De l’intérêt des répulsifs à base de plantes - La Semaine Vétérinaire n° 1920 du 12/11/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1920 du 12/11/2021

Thérapeutique

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Par Tanit Halfon, avec Alexis Lagarde

Selon une thèse vétérinaire, les données de la littérature sont insuffisantes pour conclure à une efficacité des antiparasitaires externes à base de plantes destinés aux animaux de compagnie.

À ce jour, il n’existe aucun antiparasitaire externe à base de plantes pour les carnivores domestiques, commercialisé en France sous le statut de médicament vétérinaire. Les produits disponibles dans le commerce sont rattachés à la réglementation des produits biocides, et classés dans la catégorie TP19 (répulsifs et appâts). Dans ce cadre, ils sont destinés à un usage préventif et répondent à une demande sociétale croissante en produits naturels. Mais sont-ils efficaces ? La réponse est loin d’être évidente, comme l’a mis en lumière un travail récent de thèse vétérinaire1. La conclusion : au vu des données disponibles, il n’est pas recommandé de les intégrer dans la lutte contre les maladies vectorielles.

Des associations de substances actives

Dans la thèse, ont été répertoriés plus de 175 produits biocides à action répulsive pour chats, chiens et nouveaux animaux de compagnie, commercialisés en France et issus de 14 laboratoires. Pipette, collier, pulvérisateur, shampooing, aérosol, poudre, etc., si les formes galéniques disponibles sont multiples, les pipettes et les colliers s’avèrent plus fréquents sur le marché. La quasi-totalité des produits revendiquent une action contre les puces, les tiques et les moustiques, 40 % signalent une efficacité contre les phlébotomes, et un peu plus de 30 % une activité contre les poux et les aoûtats.

On y trouve quatre grandes substances actives végétales, du plus au moins fréquent : le géraniol (dans 67 % des produits), l’extrait de Margousier (54 %), l’huile essentielle de lavandin (Lavandula hybrida, 49 %) et les extraits de pyrèthre (23 %). Toutes ces substances sont souvent associées les unes aux autres, avec près des deux tiers des produits qui incluent au moins deux substances actives végétales. Les monosubstances concernent le géraniol ou l’huile de margousier. Dans moins de 10 % des cas, les substances végétales sont associées à des composés répulsifs de synthèse, en particulier l’icaridine et l’IR3535 (éthyl butylacetylaminopropionate).

Des études in vitro

Plusieurs études existent pour évaluer l’efficacité des substances actives végétales incluses dans les produits, mais elles correspondent pour beaucoup à des études in vitro, de courtes durées, et dans une moindre mesure in vivo. Ainsi, pour le géraniol, l’activité répulsive antimoustique est surtout documentée in vitro et pour l’humain. Une seule étude s’est intéressée à l’animal, le poney, et a montré une absence d’efficacité contre Aedes aegypti au-delà de 3 heures après l’application. L’activité contre les phlébotomes est uniquement documentée in vitro. Pour les tiques des carnivores domestiques, l’information provient uniquement d’études faites in vitro et chez l’humain. Aucune étude n’existe pour l’activité contre les œufs, larves ou adultes Cténocephalides sp. alors que les produits à base de géraniol sont quasi-systématiquement associés à une revendication d’effet répulsif contre les puces. Autre exemple, pour l’huile essentielle de lavandin, seules deux études, in vitro, documentent l’activité de cette substance sur des ectoparasites d’intérêt vétérinaire : elles visent uniquement les tiques Hyalomma lusitanicum et Ixodes ricinus. D’autres études sont toutefois disponibles pour son composé majoritaire, le linalol, confortant une activité répulsive contre les moustiques et phlébotomes, et dans une moindre mesure contre Ixodes ricinus, mais là encore il s’agit surtout d’études in vitro et chez l’humain. Peu d’études existent pour évaluer l’action sur les puces : parmi elles, une étude faite chez le chat montre non pas une activité répulsive mais insecticide contre les puces, et elle date de 1988.

