One Health, casser les silos - La Semaine Vétérinaire n° 1915 du 08/10/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1915 du 08/10/2021

Convention

ANALYSE GENERALE

Auteur(s) : Par Marine Neveux

Décloisonner, tel était le maître mot du dernier événement du Cham, la Convention on Health Analysis and Management, qui s’est tenu à Paris les 1er et 2 octobre derniers. Le One Health enfin au grand jour ? La crise du Covid semble catalyser les avancées.

Rétablir l’état de bonne santé des êtres vivants pour prévenir ou au moins limiter toutes les sortes de maltraitance écologique » est un des vœux de Guy Vallancien, chirurgien membre de l’Académie nationale de médecine, en introduction du colloque. La crise du Covid a mis en exergue les fragilités et les incohérences. Guy Vallancien a interpellé Olivier Véran, ministre de la Santé, sur le recours inexistant aux vétérinaires au début de la crise. Le ministre de la Santé est affirmatif est affirmatif, « il n’y a pas de santé humaine sans traiter à côté la santé animale ». Les vétérinaires? « Je les ai associés quand j’ai pu, quand j’ai vu que les capacités des laboratoires vétérinaires pouvaient aider. Évidemment cette interaction est fondamentale, avec l’environnement également. » Le One Health en marche en France? Plusieurs signaux positifs ponctuent ces derniers mois, avec la nomination de nos confrères Thierry Lefrançois au Conseil scientifique Covid-191 et de Jean-Luc Angot envoyé spécial pour le projet Prezode2. En outre, il n’y a pas de réponse sans Europe. « Je vais porter l’agence Hera (Health Emergency Response Authority) dans le cadre de la Commission européenne. Je suis un fervent partisan de développer la santé environnementale dans les territoires », ajoute le ministre de la Santé.

Comme le constate Antoine Flahault, directeur de l’Institut de santé globale: « Le terme de One Health est peu connu du grand public et des médecins (…) [Or] il y a une indispensable transdisciplinarité (…) La pandémie de Covid-19 est un bon exemple de l’approche One Health que l’on doit mettre en place et améliorer », développe notre consœur Monique Eloit, directrice générale de l’Organisation mondiale de la Santé animale (OIE). Cela montre l’importance de suivre un agent pathogène dans la faune sauvage, même s’il ne l’est pas encore pour l’homme. « La surveillance animale est importante. Et là aussi, il faut que les équipes travaillent ensemble chacune avec leurs spécificités. » Philippe Vermesch, président du Syndicat des médecins libéraux (SML) est sans ambages. « Le One Health: aucun médecin ne connaît! Il n’y a pas d’heures de cours pour les étudiants, on a un problème français sur ce concept. Et avec les vétérinaires, on fonctionne encore en silos. » Le président du syndicat appelle à une refondation des enseignements.

Du côté de l’antibiorésistance

Le sujet de l’antibiorésistance est un pan du One Health où se mêlent parfois un manque de connaissances ou des approches trop cloisonnées. La Santé animale « a l’habitude de traiter les épizooties dans un certain silence », constate Jean-Louis Hunault, président du Syndicat de l’industrie du médicament et diagnostic vétérinaires (SIMV). Un exemple factuel: la fièvre catarrhale ovine (FCO) et ses 32000 foyers il y a huit ans. Aujourd’hui, la France a retrouvé son statut indemne, pourtant « on n’en a pas entendu parler », déplore-t-il face à cette expérience réussie de maîtrise d’une épizootie d’ampleur.

