Prise en charge d’une plaie œsophagienne - La Semaine Vétérinaire n° 1898 du 07/05/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1898 du 07/05/2021

Chirurgie

FORMATION CANINE

Auteur(s) : Pierre Tamigi, Gregoire Bonnel, Laetitia Boland (Dipl. ECVS), praticiens au centre hospitalier vétérinaire (CHV) Nordvet, La Madeleine (Nord)

CAS CLINIQUE

Commémoratifs, anamnèse et examen clinique

Un chien croisé golden retriever mâle entier de 3 ans est présenté pour polypnée, dysphagie, hypersalivation et boiterie aiguë de grade 3/5 du membre thoracique gauche suite à un jeu avec un bâton de bois. L’examen clinique révèle une hyperthermie à 39,5 ºC, une cervicalgie marquée, ainsi qu’un emphysème sous-cutané localisé en région préscapulaire gauche.

Diagnostic

Des radiographies orthogonales de la région cervicale et du thorax sont réalisées et révèlent la présence d’un emphysème cervical latéralisé à gauche en regard des dernières vertèbres cervicales et dorsalement à la trachée. Les origines possibles de cet emphysème sont une plaie cutanée, une lésion trachéale, une lésion buccale ou œsophagienne. Dans un deuxième temps, l’examen de la cavité buccale (arc palatoglosse notamment) sous anesthésie générale ne montre pas d’anomalie. L’examen trachéoscopique réalisé ne montre pas de lésions des voies respiratoires. L’examen endoscopique digestif révèle une lésion œsophagienne dorsale de 2 cm de long localisée à 5 cm du pharynx. À ce stade des examens complémentaires, le bilan lésionnel montre une lésion perforante de l’œsophage cervical associée à un emphysème sous-cutané et une boiterie du membre thoracique gauche, probablement secondaire à un traumatisme par corps étranger. L’exploration chirurgicale est acceptée par les propriétaires.

Traitement

Un abord chirurgical cervical ventral est réalisé. Un corps étranger perforant de 2 cm de long (morceau de bois) ventralement à l’œsophage proximal et s’étendant caudalement jusqu’à la face médiale de la scapula gauche est visualisé. Le corps étranger est retiré par traction et un parage des tissus dévitalisés situés sur son trajet, associé à un rinçage profus, est effectué. Dans un second temps, et après réalisation d’un prélèvement pour analyse bactériologique, la lésion œsophagienne est parée a minima. Une antibiothérapie par voie intraveineuse à base d’amoxicilline – acide clavulanique (20 mg/kg) – est mise en place. Ensuite, l’œsophage est suturé en un plan à l’aide de points simples perforants réalisés au monofilament résorbable (polydioxanone USP 3-0) et la suture est renforcée à l’aide d’un patch musculaire provenant du muscle sterno-thyroïdien gauche. Un drain passif de Penrose est installé avant la fermeture de la voie d’abord. L’alimentation orale est proscrite et une sonde naso-œsophagienne est mise en place. L’antibiothérapie (amoxicilline -acide clavulanique) est poursuivie per os pendant 10 jours.

Suivi

L’animal est alimenté exclusivement par la sonde naso-œsophagienne pendant une semaine avant de réintroduire progressivement l’alimentation orale. Le drain de Penrose est retiré 72 heures post-opératoire. Proteus mirabilis et Klebsiella pneumoniae sont isolés à l’analyse bactériologique. L’antibiothérapie est alors modifiée : de la marbofloxacine est ajoutée pendant 7 jours. Une œsophagoscopie de contrôle est réalisée à 4 semaines postopératoires et montre une cicatrisation complète de l’œsophage sans signe de sténose ou de fistule œsophagienne.

DISCUSSION

Localisation des corps étrangers ingérés

Les lacérations œsophagiennes cervicales sont le plus souvent secondaires à la perforation de corps étrangers tels que des morceaux de bois chez le chien, mais peuvent également être secondaires à des morsures. Les corps étrangers œsophagiens les plus fréquents chez le chien font suite à l’ingestion d’os qui se coincent dans l’œsophage. Les sites d’obstruction sont le plus fréquemment dans la portion thoracique : 55 % à 79 % situés entre le diaphragme et la base du cœur, 11 % à 34 % au niveau de la base du cœur selon une étude ; mais une autre étude rapporte 41 % de localisation au niveau de l’œsophage cervical.

Diagnostic

Lors d’une suspicion de lésion œsophagienne traumatique, des radiographies cervicales et thoraciques sont réalisées afin de mettre en évidence un éventuel emphysème cervical, un pneumomédiastin, un pneumothorax, une médiastinite ainsi qu’un épanchement pleural. La présence de fuites œsophagiennes peut être évaluée à l’aide d’un œsophagogramme. Cependant, le comblement de la brèche œsophagienne par le corps étranger peut être à l’origine de faux négatifs. L’examen endoscopique permet ensuite d’évaluer l’étendue des lésions présentes et la viabilité des tissus adjacents. Il est important de noter que l’insufflation lors de l’endoscopie peut créer un pneumomédiastin et également un pneumothorax.

Traitement

Dans certains cas de perforations œsophagiennes minimes et ponctiformes (hameçon, os), une cicatrisation par seconde intention est possible, nécessitant une restriction complète de la prise de boisson et de nourriture par voie orale pendant 72 heures. Les brèches œsophagiennes en région cervicales peuvent dans certains cas être gérées uniquement par un drainage local compte tenu de la présence des tissus environnants, contrairement aux lésions de la région thoracique qui ont des conséquences cliniques plus sévères et qui requièrent généralement un traitement chirurgical. Le traitement chirurgical est indiqué dans les situations ou le produit de contraste fuit au-delà de la lésion initiale lors de la réalisation de l’œsophagogramme, ainsi que lorsqu’un épanchement pleural ou un pneumothorax est présent. Les sutures œsophagiennes sont réalisées avec des points simples en une ou deux couches en incorporant la sous-muqueuse à l’aide d’un monofilament d’absorption lente tel que le polydioxanone ou le polyglyconate monté sur une aiguille non traumatique.

Éviter les complications

La cicatrisation œsophagienne est délicate avec un taux de déhiscence élevé car l’œsophage a plusieurs particularités : il ne possède pas de séreuse, sa vascularisation est segmentaire, il n’est pas entouré d’épiploon, il est en mouvement constant et peut être soumis à d’importantes tensions. Pour améliorer la cicatrisation œsophagienne et limiter les complications, des techniques de renforcement de plaie sont employées et regroupent d’une part les patchs autogéniques tels que les muscles sterno-thyroïdiens et long du cou, et d’autre part des patchs de tissus xénogéniques (sous-muqueuse intestinale de porc) ou artificiels (polytétrafluoroéthylène). Dans certains cas de lésions sévères (circonférentielles, étendues et nécrotiques), une résection associée à une anastomose peut s’avérer être la seule option. Afin de limiter le passage du bol alimentaire et la tension au niveau du site chirurgical, il est recommandé de poser une sonde de gastrostomie pendant 10 jours environ. Le pronostic reste donc réservé lors de brèches œsophagiennes, avec un taux de mortalité de 6 à 36 % selon les études. Les complications de la suture œsophagienne à court terme sont principalement la déhiscence de la suture entraînant une infection pouvant être associée à un pneumomédiastin et/ou un pneumothorax. La sténose œsophagienne est la complication principale à plus long terme, qui peut être traitée par une dilatation à l’aide d’un ballonnet sous contrôle endoscopique.

  • Bibliographie
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