DOSSIER
Auteur(s) : CHANTAL BÉRAUD
CAPTEURS EMBARQUÉS SUR LES ANIMAUX OU PLACÉS DANS LES BÂTIMENTS, LA TECHNOLOGIE NUMÉRIQUE CONTINUE SON DÉVELOPPEMENT EN RURALE. QUELS SONT SES AVANTAGES, SES INCONVÉNIENTS ET SES PROMESSES D’AVENIR POUR LE VÉTÉRINAIRE ? ANALYSE DU CONTEXTE GÉNÉRAL, ENTRETIENS AVEC DES SPÉCIALISTES DE LA SANTÉ DES BOVINS.
Le vétérinaire rural de demain commencera-t-il systématiquement sa journée en étudiant d’abord un tableau de bord individuel des animaux de rente dont il assure le suivi sanitaire ? Après les distributeurs automatiques de concentrés ou les robots de traite, les capteurs embarqués sur les animaux permettant d’aider au « pilotage » de la reproduction se sont démocratisés.
Le robot de traite équipe actuellement la moitié des nouvelles installations. Représente-t-il pour autant un outil unanimement accepté ? Dans le magazine Santé et Travail d’octobre 2017, Nathalie Hostiou, chercheuse alors à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra), notait les faits suivants : « Le robot mesure plusieurs dizaines de paramètres et envoie des alertes pour signaler ceux qui sortent des normes, mais aussi le décrochage d’un manchon ou le blocage du système par un animal. Comme ces alertes peuvent être transmises jour et nuit par l’éleveur via son téléphone portable, elles peuvent lui donner l’impression d’être tout le temps dérangé ! C’est pourquoi certains éleveurs font le choix de vendre le robot pour revenir au système de traite classique. »
Pour sa part, Raphaël Guatteo, professeur en gestion de la santé des bovins à Oniris (Nantes), estime que « la tendance future sera sûrement plus orientée à équiper des bâtiments que des animaux, pour des raisons de coût et d’éthique. L’évolution dépendra aussi et surtout des attentes des éleveurs en matière de confort de travail et d’objectifs visés (pilotage de la reproduction, détection des dystocies seulement, des vêlages, des troubles de santé, etc.) ». Il constate aussi que « la taille des troupeaux n’est pas l’unique critère à prendre en compte. Déjà actuellement, des troupeaux comprenant quelque 60 à 70 vaches laitières sont tout autant équipés que d’autres cheptels plus grands ».
« Ces outils, poursuit Raphaël Guatteo, constituent une opportunité, à condition que l’éleveur ne leur délègue pas entièrement la fonction d’observation des animaux : cela doit venir en complément, et c’est à ce jour bien comme cela qu’ils s’en servent. De plus, ils ouvriront la voie à la télésurveillance ou à la réalisation d’un examen clinique augmenté pour le vétérinaire, qui pourra disposer d’informations jusqu’ici non disponibles. » Où en est-on justement concernant les alertes santé que certains de ces appareils génèrent déjà ? Là aussi existent des performances et des marges de progression ! « Par exemple, explique-t-il, il est possible de bien détecter, via le monitoring de la température, des troubles respiratoires de taurillons à l’engraissement, car les troubles respiratoires sont fréquents, groupés dans le temps et l’hyperthermie un signe précoce. En revanche, en bovins laitiers, ce système est moins performant car les vaches laitières sont plutôt malades de façon étalée dans le temps et souvent de maladies non hyperthermisantes. De plus, les outils développés au départ pour la détection des chaleurs génèrent aujourd’hui des alertes de santé. Mais là où l’outil détecte les chaleurs (avec une conduite à tenir claire), il permet uniquement en matière de santé d’identifier les animaux devant faire l’objet d’une attention spécifique. »
Si l’éleveur appelle son vétérinaire, ce dernier pourra s’aider des données générées par les outils numériques, dont celles portant sur l’ensemble du troupeau, pour savoir par exemple, s’il s’agit d’une dégradation brutale ou non. Les données générées par ces nouveaux outils font donc bien partie de l’expertise médicale du vétérinaire. « Mais il est vrai que dans certains cas “simples”, c’est l’éleveur qui va réagir, en automédication. Il y a parfois un risque qu’il recoure à un traitement de première intention, en utilisant par exemple trop rapidement des antibiotiques », met en garde Raphaël Guatteo. Autre problème possible : l’éleveur, s’il ne trouve rien, peut perdre confiance dans les alertes, et ne pas détecter l’animal qui le mériterait. « Par ailleurs, complète Raphaël Guatteo, la confirmation des alertes doit être aussi faite via l’outil, notamment pour permettre au système d’auto-apprentissage d’améliorer les alertes. »
TÉMOIGNAGE
VINCENT TESSIER (N 07)
Praticien rural à Chemillé-Melay (Maine-et-Loire), utilisateur d’iCownect
Cinq éleveurs laitiers, parmi mes clients déjà connectés à iCownect1, m’ont offert de rejoindre l’espace personnel du vétérinaire, via une identification et un mot de passe, dans le cadre du suivi d’élevage que je leur proposais. J’en fais trois utilisations majeures : j’y rentre mes prescriptions de traitements quand je consulte l’animal ; dès que j’ai cinq minutes de libre, je fais des visites « virtuelles » d’élevage, ce qui peut me permettre d’avoir un historique sanitaire des autres visites effectuées par mes confrères, car nous sommes quatre vétérinaires à tourner en rurale ; enfin, c’est un logiciel intéressant, car, analysant les données de l’élevage, il met à jour régulièrement les prévalences des différentes maladies (des adultes et/ou des veaux). Du coup, au lieu de n’être qu’un vétérinaire pompier, je dispose des informations me permettant d’anticiper les maladies et d’agir comme conseiller : ainsi, en cas d’augmentation des mammites, je téléphone à l’agriculteur pour savoir s’il a changé quelque chose dans l’alimentation ou dans son hygiène de traite, ou en cas de diarrhées, je vois s’il faut rectifier avec lui la gestion du colostrum. De plus, c’est très pratique pour les suivis : avant ma visite d’élevage, je peux sortir en amont la liste des vaches à échographier. Cet outil agrégeant toutes les données de reproduction, il facilite la mise en place d’un suivi visant à augmenter les performances de reproduction. Enfin, je suis persuadé que les vétérinaires peuvent dès à présent anticiper davantage l’arrivée des maladies, via l’analyse des données. J’ai par exemple pu détecter un problème d’alimentation durant le tarissement par une augmentation de la prévalence des maladies métaboliques en début de lactation. En conclusion, moins de gestion de maladies, des performances augmentées en reproduction font que l’abonnement au logiciel est rentable pour l’éleveur.
