La leishmaniose canine continue de progresser - La Semaine Vétérinaire n° 1918 du 29/10/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1918 du 29/10/2021

Maladies vectorielles

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Patrick Bourdeau, professeur agrégé de parasitologie vétérinaire, Dipl. EVPC, ECVD, ancien responsable de l’unité Dermatologie/parasitologie/mycologie d’Oniris (Nantes)

Les données de la dernière enquête nationale confirment l’extension de l’endémicité vers le nord. Hormis le rôle des vecteurs, d’autres modalités de transmission contribuent à l’expansion de la maladie et l’apparition de foyers hors zone d’endémie.

Le diagnostic de la leishmaniose canine (Leishmania infantum) concernait traditionnellement les vétérinaires exerçant en zone d‘enzootie (pourtour méditerranéen). Aujourd’hui, la maladie est devenue progressivement une préoccupation pour un nombre croissant de praticiens sur l’ensemble du territoire. Cette réalité semble surtout liée à l’augmentation probable de l’aire d’activité des phlébotomes vecteurs mais aussi aux modalités de transmission non vectorielle désormais bien identifiées.

Une distribution au nord

En France, quatre enquêtes nationales1 ont été menées auprès des vétérinaires praticiens (1986, 2004, 2011 et la dernière2 en 2017). Grâce à une participation significative des structures vétérinaires (environ 11,5 % pour la dernière enquête) et la cohérence des résultats obtenus, elles ont permis de dégager les grandes tendances de la dynamique de la maladie. Ainsi l’enzootie (cas autochtones nombreux) a été qualifiée dans 19 départements puis 22, 25 et dernièrement 31, voire 33 départements (voir carte). La leishmaniose canine vectorielle trouve ainsi une implantation croissante. En périphérie, se trouve une zone aux contours flous : la zone frangeante. L’aire d’enzootie (surface du territoire concernée) s’est accrue de 60 % entre 2004 et 2010 et encore d’environ 9 % entre 2010 et 2017. Le modèle proposé en 2004 d’une probabilité d’extension vers le sud ouest puis le nord a été vérifié en 2011 puis confirmé en 2017, même si elle se poursuit plus lentement. Une telle extension vers le nord a également été retrouvée dans plusieurs pays européens (voir encadré). De même, au sein de 25 départements d’enzootie, de nouveaux territoires sont touchés.

Les cas hors zone d’enzootie

Un autre résultat intéressant est la grande dispersion des cas considérés par les vétérinaires comme autochtones hors de l’enzootie (infections acquises dans le département) – zones vertes sur la carte qui contiennent aussi des cas importés comme ailleurs. Ils concernent parfois des chenils ou élevages sous forme de foyers. Si l’on cumule les deux dernières enquêtes, ils ont été décrits dans 25 départements.

Une prévalence de la maladie en diminution probable

L’importance de la maladie s’apprécie également par le nombre de cas consultés.

Le nombre de départements où se sont manifestées des cliniques voyant plus de 50 cas annuels a diminué, passant de 13 à 11 puis 5 au cours des trois dernières enquêtes. De même, la prévalence moyenne globale nationale (animaux malades consultés) estimée à 4,1/00 en 2004 et 2010 semble être réduite à 1,3/00 dans l‘enquête 2017. Cette diminution est surtout notable dans les départements traditionnels d’enzootie. Si la maladie semble marquer le pas, voire régresser, cela ne préjuge pas de l’évolution du nombre de chiens infectés latents. De plus, l’évolution est hétérogène et peut varier selon les départements entre augmentation, stabilité ou régression.

Une expansion à relier aux modalités de transmission

La zone frangeante évolue constamment, influencée par l’établissement de la transmission vectorielle, la contribution de toutes les espèces infectées (faune), les déplacements de proximité des chiens en zone d’enzootie et les modalités difficiles à démontrer de la transmission non vectorisée.

En France, deux espèces de phlébotomes sont vectrices : Phlebotomus ariasi, présent plutôt dans le sud et le sud-ouest (retrouvé du Portugal à l’Italie) ; et surtout Phlebotomus perniciosus, qui remonte bien plus au Nord en zone tempérée (au moins les deux tiers sud du territoire, distribué du Portugal à la Turquie).

L’augmentation de la température peut expliquer une implantation à la fois en altitude et une extension lente vers le nord, cependant délicates à évaluer car ces insectes sont de capture aléatoire. Des modélisations suggèrent clairement l’expansion de ces espèces (changement climatique). Pour les mêmes raisons, la durée de saison d’activité des vecteurs (risque de transmission) ne peut que s’allonger à l’avenir.

