Développement
PHARMACIE
Auteur(s) : Propos recueillis par Marine Neveux
Alexandre Mérieux, président-directeur général de bioMérieux, porte un héritage fort en termes d’engagement pour lutter contre les maladies infectieuses. L'entreprise spécialiste du diagnostic in vitro, poursuit sa mission de santé mondiale notamment contre le sepsis, les infections respiratoires ou la résistance aux antibiotiques. Présent à la table ronde du Cham, Convention on Health Analysis and Management, sur le thème du One Health le 1er octobre, nous l’avons interrogé sur la vision plus large qu’il a des différentes santés et écosystèmes au regard de la pandémie.
Le laboratoire bioMérieux a connu une croissance de 12 % au premier trimestre 2021. Globalement, quel bilan tirez-vous de cette année et de la crise du Covid-19 ?
Cette crise n’est pas finie. Dans notre secteur, l’impact a été notable, le diagnostic a bien été mis en avant en termes d’utilité. Jusqu’à l’arrivée des vaccins, le diagnostic était le seul outil, la seule arme de protection, avec le principe du fameux « détecter, tracer, isoler ». Cela a mis en avant la valeur du diagnostic et l’importance des maladies infectieuses. Cette période a été celle d’un fort engagement pour bioMérieux en recherche et développement (R & D) et en production. Nous avons pu sortir un arsenal diagnostique : certains tests existaient déjà, mais, rapidement, nous avons développé un test monoplex Covid, puis le fameux test syndromique sur notre système Biofire et un test sérologique. La pandémie est une période compliquée mais on s’est senti utile. Le secteur du diagnostic a prouvé sa valeur. Autre impact de la crise Covid : le push technologique réalisé dans le diagnostic – avec la molécularisation du diagnostic et la technologie PCR –, et le point of care – dispositions à portée du patient – qui est une vraie tendance de fond. Durant cette période, il y a plutôt eu une bonne réactivité des autorités pour mettre en place des autorisations plus rapides et répondre à l’urgence.
Les freins réglementaires européens vous paraissent-ils un obstacle à l’innovation en Europe ?
Il y a une différence entre le marché américain et européen. Aux États-Unis, la FDA, Food an Drug Administration, est là pour contrôler, mais aussi pour diriger, orienter. En Europe, on a un peu trop d’interfaces, ce n’est pas tant la problématique des contraintes réglementaires que d’un nombre important d’interlocuteurs. Aux États-Unis, existe aussi la Barda, Biomedical Advanced Research and Development Authority, qui a joué un rôle clé pendant la crise pour accélérer l’innovation, donner les moyens au diagnostic, mais aussi aux vaccins, aux thérapies. En Europe, se profile l’Hera, Health Emergency Response Authority, c’est une bonne chose. Ce serait un plus d’avoir à l’échelle européenne ce type de structure qui booste l’innovation.
Lors de la convention du Cham, Convention on Health Analysis and Management, plusieurs intervenants ont évoqué la nécessité de casser les silos entre les santés humaine, animale et environnementale. Êtes-vous en accord avec cette urgence ? Quelles contributions bioMérieux pourrait apporter ?
J’ai été éduqué dans le One Health, car le mot d’ordre de mon grand-père1 était : sans frontière entre médecine humaine et médecine animale. Donc c’est bien que le terme émerge, mais il a toujours été dans notre état d’esprit : tout est lié, les bactéries, les virus n’ont pas de frontières et pas de barrières entre les espèces. C’est important qu’il y ait au moins de la collaboration. Les laboratoires vétérinaires connaissent bien les sujets de pandémie, d’infections, donc il y a des choses à faire.
Verriez-vous des interactions en termes de recherche sur le diagnostic des agents pathogènes émergents ?
Il y a des collaborations à faire en santé, diagnostics humain et animal d’abord dans la partie épidémiologie et surveillance pour identifier ce qui émerge et où. Ensuite, toutes les maladies animales ne sont pas transmissibles à l’homme mais il faut évaluer les risques. Il peut être intéressant de voir s’il y a des technologies à passer en diagnostic humain, et réciproquement. Nos cultures sont assez proches, chez bioMérieux, nous avons beaucoup de vétérinaires. Le chef de la R & D est d’ailleurs un vétérinaire.
L’antibiorésistance est l’une des facettes du One Health. Lors de la convention du Cham, vous avez notamment évoqué la nécessité de continuer à promouvoir l’éducation, l’innovation, et de trouver un modèle économique de valeur médicale. Quel pourrait être ce modèle que vous évoquez ?
Le rapport de Jim O’Neill sur l’antibiorésistance pointe à l’horizon de 2050 ce que l’on appelle une pandémie silencieuse. Il y a un modèle de chaîne de valeurs à trouver autour de l’antibiorésistance. L’enjeu est pharmaceutique avec le besoin de nouvelles classes thérapeutiques qui nécessitent beaucoup d’années de développement face à peu de reconnaissance ou de remboursement. Nous avons le même sujet en diagnostic : il peut coûter plus cher qu’un traitement. Il faudrait donc sortir du modèle des coûts pour aller sur celui de la valeur : d’abord médicale, mais également économique. Développer de nouvelles molécules, regarder la valeur diagnostique, ne pas regarder cela en termes de coûts, mais combien des vies sauvées et aussi par rapport au système de santé. Aujourd’hui, on donne encore beaucoup trop d’antibiotiques sur des infections virales.
Les aspects de prévention et de sentinelle sont-ils assez développés ?
Le continuum de soins est essentiel : la prévention (hygiène, vaccins), le diagnostic et les nouvelles thérapies. Et il faut que le modèle évolue pour que les industries pharmaceutiques soient intéressées à innover dans le domaine. Nous travaillons avec la Toulouse School of Economics qui fait des études dans le domaine de la santé. Ils apportent des réflexions sur ce que pourrait être un nouveau modèle Santé.
La nécessité de développer des partenariats public-privé a aussi été évoquée : pour bioMérieux, c’est déjà une réalité. Avez-vous de nouveaux projets, notamment en lien avec la future Académie OMS à Lyon, campus qui ouvrira ses portes en 2024 ?
Nous apprécions ces partenariats, car nous avons besoin de pluridisciplinarité, d’autres expertises et de connaissances technologiques. Ainsi, nous collaborons avec des organismes comme le CEA, Commissariat à l’énergie atomique, l’Inserm, Institut national de la santé et de la recherche médicale, etc. Nous apprécions aussi la proximité avec les hôpitaux, les CHU. Nous avons des unités mixtes bioMérieux avec les hospices civils de Lyon, à Shanghai avec le Children’s Hospital, et aux États-Unis. Il est important d’être proche du médecin et du patient. Au-delà des partenariats public-privé, nous voyons aussi l’intérêt d’être proches de start-up, de biotech. Au niveau de la holding, l’institut Mérieux a bien soutenu le projet d’implantation de l’Académie de l’OMS à Lyon. L’OMS est très One Health et tout ce qui renforce l’écosystème lyonnais est important pour nous. Lyon est très bien positionné dans les maladies infectieuses et la recherche. Cela nous permettra aussi de faire venir et de garder des talents.
Qu’auriez-vous envie de dire aux vétérinaires et aux professionnels de santé ?
On a besoin de tout le monde. Une approche One Health, ce sont les vétérinaires, les pharmaciens, les médecins et autres. La communauté scientifique en France a bien donné et montré toute son importance pendant la période, donc on aura tous un enjeu : 1/ que l’on ne nous oublie pas ! et 2/ de continuer à pousser les collaborations et l’innovation.