Laboratoires départementaux d’analyses publics : un réseau à protéger  - La Semaine Vétérinaire n° 1911 du 10/09/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1911 du 10/09/2021

DOSSIER

Auteur(s) : Par Chantal Béraud

Les laboratoires vétérinaires publics d’analyses jouent un rôle fondamental dans le suivi sanitaire et la surveillance épidémiologique du pays. Panorama de ce secteur d’activité, de son bilan actuel et des perspectives d’avenir.

Selon l’Atlas démographique de la profession vétérinaire 2021, à la fin de l’année 2020, 82 vétérinaires exerçaient au sein de 69 sites de laboratoires vétérinaires publics d’analyses. Ce réseau national (voir carte d’implantation) est évidemment tout sauf statique puisqu’il se métamorphose en fonction des évolutions de l’agriculture, mais aussi de la situation sanitaire, comme le constate Philippe Nicollet, directeur du laboratoire de l’environnement et de l’alimentation de la Vendée (LEAV) : « Nous vivons aujourd’hui dans un monde où certaines maladies ont heureusement disparu. Ainsi, est révolue l’époque où la brucellose concernait 40 % des cheptels bovins et tout autant d’éleveurs risquant de se contaminer. » Cependant, les laboratoires départementaux d’analyses (LDA) ont encore très régulièrement l’occasion aujourd’hui de revenir sur le devant de la scène. Comme en témoigne Aurèle Valognes, présidente de l’Adilva (Association française des directeurs et cadres de laboratoires vétérinaires publics d’analyses) et directrice du LDA de la Mayenne : « Au niveau national, on a par exemple beaucoup parlé des actions des LDA lors de la grippe aviaire dans le Sud-Ouest. En décembre 2017, il s’est aussi posé dans mon département un gros problème de salmonelle avec une contamination de lait infantile à la clé. Notre expertise a permis de la détecter : cette bactérie stressée n’aurait en effet pas été trouvée avec des tests rapides, il fallait un réel savoir-faire. » Dernièrement, concernant la crise du Covid-19, c’est grâce à leur entremise que l’on a identifié le variant Delta dans le département des Landes, où il s’est initialement développé. « Oui, confirme Aurèle Valognes, le réseau actuel des LDA publics a la capacité de concentrer sur leur territoire les données épidémiologiques. Ces données “terrain” sont ensuite transmises au niveau national à des laboratoires de recherche publics, ce qui permet de repérer les éventuelles émergences, mutations, résistances aux antibiotiques, etc. »

Un travail de proximité en réseau efficace

En lien avec les éleveurs, les praticiens, les vétérinaires sous mandat sanitaire et les inspecteurs de santé publique vétérinaire (ISPV), les LDA publics apparaissent donc aujourd’hui comme performants aux yeux de nombreux acteurs (voir encadrés témoignages). « Nous travaillons avec tous les types de vétérinaires, ajoute Philippe Nicollet, dont les praticiens ruraux bien évidemment, mais aussi beaucoup avec les équins. On reçoit de plus en plus de prélèvements en provenance des animaux de compagnie. Souvent, il nous arrive de communiquer avec nos confrères libéraux. Nous nous comprenons bien, puisque nous possédons les mêmes éléments de langage pour communiquer. » « Actuellement, confirme Aurèle Valognes, il n’y a qu’un ou deux laboratoires départementaux d’analyses où il n’y a pas de vétérinaire en poste. Il ne s’agit donc que de quelques rares situations à la marge. L’Adilva s’efforce régulièrement de faire remonter ces situations aux collectivités qui sont concernées. »

Avec un maillage encore dense

Historiquement, avant les années 1990, il existait quasiment un laboratoire d’analyses public par département (hors Île-de-France), afin notamment d’éradiquer les grandes maladies liées à l’élevage. Puis, progressivement, certains d’entre eux ont disparu, comme celui de l’Ardèche. Des regroupements, notamment régionaux, ont aussi eu lieu. En 2006, le ministère de la Santé a mis en place des appels d’offres pour les contrôles sanitaires des eaux de loisirs. Résultat : les LDA publics se voient aujourd’hui concurrencés par des laboratoires privés, notamment dans certains secteurs dits « rentables », comme le domaine de l’environnement et des analyses de l’eau. Une plainte pour concurrence déloyale pour octroi de subvention est même en cours à l’encontre des LDA publics au niveau de l’Europe. Alors, la France aurait-elle bâti un réseau performant mais fragile ? « Au moment où notre pays va assurer la présidence du Conseil de l’Union européenne, j’en appelle au président Emmanuel Macron, pour que soit établi un périmètre officiel de nos activités afin justement de protéger un modèle sanitaire qui a fait ses preuves », réclame à cet égard Aurèle Valognes.