La transmission non vectorielle peut suivre plusieurs modalités. La transmission vénérienne (mâle à femelle) n’est pas exceptionnelle, et l’infection dans un chenil semble être parfois le fait de l’introduction d’un mâle reproducteur infecté. La transmission verticale de la chienne à sa portée est aussi à présent bien connue, loin d’être négligeable dans des lignées prédisposées de chiens. Ceci permet la pérennisation des foyers (R0 > 1). Ces transmissions expliquent l’émergence de cas isolés ou en collectivités (chenils) en l’absence de vecteur. Elles constituent le risque majeur en zone de non-endémicité, comme illustré aux États-Unis depuis les années 1980 dans les chenils de Foxhounds. La transfusion sanguine (présence de leishmanies dans le sang démontrée) et la transmission directe de chien à chien (hypothétique par morsures) sont plus anecdotiques.

Rôle de la faune sauvage 

Les preuves se sont accumulées montrant la très large circulation (prévalence d’infection parfois forte) des leishmanies (L. infantum) chez de nombreux mammifères autres que le chien et le chat : carnivores sauvages (canidés, mustélidés, félidés, etc.), rongeurs et lagomorphes, quelques formes cutanées transitoires chez les équidés, etc. Le rôle de « source » (capacité d’infecter les phlébotomes) a été démontré sur les espèces testées (rongeurs, léporidés, canidés, félidés). Des formes cliniques observées sur des animaux de zoos (grands singes, fauves, kangourous, etc.) soulignent la transmission de l’infection par les phlébotomes à de très nombreuses espèces (observation retrouvée avec d’autres espèces de leishmanies). L’évidence du rôle actif d’un « réservoir autre que canin » « vis-à-vis de l’homme » a été illustrée il y a quelques années dans l’agglomération madrilène avec une flambée de cas humains (au total plus de 800) avec pour réservoir et source démontrés le lièvre et le lapin. Nous qualifions désormais le chien « de sentinelle » et partie d’un « réservoir diversifié ». Les conséquences en santé publique seront variables selon la situation épidémiologique. Le rôle du réservoir sauvage est probablement à prendre en compte dans la compréhension de l’extension territoriale du parasite.

Une progression européenne

Dans les pays européens de la zone d’enzootie – pays dits « méditerranéens » –, la maladie est en expansion comme l’ont montré, notamment les travaux italiens par l’apparition de cas, humains et canins, en Italie du Nord, autrefois indemne, la capture des vecteurs y compris dans des vallées alpines vers la Suisse. Une longue enquête internationale a montré la dynamique de la leishmaniose en particulier au Portugal et en Grèce.

La situation est aussi très évolutive dans les pays non endémiques, y compris en Europe du Nord et centrale, en raison d’une part de descriptions croissante de foyers, ou cas, certainement autochtones (chiens n’ayant jamais voyagé) et, d’autre part de l’adoption d’animaux infectés en provenance de zones d’endémie. Cette observation fait prendre conscience de l’importance des risques de transmission non vectorielle.

L’infection canine ne signifie pas maladie

L’infection se répand rapidement en zone d’endémie mais, à l’opposé de ce qui a longtemps été asséné, la plupart des chiens resteront des infectés subcliniques (pour beaucoup à vie) et sources pour des vecteurs (bien que nettement moindre que les malades). Pour un chien malade il en existerait au moins 3 à 5 (ou davantage) qui resteront asymptomatiques. Cette proportion est d’autant plus importante que les animaux sont par ailleurs en bonne santé. Ainsi la prévalence de l’infection est très supérieure à celle de la maladie.

On peut distinguer quatre catégories de chiens : les sains, non infectés ; les infectés apparemment sains (aucune anomalie décelable) ; les malades présentant uniquement des anomalies clinico-pathologiques (statut souvent transitoire) ; et les chiens cliniquement atteints, ceux présentés dans les cliniques vétérinaires. Ces derniers ne représentent que la partie émergée de l’iceberg ; ils sont prédisposés à l’expression de la maladie par une réponse immunitaire inappropriée (base souvent génétique) et des facteurs de fragilisation (état de santé, conditions d’entretien, coinfections, maladies intercurrentes).

  • 1. Les trois dernières enquêtes ont été basées sur l’envoi d’un questionnaire par clinique. Les réponses (plus de 3 000 au total) couvrent l’ensemble du territoire avec un taux de participation d’environ 11,5 % pour la dernière, ce qui permet de considérer une bonne représentativité.
  • Pour aller plus loin : le congrès ALIVE (pour Animal Leishmaniosis International Veterinary Event) se déroulera du 31 mars au 2 avril 2022 : http://www.leishvet-alive.com.