LA MÉDECINE FACTUELLE EN PRATIQUE - La Semaine Vétérinaire n° 1900 du 21/05/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1900 du 21/05/2021

ACADÉMIE VÉTÉRINAIRE DE FRANCE

ANALYSE

Auteur(s) : TANIT HALFON

Comment appliquer la démarche de l’evidence-based medicine dans son exercice quotidien ? Quel crédit accorder aux preuves scientifiques dont on dispose ? Au travers de ces thématiques abordées lors d’une séance de l’Académie vétérinaire de France dédiée à l’éthique, ce sont les pratiques professionnelles vétérinaires qui ont été questionnées.

En pratique clinique, toute prise de décision repose sur des considérations éthiques, a rappelé l’Académie vétérinaire de France (AVF) dans deux séances consacrées à l’éthique vétérinaire, les 29 avril et 6 mai derniers. Si plusieurs aspects entrent en ligne de compte (expérience du praticien, tempérament, coût de la maladie, concurrence, etc.), il est apparu essentiel de s’orienter vers une décision partagée avec le propriétaire, dans l’intérêt de l’animal, mais aussi de la santé publique et de l’environnement, et éclairée des dernières données acquises de la science. C’est ce qu’on appelle la médecine factuelle, ou encore médecine fondée sur les preuves : evidence-based medicine ou EBM. Cette démarche, éthique, n’est pas insurmontable pour le praticien, à condition d’en connaître les points clés.

Procéder par étapes

« L’EBM consiste en l’utilisation raisonnée, explicite et judicieuse des preuves scientifiques les plus robustes dans la décision des soins à donner à un patient en particulier », a expliqué Christophe Hugnet, vétérinaire et membre de l’AVF, lors de la séance du 6 mai. À ces preuves, extérieures, issues de la recherche, sera toujours associée l’expertise clinique individuelle du praticien (expérience, connaissances). La démarche EBM peut concerner des questions relatives aux causes de la maladie et facteurs de risque, au diagnostic, au traitement, au pronostic et à la prévention. Elle peut être formalisée à travers cinq étapes : la reformulation de la question clinique, la recherche documentaire pour obtenir des informations pertinentes en lien avec cette question, la vérification de la validité interne et de la validité externe de l’information obtenue, et enfin l’autoévaluation, c’est-à-dire l’évaluation de l’efficacité et de la pertinence de sa décision.

Quelles sont ses preuves ? Il y en a plusieurs : un avis d’expert, un rapport d’un cas clinique, une étude randomisée en double aveugle, etc., le plus important à retenir étant que toutes les preuves ne se valent pas. On parle de pyramide de l’évidence. « Il est intéressant de noter que les avis d’experts et rapport de consensus d’experts sont classés assez bas dans la pyramide, sauf s’ils sont motivés par des résultats de méta-analyses », a précisé le conférencier. Ces méta-analyses, ou revues systématiques de la littérature, sont au top de la pyramide, avec juste en dessous les études contrôlées randomisées en double aveugle, puis les études non randomisées, les rapports de séries de cas et études de cohortes, les rapports d’un seul cas clinique, les résultats de recherches dans d’autres espèces, les indices physiopathologiques, les avis d’experts et enfin, en bas de la pyramide, les preuves in vitro. « Il est peut-être envisageable d’adapter le niveau de preuves aux réalités de la médecine vétérinaire », a également souligné Jean-Michel Vandeweerd, vétérinaire, enseignant-chercheur à l’université de Namur, membre de l’AVF, en s’appuyant par exemple sur des études observationnelles.