L’antibiorésistance, la santé animale s’est attachée à la contrer depuis vingt-cinq ans déjà, en témoignent la création d’un groupe antibiothérapie au sein de l’Agence nationale du médicament vétérinaire (ANMV) et la mise en place d’un instrument de collecte des données. Et les résultats de la mobilisation sont considérables avec 1300 tonnes d’antibiotiques utilisés en 1999 en élevage, versus 422 tonnes en 2019! Une expérience à partager, qui montre aussi l’importance d’avoir des données. « L’avenir c’est la prévention, les nouvelles technologies, le diagnostic », souligne Jean-Louis Hunault. Le sujet de l’antibiorésistance est mondial, comme le précise Thomas Cueni, directeur de la Fédération internationale des fabricants et associations pharmaceutiques (IFPMA), évoquant les antibiotiques provenant de Chine. « On a beaucoup parlé de santé animale, mais il ne faut pas oublier le rôle du secteur de l’humaine », développe Carmem L. Pessoa-Silva, responsable du département antibiorésistance de l’Organisation mondiale de la santé (OMS). « Les programmes de prévention dans les établissements de santé sont clés pour éviter l’émergence et la dissémination de germes. »

Des territoires et des professionnels

Le rôle des territoires dans la prévention a été l’objet d’une table ronde. Selon Jacques Guérin, président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, « pour éviter de nouvelles pandémies, il convient de se poser la question de tout ce que nous pouvons faire ensemble (…) À un moment donné, il faut que l’on se connaisse. Avec la rage, quand un animal mord, il faut une surveillance sanitaire, combien de médecins envoient vers une surveillance sanitaire? Il faut se connaître, travailler ensemble, sortir du silo, se mettre autour de la table, c’est un vrai progrès de territoire, et il faut aussi des professionnels. » Le président de l’Ordre ne manque pas en effet de soulever la problématique des déserts médicaux.

L’industrie de santé aujourd’hui et demain

« Cette période a démontré une extrême fragilité de nos sociétés. Ceux qui ne concevaient pas le “Une Seule Santé” n’ont pas compris ce qui se passait », témoigne Marc Prikazsky, président de Ceva France. « On connaissait très bien les coronavirus avec les volailles, le porc, on a vécu comment les variants évoluaient, quel dommage de ne pas avoir fait plus appel aux vétérinaires », regrette-t-il.

Les freins réglementaires à l’innovation ont été abordés. Thomas Courbe, directeur général des entreprises au ministère de l’Économie et des Finances, en appelle à une « politique industrielle et une capacité de réponse rapide, [à] rendre l’industrie européenne plus résiliente face à une nouvelle crise, [à avoir] des capacités d’anticipation sur une crise à venir, pour réunir des fonds, lancer des programmes de recherche rapidement ».

Gérard Larcher, président du Sénat, en appelle à aller vers les santés humaine, animale et environnementale. « La faune sauvage et la flore sont des sujets territoriaux. » Était-on prêt? « La crise a mis en évidence une centralisation excessive, a montré les limites de la verticalité. » Et d’ajouter: « La santé est un investissement, un service que l’on rend à la population. Elle ne peut pas être la variable d’ajustement du budget! »

Barbara Pompili, ministre de la Transition écologique, milite aussi pour sortir d’une politique en silos. « Notre premier objectif est de faire comprendre que protéger la biodiversité, c’est aussi nous protéger. Le deuxième est de mobiliser la communauté internationale. Le troisième objectif est de poser un jalon sur le chemin de la Cop 15 pour limiter les impacts de notre civilisation sur la nature. »

Emmanuel Macron a eu les mots de la fin: « Nous avons réappris notre vulnérabilité aux écosystèmes, et nous sommes un parmi les vivants. Nous avons retrouvé le lien entre la fragilisation du climat, de la biodiversité, des écosystèmes et le lien santés humaine et animale. Nous avons sans doute jusqu’à présent sous-estimé ces liens d’interdépendances. » Et d’appeler en cette année de pandémie – et d’élections – à « accélérer des investissements pour innover plus vite », à disposer « d’un système d’alerte, des éléments de transparence (...) Le système géopolitique actuel est un obstacle. Il faut une coordination. » 

  • 1. Voir La Semaine Vétérinaire no 1888 du 26 février 2021, pages 10-13
    2. Voir La Semaine Vétérinaire no 1912 du 17 septembre 2021, pages 10-11.
  • Découvrez les vidéos de Jean-Louis Hunault et Marc Prikazsky sur le One Health dans la rubrique Actualités du pointveterinaire.fr et sur la chaîne YouTube de La Semaine Vétérinaire