Quels atouts ont les LDA publics ?

Les résultats des analyses des LDA publics présentent la garantie d’être indépendants de toute pression de capitaux ou de donneurs d’ordre relevant du secteur privé. De plus, ils sont effectués par du personnel de statut public, régulièrement formé. Enfin et surtout, les LDA publics réalisent de nombreuses analyses utiles, mais dont le volume ou les contraintes les empêchent d’être « rentables » au sens strict du terme, notamment en santé publique et lors de crises sanitaires ou alimentaires. Aujourd’hui, grâce à leur expérience de la gestion des analyses de masse, ces structures sont aussi capables de réaliser tous les jours des tests Covid en suppléance des laboratoires de biologie médicale, quand les capacités de ceux-ci sont dépassées. Tous ces facteurs devraient certainement être mis dans la balance si on voulait honnêtement calculer leur plus-value réelle pour les santés environnementale, animale et humaine. Depuis la loi de décentralisation des années 1980, les LDA étant du ressort des conseils départementaux, il reste à savoir si les élus politiques de cet échelon territorial, ainsi que l’État français, sauront se mobiliser pour défendre l’avenir de leurs LDA publics ? « Car, décidément non, conclut Philippe Nicollet, la santé publique vétérinaire ne peut pas et ne doit pas être considérée comme une simple marchandise. »

Entretien

JEAN-YVES GAUCHOT

Président de la Fédération des syndicats vétérinaires de France (FSVF)

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LDA : il leur manque un plan concret de soutien national financier !

Pourquoi est-il selon vous important de conserver un maillage de proximité en matière de laboratoires départementaux publics d’analyses (LDA) ?

Les laboratoires départementaux de proximité connaissent parfaitement leur territoire, en matière d’agents pathogènes qui y circulent. Ils sont capables d’identifier rapidement des affections émergentes ou les antibiorésistances. En matière d’autopsie, c’est particulièrement important. Par ailleurs, de nombreux échantillons biologiques peuvent avoir du mal à résister s’ils doivent subir un long transport. Et il ne faut pas négliger l’intérêt des relations étroites qui peuvent s’instaurer entre le personnel des laboratoires et les vétérinaires de terrain, souvent par voie téléphonique. Par ailleurs, la concentration des laboratoires peut s’accompagner d’exigences de rentabilité et la virologie avec cultures peut disparaître au profit de PCR systématiques sans exploration de la virulence. De plus, on court le risque que les conseils départementaux qui ont perdu leur laboratoire départemental n’aient plus autant à cœur d’apporter le même niveau de contribution financière à des structures situées au niveau régional. D’autant plus qu’ils n’en maîtrisent alors plus les dépenses. Certaines analyses risquent donc d’être abandonnées et le manque de proximité peut être source de divers problèmes. Par exemple, dans le cas de la catastrophe industrielle du Lubrizol à Rouen, il a été nécessaire d’attendre les réponses d’un laboratoire de la Roche-sur-Yon, alors même que les résultats étaient attendus en urgence pour connaître le niveau de contamination des pâtures et l’utilisation qui pouvait en être faite.

Pourquoi leurs analyses sont-elles parfois non rentables ?

Il s’agit d’un réseau d’utilité publique, qui, si on le sacrifie totalement sur l’autel de la rentabilité, court un grand risque de perdre en efficacité, en réactivité et en expertise ! Ainsi, certaines surveillances pourtant vitales ne sont pas directement rentables. Prenons le cas de la crise duCovid-19 : en épidémiosurveillance, une prévention efficace passe par la surveillance des signaux faibles. C’est une surveillance qui nécessite de l’expertise et qui n’est pas directement rentable. Et dans le calcul des coûts, il faudrait également garder à l’esprit qu’on dit souvent qu’un euro investi dans de la prévention équivaut à 7 euros économisés sur la gestion d’une épidémie.

Le réseau des LDA publics est-il suffisamment soutenu par l’État ?

À ma connaissance, il y a une prise de conscience de leur importance mais aussi de leur fragilité au niveau de la direction générale de l’alimentation. Il y a également je pense une prise de conscience au niveau des élus des collectivités territoriales. Mais il n’y a toujours aucun plan concret d’action au niveau du ministère alors même que les LDA avaient réalisé, à la fin janvier, 1,6 million de tests Covid. La pandémie a largement démontré pourquoi il est fondamental que ce réseau conserve son niveau de technicité, de proximité et de réactivité. En conclusion, pour les LDA mais aussi pour la surveillance du bien-être animal en abattoir, l’État ne doit pas se réfugier derrière des arguties maastrichiennes, désormais dépassées. Car le concept One Health démontre jour après jour que la rentabilité à court terme se fait inexorablement au détriment des santés animale et humaine, voire au détriment des équilibres des écosystèmes agricoles.