Des risques d’intoxications

Les substances végétales utilisées peuvent être associées à des effets toxiques. Pour la géraniol, il a été rapporté des cas d’intoxications chez le chat, en lien avec une ingestion accidentelle ou un mauvais dosage du produit. Le pronostic est généralement favorable. Il n’y a pas de cas rapportés pour l’huile essentielle de lavandin, mais l’usage d’huile essentielle de manière générale doit inciter à la prudence. Des suspicions d’intoxication chez le chat après application de sprays à base de D-limonène et de linalol ont également été rapportées, avec une résolution des signes cliniques généralement dans les 6 heures. L’huile de margousier pourrait avoir un effet toxique à haute dose chez le chat, mais cela reste encore à confirmer. Enfin, certains répulsifs sont à base de pyrèthre, des substances qui s’apparentent aux pyréthrinoïdes de synthèse, impliquant donc de ne pas les utiliser chez le chat.

Un manque d’études cliniques

Démontrer l’activité répulsive, voire insecticide/acaricide d’un extrait végétal sur des ectoparasites d’intérêt vétérinaire, ne permet pas de conclure à l’efficacité du produit biocide dans son entier. En effet, cela ne permet pas d’appréhender correctement plusieurs facteurs clés de l’efficacité d’un produit : durée d’action, concentration, modalités de diffusion, mode d’application, etc. Si les fabricants revendiquent la réalisation de tests sur leur produit, ils sont rarement rendus publiques, et il s’agit surtout d’expérimentations menées in vitro, sur de courtes durées.

Seules des études cliniques avec les biocides, réalisées dans des conditions proches du terrain, pourraient conforter l’efficacité de ces produits, et les revendications du fabricant.

Face à ces constats, la question de leur intérêt dans la lutte vectorielle reste ouverte, et il apparaît essentiel pour le praticien d’informer le propriétaire d’un animal de compagnie sur la nature de ces produits.

Une réglementation stricte

La réglementation des produits biocides1 est caractérisée par une procédure de mise sur le marché moins contraignante (pour la partie efficacité, qui ne repose pas sur des essais cliniques, et toxicité) et coûteuse que celle des médicaments. Dans ce cadre, un produit commercialisé comme biocide ne peut en aucun cas présenter une allégation thérapeutique. Pour les antiparasitaires externes à base de plantes, il n’est donc pas possible de revendiquer une action létale sur des parasites : seule une action répulsive peut être indiquée, ils sont donc utilisés en prévention. De plus, ils ne doivent pas apparaître, de manière même implicite (packaging), aux yeux du consommateur comme un produit qui devrait avoir un effet curatif ou préventif, auquel cas il est considéré automatiquement comme un médicament par présentation (jurisprudence européenne).

Par ailleurs, la procédure d’autorisation de mise sur le marché des biocides comprend un régime dit transitoire : une commercialisation est possible, quand bien même les substances actives biocides seraient encore en cours d’évaluation (efficacité et danger). Une fois la substance approuvée, les produits doivent obtenir une autorisation de mise sur le marché. Actuellement, tous les biocides répulsifs contre les parasites externes à base de plantes pour animaux de compagnie vendus en France sont sous le régime transitoire. Une substance végétale a toutefois été approuvée en 2019 dans les biocides TP19 : l’extrait de graines de margousier.

Ces produits sont en vente libre en jardineries, animaleries, au côté de médicaments vétérinaires APE pour animaux de compagnie autorisés (liste dérogatoire2 pouvant être vendus par des non-ayants droit). Cette situation peut de fait induire le client dans l’erreur au moment de son achat.

1. http://www.bit.ly/3kDZhnF

2. http://www.bit.ly/3mNvN9B

  • Remerciements à Jean-Philippe Jaeg, enseignant-chercheur ayant encadré la thèse, pour sa relecture attentive.