TÉMOIGNAGE
FLORENT PERROT (A 09)
Praticien mixte à Saint-Flour (Cantal), utilisateur de VetImpress
Nous prenons en charge le coût d’abonnement de nos éleveurs à la base de données EdNotif (65 euros par an et par éleveur), que l’on intègre ensuite dans le prix de suivi de leurs vaches laitières. Ils y enregistrent a minima les entrées, les naissances et les sorties. VetImpress (commercialisé par la société Vetoquinol) récupère ces données ainsi que toutes les informations individuelles de l’animal (résultats du contrôle laitier, date d’insémination) et les intègre dans les interfaces web et l’application, car nous sommes abonnés en qualité de vétérinaires à cette solution digitale. Les résultats sont obtenus sur l’application : en cliquant sur l’icône de chaque vache, on a par exemple les résultats du contrôle laitier (date insémination, date vêlage). Par ailleurs, je peux, au cours du suivi, enregistrer sa note d’état corporel ainsi que le résultat de l’examen reproducteur (vagin, ovaires, utérus) et les traitements administrés ou à faire. Ces données sont ensuite conservées dans le logiciel VetImpress en étant consultables à tout moment, ce qui permet d’améliorer la qualité de notre suivi sanitaire sur le long terme. En pratique donc, la veille ou le matin même d’une visite d’élevage, je consulte la liste des vaches à examiner. Cela permet de ne pas en oublier ! VetImpress propose d’intéressants modules de suivi de reproduction et aussi de parage : vache par vache, pied par pied, on sait quelles sont les lésions, les traitements effectués, ceux à venir… En fin de visite, il est possible d’éditer un rapport avec tous les animaux vus, et tous les traitements à faire, assortis d’un calendrier. L’idéal, ce sera quand des passerelles seront créées avec notre logiciel de gestion, de manière que soient également automatiquement générées après nos visites les ordonnances et les factures correspondantes. Oui, je crois que l’analyse de telles données, c’est en partie l’avenir du suivi d’élevage et de la médecine de population. Même si, par faute de temps, je n’utilise qu’environ 40 % des possibilités offertes par VetImpress.
Face à ces évolutions, la profession vétérinaire semble divisée. Il y a ceux qui ne souhaitent tout simplement pas investir dans le suivi d’une activité rurale qui pour eux est déjà peu ou même, au pire, déjà non rentable ! D’autres praticiens, moins tranchés, s’y intéressent, mais ne savent pas comment se former à ces nouvelles technologies. Enfin, des praticiens pionniers testent et recherchent avec enthousiasme quels outils efficaces améliorent dès aujourd’hui leur pratique1.
TÉMOIGNAGE
PATRICK CHABROL (L 89)
Praticien spécialisé en aviaire à Bourg-en-Bresse (Ain)
Après plusieurs mois de test en élevage, je suis désormais doté d’un boîtier de surveillance Copeeks1. Il est équipé de capteurs principaux directement sur le boîtier et de capteurs annexes reliés en Bluetooth pouvant être placés à différents endroits d’un bâtiment d’élevage. Cela me permet d’avoir accès à distance (puce GSM) à des mesures d’ambiance collectées en continu dans le bâtiment (température, C02, NH3, particules fines etc.). Une caméra enregistre aussi de courtes séquences vidéo et des photos. Nous allons ainsi essayer d’analyser les déplacements des poules, et donc de suivre leur comportement. Ces paramètres seront fondamentaux pour améliorer et objectiver le bien-être des animaux d’élevage.
En effet, la lumière naturelle sera de plus en plus présente dans les élevages hors-sol, les nouveaux cahiers des charges bio imposant même d’élever les poulettes futures pondeuses bio dans des bâtiments avec parcours en plein air. Nous réalisons déjà mesure et qualification de la lumière avec un boîtier de type Hato2.
Se doter d’outils intelligents de mesure pour évaluer ces nouveaux comportements est une opportunité et une obligation. D’ores et déjà les éleveurs, tous élevages confondus, attendent de plus en plus de prévention de la part de leur vétérinaire. L’étude des datas ainsi collectées et l’amélioration des conditions d’élevage en lien avec le bien-être animal sont partie intégrante de nos prérogatives de « soignants » !