La physiothérapie, une discipline à ne pas négliger dans sa pratique - La Semaine Vétérinaire n° 1922 du 26/11/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1922 du 26/11/2021

Pratique

ANALYSE CANINE

Auteur(s) : Tanit Halfon

Elle apparaît comme une aide précieuse dans l’accompagnement de l’animal vieillissant. Le point avec Ludivine Jacquemin-Bietrix (L 07), présidente du groupe d’étude en rééducation fonctionnelle et physiothérapie à l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie.

La physiothérapie améliore la qualité de vie de l’animal âgé, et peut augmenter son espérance de vie, explique Ludivine Jacquemin-Bietrix, praticienne en activité exclusive en rééducation fonctionnelle et physiothérapie, en clinique de référés à Rennes.

La physiothérapie gagne du terrain en médecine des carnivores domestiques. Pouvez-vous la définir ?

Il s’agit d’une discipline de la médecine utilisant des agents physiques naturels ou artificiels (électrothérapie, laser, ultrasons, chaud, froid, etc.) dans un but thérapeutique.

Les différentes techniques de physiothérapie sont mobilisées lors d’une rééducation fonctionnelle, dont l’objectif est de réduire les incapacités associées à une pathologie affectant de façon transitoire ou définitive l’appareil locomoteur. Ces incapacités peuvent être directement liées à cette pathologie, ou bien liées à son traitement (chirurgie, immobilisation, etc). La rééducation fonctionnelle mobilise aussi les techniques dites de kinésithérapie. Il s’agit des pratiques utilisant le mouvement dans un but thérapeutique, avec d’une part la kinésithérapie passive (mouvement imposé par le thérapeute ou un appareil, sans réponse musculaire du patient), et d’autre part la kinésithérapie active (mouvement contrôlé et dirigé par le patient)1.

Suivant les techniques utilisées, cela permettra de lutter contre les phénomènes inflammatoires et de favoriser la cicatrisation tissulaire et osseuse, de soulager la sensation douloureuse, de prévenir les conséquences d’une immobilisation prolongée (ankylose articulaire, fonte musculaire, stase veineuse…), d’améliorer l’endurance et la force musculaire.

La physiothérapie et la rééducation fonctionnelle ont été reconnues par l’Ordre comme des actes vétérinaires, ce qui est essentiel et permet de placer les non-vétérinaires en situation d’exercice illégal. Dans la continuité, a été créé le premier et seul diplôme reconnu de physiothérapie, dont l’enseignement est dispensé à l’EnvA.

Quelles en sont les grandes avancées ?

Pour ce qui est des indications, les deux principaux axes de progrès sont la prise en charge des animaux paralysés et la gestion du post-opératoire pour éviter les complications liées à l’inactivité (approche préventive).

En ce qui concerne les techniques, le laser s’est particulièrement développé ces 10 dernières années. On peut citer aussi l’appareil Imoove vet lancé en 2015. Enfin, l’utilisation de petits matériels comme les ballons, les plots (en guise d’obstacles) ou encore l’électrothérapie s’est progressivement démocratisée auprès des praticiens, qui se sont rendu compte que la physiothérapie n’était pas forcément associée qu’à du matériel coûteux. Le seul frein à sa pratique est le temps.

Pensez-vous qu’il y a des incontournables ?

A mon sens, toutes les pathologies neurologiques mériteraient une évaluation et une prise en charge par la physiothérapie, même en cas de traumatisme crânien ou d’accident vasculaire cérébral par exemple. De plus, à l’heure où les traitements prolongent de plus en plus la vie des animaux de compagnie, la physiothérapie va devenir un outil essentiel dans la prise en charge de l’animal âgé. La physiothérapie et la rééducation permettent de les accompagner de façon globale, et de faire face au vieillissement du système locomoteur - vieillissement neurologique, musculaire, etc. - mais aussi aux maladies. Au-delà d’améliorer leur qualité de vie, la rééducation a aussi le potentiel d’augmenter leur espérance de vie. Le fondement de la réhabilitation gériatrique est d’augmenter les réserves fonctionnelles d’un individu. Cela s’inscrit dans le concept de fragilité qui est aujourd’hui bien définie en médecine humaine (voir encadré).

A ce sujet, n'oublions pas que la prise en charge de l’animal âgé ne se limite pas à l’arthrose. Face à un chien qui a du mal à se lever, une faiblesse musculaire n’est pas à exclure. Dans ce cas, la remise en mouvement est la solution et c’est du devoir du vétérinaire de l’encourager. En clair, il s’agit d’encourager les promenades régulières en laisse, même si le chien a accès à un jardin ! L’animal âgé a, en effet, besoin d’être stimulé, et la mobilisation est un facteur important pour préserver la bonne santé physique d’un animal âgé.