Témoignage

THIERRY LEFRANÇOIS (A 92)

Chercheur au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), membre du Conseil scientifique national Covid-19

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En cas de crise, faisons davantage appel aux LDA !

À l’avenir, je crois qu’il va falloir chercher à mieux anticiper et à prévenir les crises sanitaires. Le but serait de construire à l’échelon local un territoire en bonne santé, sur le triple plan de l’environnement, des santés animale et humaine. Quel rôle jouent là-dedans les laboratoires départementaux d’analyses ? Nous bénéficions actuellement d’un maillage territorial encore très développé de ces structures, qu’il est fondamental de maintenir pour pouvoir mobiliser suffisamment de compétences en matière de diagnostic, de dépistage et de séquençage. Mais je pense aussi qu’il faudrait pouvoir, surtout en cas de crise, avoir un recours encore accru aux LDA et aux laboratoires de recherche en santé animale. Dans notre lutte contre les variants, notre capacité nationale à réaliser du séquençage de qualité en quantité sera un atout fondamental. Toutefois, il reste encore des obstacles à lever avant de parvenir à une telle mobilisation générale. Par exemple, les laboratoires en santé animale n’ont pas encore accès à des bases de données pour entrer les résultats en santé humaine. Il sera donc nécessaire de nous pencher – peut-être en temps de retour de la « paix sanitaire » – sur les moyens d’une réorganisation d’ensemble, à l’avenir plus efficace et moins corporatiste.

Témoignage

JEAN-LUC ANGOT (T 82)

Président honoraire de l’Académie vétérinaire de France (AVF)

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Soutenons plus les LDA et les vétérinaires ruraux !

La lutte contre le Covid-19 démontre combien il est essentiel de maintenir un bon maillage territorial de laboratoires départementaux d’analyses de proximité. Ainsi, c’est dans le département des Landes que s’est d’abord beaucoup développé le variant Delta. On voit aussi qu’il est nécessaire de réaliser des tests dans les eaux usées. Donc oui, il semble dommage que, suite à la loi de décentralisation des années 1980, on constate aujourd’hui parfois certains manques, avec des échantillons qui doivent être envoyés dans un département ou dans une région voisine. À mon sens, il s’agit là d’une question prioritaire en matière de santé publique. C’est pourquoi les collectivités territoriales devraient effectivement mettre davantage d’argent sur la table pour financer leurs LDA. Mais elles auraient aussi tout intérêt à aider au maintien de praticiens, comme la loi les y autorise désormais, afin de lutter contre le développement, tout aussi problématique, de déserts vétérinaires ruraux.

À vous la parole…

Praticiens et suivi sanitaire : que faudrait-il améliorer ?

Témoignage anonyme d’une ancienne vétérinaire en rurale

Durant mon ancien exercice de praticienne vétérinaire en rurale, je me souviens bien des actions que nous demandait d’exécuter l’État pour la surveillance des maladies animales : j’allais faire des prélèvements sur telle ou telle bête, âgée de tant à tant. Le mois d’après, j’étais sollicitée pour autre chose. Mais je me sentais en manque d’informations sur le pourquoi de ces actes. On a aussi rarement des retours sur nos actions de suivi sanitaire. Travaillant alors toute seule dans ma structure, je n’avais pas le temps d’aller chercher des données d’épidémiologie par moi-même ni d’aller aux réunions organisées par les services de l’État. Et puis, dans certaines DDI, [direction départementale interministérielle, NDLR], quand il n’y a plus de vétérinaire interlocuteur, ça devient compliqué de se renseigner. Du coup, je restais dans une sorte de routine, réduite à un simple rôle d’exécutante, ce qui me frustrait.

Ce manque m’a poussée à aller voir du côté du service public ! J’ai ainsi aussi pu monter en compétence en pharmacie vétérinaire, que l’on n’étudie pas encore assez, à mon sens, durant nos études vétérinaires Aujourd’hui, étant cheffe de service en sécurité sanitaire des aliments auprès d’une direction départementale de l’emploi, du travail, des solidarités et de la protection des populations (DDETSPP), je sais désormais aller chercher des informations et des interlocuteurs dans la rubrique pharmacie vétérinaire du site du ministère de l’Agriculture. Et je trouve que la gestion du médicament est passionnante.