Valider l’information scientifique

L’analyse de la littérature scientifique implique forcément d’avoir des bases en biostatistiques, pour ne pas passer à côté des limites des études et ne pas tomber dans un certain nombre de pièges, voire manipulations des données. C’est l’étape de la validité interne. Une des limites à connaître est que les études de non-infériorité n’ont pas la même puissance statistique que les études de supériorité. Il y a aussi l’effet de Yule-Simpson. Pour l’illustrer, le conférencier a présenté les résultats d’une étude comparative de deux diurétiques. Que l’on soit au stade 3 ou 4 de la maladie étudiée, l’analyse des données montre un taux d’efficacité supérieur du diurétique 1 sur le diurétique 2. Mais si on additionne les données des deux stades de la maladie, c’est le diurétique 2 qui devient le plus efficace. « Ce paradoxe apparaît lorsque l’on est en présence de groupes hétérogènes, et il peut être détourné pour satisfaire un intérêt privé », a soutenu Christophe Hugnet. Pour les essais cliniques, 4 points majeurs sont à garder en tête : l’essai est-il comparatif, randomisé (tirage au sort, groupes comparables) ou à l’aveugle (complet/incomplet, simple ou double), et quel est le devenir des perdus de vue ? Il existe aussi un biais de publication : toutes les études ne sont pas publiées, notamment si les conclusions sont défavorables. Ce biais est particulièrement impactant pour les méta-analyses, puisque suivant le nombre de publications et leur teneur, cela fait pencher la balance dans un sens, positif, ou un autre, négatif. On peut aussi noter une surpublication d’articles se basant sur la valeur-p de 0,05, un seuil de pertinence pouvant être contesté. Enfin, il est à retenir que les études versus placebo sont intéressantes pour démontrer un effet thérapeutique d’un médicament, mais elles ne sont pas assez nombreuses dans la littérature. Cet effet existe quasiment toujours, y compris chez l’animal, avec plus de 80 % de guérison pour certaines affections, notamment chronique. Pour aller plus loin la Haute Autorité de santé avait publié un manuel1 pour aider à « comprendre la promotion pharmaceutique » qu’il peut être utile de consulter.

Outre la validation interne, il s’agit aussi de vérifier l’adéquation entre la situation du malade et de ceux des études réalisées (validation externe).

Évaluer les pratiques médicales

Au-delà de cette démarche individuelle face à un animal malade, l’approche EBM permet de questionner plus globalement les pratiques médicales. « Ce sont toutes nos pratiques qui sont à évaluer scientifiquement : les moyens diagnostiques, la nutrition, la chirurgie, les thérapies médicamenteuses, etc. », a soutenu Christophe Hugnet, qui prône la mise en place de groupes de travail transversaux, réunissant notamment des enseignants et des praticiens. Un équivalent, en quelque sorte, de la Haute Autorité de santé vétérinaire. « Il s’agit de remettre en question certaines pratiques dans l’intérêt du malade, pour les améliorer. » Dans ce sens, cette séance de l’Académie a été justement l’occasion de présenter le projet de rapport de l’AVF sur la pratique médicale de l’homéopathie vétérinaire. Un groupe de travail de l’AVF s’était constitué pour traiter du sujet, à la suite des avis de l’Académie des sciences et des Académies nationales de médecine et de pharmacie. Elle avait été également saisie par le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, lequel avait été interpellé par le collectif des Zétérinaires. Il s’agissait de savoir si la pratique médicale de l’homéopathie vétérinaire était compatible avec les exigences scientifiques des vétérinaires inscrits au tableau de l’Ordre. À ce stade, le rapport n’a pas encore été soumis au vote et n’est donc pas encore associé à un avis officiel de l’Académie. Toutefois, les grandes lignes ont été présentées. Parmi celles-ci, on peut citer : « la préparation homéo pathique n’a pas fait les preuves de son efficacité, et dans ces conditions, sa prescription ne peut s’inscrire que dans une transgression responsable des bonnes pratiques médicales » ; « une prescription de préparation homéopathique devrait être assorti d’une mention selon laquelle en l’état actuel des connaissances, l’homéopathie vétérinaire relèverait d’un effet contextuel » ; « en médecine vétérinaire, aucun diplôme universitaire d’homéopathie ne devrait être délivré par les écoles et autres établissements publics ».

1. www.bit.ly/3tXdTRw