Les progrès concernent-ils préférentiellement les chiens ?

Oui. On estime entre 3 et 5 % la part de chats dans les services de physiothérapie. Avec le nombre croissant de chats de compagnie, cette situation risque fortement d’évoluer.

Quels seraient les axes minimums de développement pour une clientèle généraliste ?

Au préalable, se former sur les conseils et exercices basiques pouvant être réalisés à la maison. Il existe notamment la plateforme Physiotec, qui permet de prescrire des exercices chez soi sous forme de vidéos. Il faut aussi apprendre à proposer ces soins de façon plus systématique, sans penser qu’ils seraient réservés à un profil particulier de clients. Et enfin, ne pas hésiter à référer : aujourd’hui, le maillage se densifie avec un nombre croissant de vétérinaires qui se forment chaque année. De plus, quasiment tous les centres hospitaliers vétérinaires et cliniques de référé disposent d’un service dédié.

L’axe principal de prise en charge dans une clientèle généraliste va être l’animal senior, ce qui représente un pool de patients non négligeable. Les structures de référé s’occuperont plutôt de la neurologie et l’orthopédie, avec évidemment aussi des animaux âgés.

Des indications multiples

La physiothérapie est indiquée pour la prise en charge des troubles locomoteurs d’origine orthopédique ou neurologique : rupture du ligament croisé antérieur, dysplasie des hanches, arthrose, hernie discale, etc. Dans ce cadre, l’approche préventive se développe particulièrement, avec notamment la gestion du post-opératoire pour éviter les complications liées à l’inactivité.

La physiothérapie peut être aussi utilisée pour le traitement des plaies, gingivites ou encore otites, avec le laser notamment.

Le concept de fragilité

Avec le vieillissement des populations humaines a émergé le « syndrome de fragilité ». Il peut être défini comme une diminution des capacités de réserves fonctionnelles et des capacités à faire face à un stress1. Ce n’est pas donc pas une maladie, mais un état de vulnérabilité, et il est associé à un risque accru de mortalité, mais aussi d’incapacités fonctionnelles, de chutes, d’hospitalisations et plus globalement donc de dépendance. Le facteur de stress peut être minime (modification du lieu de vie, changement de traitement, infection bénigne, etc.) mais induire des conséquences disproportionnées sur l’état de santé. Le grand âge n’est pas systématiquement associé à la fragilité : on estime ainsi que 50 à 75 % des personnes âgées ne seraient pas fragiles. En médecine humaine, on considère que le processus est potentiellement réversible (jusqu’à un certain seuil) si des mesures adaptées sont mises en œuvre, faisant donc de sa prise en charge une question prioritaire de santé publique, et s’inscrit dans la médecine préventive et le "bien vieillir".

Des débuts en médecine vétérinaire

Dans sa mise à jour du guide de soins au chat âgé, l’American Association of Feline Practitioners2 introduit ce concept en médecine vétérinaire. Comme en humaine, elle propose aux praticiens deux outils pour identifier les individus fragiles. Le premier, le phénotype de fragilité, se base sur 4 paramètres cliniques : perte de poids non intentionnelle, faiblesse, manque d’endurance/fatigue, et lenteur. Le deuxième, l’indice de fragilité, repose sur 4 déficits médicaux : déficit physiologique, psychologique, cognitif (orientation), et dans la fonction sociale. Les deux sont des systèmes binaires : soit le critère est présent, soit il est absent. Dans les deux cas, un individu sera qualifié de fragile si au moins 3 critères sont présents ; et de pré-fragile si 2 critères sur 4 le sont. Face à un chat fragile, il est conseillé de rechercher les causes pathologiques possibles, et d’envisager la mise en oeuvre de mesures correctives physiologiques et psychologiques pour restaurer certaines fonctions, y compris si le chat ne souffre d’aucune maladie particulière. Des études se sont aussi penchées sur le cas du chien. Dans l’une d’entre elles (thèse vétérinaire3), une centaine de chiens guides d’aveugle ont été évalués suivant le modèle du phénotype de fragilité défini en humaine. Ceux qui avaient au moins 2 critères de fragilité sur 5, avaient plus de risque de mourir précocement que les chiens non fragiles, indépendamment de l’âge, de l’état de santé ou des comorbidités.

1. https://bit.ly/3CSsFi6

2. https://bit.ly/3k9QiKq

3. https://bit.ly/2UAOFNm

  • 1. Il est courant d’inclure la kinésithérapie sous le terme plus global de physiothérapie.