamé l’écriture de cette fiction a amorcé chez cet historien2 une profonde prise de conscience. Conscience d’être désormais biologiquement lié à une Terre abîmée par des événements – pandémies, incendies, inondations – ayant tous pour dénominateur la violence. Celle que nous faisons subir aux milieux naturels et aux êtres vivants. Une violence devenue systémique.

Loin de faire la morale, les textes réunis ici analysent le présent comme une séquence historique. Ils esquissent les contours d’un âge hanté par des maladies franchissant les espèces et les espaces. Une ère que l’auteur appelle « pathocène » plutôt qu’anthropocène, et dont il tisse la généalogie, de la naissance de la zootechnie à l’intensification de l’élevage, du brassage des espèces à la destruction des habitats, de la traite des animaux à l’emprise biosécuritaire. Une méditation pertinente, à même d’aiguillonner les réflexions des vétérinaires, agents incontournables des productions animales et rompus depuis longtemps à la hantise sanitaire.

Comme le livre de Gil Bartholeyns (ci-contre), cet essai de Hicham-Stéphane Afeissa, chez le même éditeur, met en question la violence que l’emprise humaine exerce sur le règne animal et l’environnement. Le philosophe y argumente le fait que cette violence est implicitement autorisée par notre refus de reconnaître aux animaux comme à la nature leur fondamentale altérité. Cette approche originale prend le contrepied des penseurs qui rejettent l’usage du concept d’une nature séparée de nous, mais surtout de ceux, nombreux aujourd’hui, qui insistent sur la porosité des frontières entre les sensibilités et les intelligences et appellent à dépasser la violence de nos rapports au vivant en renouant ou « résonnant » avec lui. À cet activisme « compassionnel » qu’il juge dépolitisant, Hicham-Stéphane Afeissa oppose une nouvelle éthique qui, sans renier la réalité de nos interdépendances avec les animaux et la nature sauvage, valorise l’expérience de la différence à laquelle ils nous confrontent, et plaide pour la reconnaissance de leur « inquiétante étrangeté ». Une philosophie animale et environnementale aussi détonante que stimulante.

Les avancées actuelles de nos connaissances des comportements animaux doivent beaucoup aux fines observations des primatologues tels que Jane Goodall, Frans de Waal ou Volker Sommer. Mêlant des entretiens avec ces trois spécialistes des chimpanzés et des bonobos à des images d’archives ou du terrain (Nigeria, Tanzanie), ce documentaire retrace avec clarté notre exploration des compétences émotionnelles, cognitives et sociales de ces primates dont la troublante parenté avec nous, et les différences, aident à comprendre les processus évolutifs qui ont conduit à l’homme.

  • Le Hantement du monde, Zoonoses et Pathocène de Gil Bartholeyns, éditions Dehors, 10 x 20,5 cm, 120 pages, 13 €.
  • Manifeste pour une écologie de la différence de Hicham-Stéphane Afeissa, éditions Dehors, 11,2 x 20,5 cm, 144 pages, 15 €.
  • Les Grands Singes, ces primates si proches de l’homme d’Anja Krug-Metzinger, Allemagne, 2020, 58 minutes. Diffusions sur Arte le 8 mai à 22h25, le 13 mai à 9h25 et le 16 mai à 7h et sur arte.tv jusqu’au 5 août 2021.
  • 1. Chez JC Lattès, 2019, voir La Semaine Vétérinaire n° 1826 du 18 octobre 2019, page 55.
  • 2. Gil Bartholeyns est maître de conférences à l’université de Lille, faculté des humanités.