Entretien
ANALYSE GENERALE
Auteur(s) : Propos recueillis par Marine Neveux
Président de la Fondation droit animal, éthique et sciences (LFDA) et du Comité d’éthique animal,
environnement, santé, Louis Schweitzer est très impliqué dans le bien-être animal. Il nous livre
les enjeux attachés à sa défense en cette période riche d'actualité.
Le comité d’éthique animal, environnement, santé, que vous présidez, a rendu deux avis en septembre 2020, concernant l’euthanasie animale et les objets connectés. Y a-t-il d’autres avis en gestation ?
Deux avis sont en cours d’achèvement. L’un porte sur les limites des soins : jusqu’où est-il éthique d’aller ? Il abordera notamment la réflexion autour des greffes d’organes. Les propriétaires peuvent être plus mobilisés par leur propre intérêt que celui de l’animal. L’autre avis portera sur la question du soin lorsque l’on fait face à un propriétaire disposant de ressources financières limitées. Ces deux avis devraient être diffusés d’ici à la fin de l’année. Nous mènerons ensuite une réflexion sur la thématique des vétérinaires et des problématiques rencontrées par les éleveurs.
Quelle vision de la profession vétérinaire avez-vous en termes de bien-être animal ?
La profession vétérinaire a évolué. Pendant longtemps, les vétérinaires étaient les gardiens de l’absence de maltraitance. Puis ils ont recherché la bientraitance et le bien-être animal. Dans l’ensemble, la profession vétérinaire y répond bien. Le concept One Health est aussi une composante importante des vétérinaires dans toute leur diversité.
Fin septembre début octobre, la loi visant à renforcer la lutte contre la maltraitance animale sera débattue au Sénat. Quelles avancées majeures y voyez-vous ? Et quelles sont vos principales déceptions ?
La proposition de loi a été adoptée par l’Assemblée nationale. Et en effet, elle n’est pas encore approuvée par le Sénat. Ma première satisfaction est qu’elle soit passée en débat à l’Assemblée, car nombre de propositions n’arrivent même pas dans l’Hémicycle. De plus, le projet a été renforcé lors du débat parlementaire, c’est un signe important qui traduit que le sujet de la condition animale devient un sujet politique majeur. C’est très positif ! Deuxième point de satisfaction : les mesures proposées vis-à-vis des animaux de compagnie sont des mesures fortes, pertinentes, et couvrent le sujet de façon satisfaisante. Des modalités restent à préciser pour les animaux sauvages en captivité. François de Rugy avait lancé un débat sur la détention des cétacés en captivité, mais en parallèle de la loi, il y a aussi des mesures réglementaires à prendre, qui sont encore incomplètes. L’interdiction de reproduction des animaux et d’acquisition de nouveaux spécimens dans les delphinariums est une avancée. Pour les zoos, des limites subsistent. Les zoos apportent une vision pédagogique en permettant de voir des animaux sauvages, mais il y a des zoos qui ont de réelles capacités d’accueil, alors que d’autres sont indignes. Des progrès restent donc à faire. Mon premier regret est que les sujets des animaux d’élevage et de la chasse ne soient absolument pas abordés. Il y a un vide. Mon second regret est que le projet du Défenseur des animaux soit absent. Or, le sort des animaux relève de plusieurs acteurs, de plusieurs ministères, le Défenseur des animaux améliorerait la prise en charge de l’animal aux niveaux gouvernemental et administratif.
L’évolution de la loi permet-elle de tout résoudre en termes de cruauté envers les animaux, alors que l’application des textes existant est déjà poussive ?
Il ne suffit pas d’écrire un texte de loi pour que les mesures soient appliquées dans un tribunal. La plupart des lois se heurtent à des difficultés d’application. La lutte contre la cruauté envers les animaux est renforcée dans la proposition de loi en cours d’examen. Des progrès sont effectués. Il y a aujourd’hui des jugements qui ont condamné des actes de cruauté manifeste.
La sanction de la maltraitance et de la cruauté envers les animaux sauvages est-elle suffisante ?
Aujourd’hui, la loi française ne permet pas de sanctionner la torture d’un animal sauvage.
Peut-on espérer faire évoluer le statut des animaux sauvages vers celui d’individus afin de mieux les protéger ?
C’est une des questions qui sera posée lors du colloque de la LFDA le 16 novembre prochain à Paris. Le thème sera « Préserver et protéger les animaux sauvages en liberté »1. La cohabitation de l’animal sauvage – loups, ours, vautours – avec l’humain, sujet à débats, sera aussi abordée tout comme celle avec les animaux dits nuisibles, qui ne le sont d'ailleurs pas. En effet, la cohabitation est aussi positive pour l’humain : oiseaux, insectes, etc., toutes les chaînes alimentaires, toute la biodiversité et sa préservation sont indissociables de la lutte contre les zoonoses. Il y a des problèmes à gérer, mais aussi une cohérence positive à faire valoir.
Un étiquetage définissant des niveaux de bien-être animal a été mis en place fin 2018 pour les poulets. Y a-t-il des projets sur d’autres espèces animales ?
La LFDA a été à l’origine au milieu des années 1980 de l’étiquetage des œufs. Son défaut est son manque de visibilité : les œufs 0, 1, 2 ou 3 ne sont pas forcément clairs pour le consommateur. De plus, cette cotation ne prend pas en compte l’ensemble de la vie de la poule et n’est appliquée que sur les œufs en coque. Le bien-être animal a un coût qui doit se traduire dans le prix payé au producteur. Enfin, nous souhaitons étendre l’étiquetage aux produits cuisinés, aux restaurateurs. L’avenir de l’agriculture française ne sera pas dans le premier prix, qui résulte de bas salaires et d’un élevage industriel. Il y a une convergence à assurer entre l’avenir de l’élevage français et le bien-être animal. L’étiquetage sur le bien-être animal est en place pour les poulets. Nous travaillons depuis deux ans sur celui des porcs : les investissements sont aujourd'hui plus importants pour améliorer le bien-être animal, et il n’existe pas encore pour eux une hiérarchie des prix similaire à celle des poulets. À ce propos, nous travaillons avec l’Inrae [Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement, NDLR] et voulons trouver un accord d’ici la fin de l’année. Étendre l’étiquetage aux lapins et aux œufs est notre prochain projet.
Les droits ne sont pas les mêmes entre les animaux sensibles et ceux considérés comme ne l'étant pas. Comment le législateur peut-il gérer la notion de cruauté entre des espèces très variées ?
La sensibilité au sens où nous l’entendons se rapproche du terme de sentience, c’est-à-dire de la capacité à ressentir la douleur. La frontière évolue selon les données de la science et continuera à évoluer. Notre rôle est de mettre la science au service du droit.
La LFDA fait évoluer le droit en faveur des animaux à l’aide d’arguments éthiques et scientifiques. Ces arguments sont-ils toujours entendus dans le vacarme politique ou sociétal ?
À chaque élection, la LFDA interpelle les personnalités politiques pour leur demander ce qu’elles envisagent dans leur programme pour la cause animale. En 2012, nous avons interpellé le candidat pour que le Code civil évolue et reconnaisse la nature vivante et sensible de l’animal. Le candidat François Hollande avait répondu que cela changerait s’il était élu. C’est chose faite depuis 2015. Lors des élections régionales, j’ai été frappé par le fait que la question animale figure dans les programmes politiques. Aujourd’hui, la cause animale est une préoccupation bien ancrée dans la société. Il y a une prise de conscience des élus sur ces sujets.