Reproduction
ANALYSE CANINE
Auteur(s) : Par Laurent Masson
Les 21 et 22 octobre derniers, l’ENVA, en partenariat avec Virbac, a organisé un colloque de deux jours consacré à l’utilisation des implants sous-cutanés de desloréline (Suprelorin) et, plus largement, à la castration du chien mâle en l’état actuel des connaissances.
En réunissant dans les locaux de l’ENVA des praticiens et des enseignants spécialisés en reproduction canine ou en comportement, Alain Fontbonne, diplômé ECAR et médiateur scientifique de l’événement, et Virbac ont souhaité faire un partage d’expérience sur un sujet parfois controversé : la stérilisation du chien mâle en bonne santé. Avantages, inconvénients, méthode chirurgicale ou médicale… faut-il revoir nos paradigmes ?
Conséquences de la stérilisation
Bien que controversées, certaines études rétrospectives récentes1 ont pu remettre en question la systématisation de la stérilisation. Cette intervention « de convenance » n’est pas sans conséquence pour l’animal, à court et à plus long terme. D’ailleurs, suivant les races, elle est parfois déconseillée avant la puberté chez le chien mâle.
Les propriétaires envisagent souvent la castration comme une réponse facile aux problèmes de comportement comme les fugues ou l’agressivité. Or, selon le consensus du groupe d’étude en reproduction, élevage et sélection des carnivores domestiques (GERES) de l’Afvac présenté par Françoise Lemoine et Émilie Rosset, les effets d’une castration sur le comportement canin sont difficiles à prévoir car les attitudes gênantes aux yeux des propriétaires ne sont pas uniquement d’origine hormonale. Une diminution du marquage urinaire et du chevauchement est observée chez seulement 60 % des chiens stérilisés. Le comportement agressif est peu influencé par la castration. Il convient donc de recommander une consultation comportementale lorsqu’un propriétaire envisage une castration pour un motif d’agressivité sociale ou émotionnelle.
En revanche, la castration chirurgicale permet effectivement de prévenir ou de traiter les tumeurs testiculaires, les affections prostatiques (exception faite des tumeurs) et conduit à un allongement de l’espérance de vie. Néanmoins, certaines études soulignent, chez l’animal castré, une augmentation de l’incidence de certains cancers ou de certains dysfonctionnements ostéo-articulaires, de maladies à composante immunitaire, des modifications du pelage et de l’incontinence urinaire (incompétence sphinctérienne suspectée mais remise en cause). Qu’elle soit chimique ou définitive, la castration est à l’origine d’une prise de poids (diminution de 20 % des besoins énergétiques) et d’une augmentation du risque de diabète.
À l’instar de ce qui est observé chez le furet, Alain Fontbonne rappelle que notre consœur américaine Michelle Kutzler avance la théorie que tous ces effets secondaires de la castration chirurgicale pourraient être liés à l’hormone lutéinisante (LH) : la suppression de la testostéronémie entraîne une disparition du rétrocontrôle négatif et donc une forte élévation de LH et d’hormone folliculo-stimulante (FSH) (jusqu’à 30 fois plus). Or, des récepteurs LH ont été retrouvés lors de lymphomes, hémangiosarcomes spléniques, carcinomes à cellules transitionnelles, dans les cas d’obésité, d’incontinence urinaire, voire d’hypothyroïdie, ou encore lors de la perte plus rapide des fonctions cognitives observée chez les vieux chiens castrés.
S’adapter au profil des propriétaires
Par ailleurs, le sociologue Christophe Blanchard a rappelé que la place sociale du chien a changé, passant de la niche à la chambre, devenant un membre à part entière du foyer. De fait, la castration peut alors être vue comme une mutilation par certains propriétaires. La manière d’aborder ce sujet doit tenir compte du profil du propriétaire.
Ainsi, la décision de stériliser doit être un acte réfléchi. Le praticien doit ici aussi peser le pour et le contre en s’interrogeant sur les bénéfices pour la santé et le bien-être de l’animal, pour le propriétaire et pour la relation qui les unit : l’animal stérilisé sera-t-il un meilleur animal de compagnie, mieux intégré dans la société ?
Stériliser sans castrer
L’implant de desloréline, un analogue de la gonadolibérine (GnRH), peut être une solution intermédiaire malgré son coût. Il devient alors un acte de diagnostic aux effets réversibles. Contrairement à la castration chirurgicale, il induit en quelques semaines un arrêt de la sécrétion hypophysaire de LH (et de FSH) et pourrait être, bien que cela reste à démontrer, une réponse aux effets indésirables sus-cités. Par son effet global, il pourrait même, selon certains comportementalistes, s’avérer plus efficace sur les comportements gênants que la chirurgie.
L’implant de desloréline lève les principaux obstacles exprimés par les maîtres : pas d’angoisse liée à l’intervention, pas d’ablation, un effet réversible donc moins engageant pour des propriétaires hésitants. Il ne reste que le coût du traitement, même si certaines assurances animalières peuvent le prendre en charge. Il peut aussi être intéressant de préciser aux propriétaires que, contrairement aux contraceptifs bien connus, la desloréline n’est pas un progestatif mais un dérivé d’une substance naturellement produite par le cerveau.
Quel implant choisir ?
La desloréline est disponible sous deux présentations (voir tableau). Il est primordial de connaître leurs spécificités pour une utilisation optimale, même si aucune différence comportementale n’a été rapportée entre les deux concentrations. Les profils de relargage diffèrent selon les présentations : l’effet de latence est de 6 semaines pour l’implant à 4,7 mg, contre 8 à 12 semaines pour celui à 9,4 mg. Il est donc préférable d’utiliser la présentation à 4,7 mg lors de la première implantation pour son action plus rapide et de réserver celle à 9,4 mg pour les réimplantations.
Les effets sur la semence débutent assez tôt après la pose de l’implant, mais l’éjaculat n’est absent qu’à partir de 30-35 jours post-implantation. Il convient donc de maintenir à l’écart les femelles pendant 6 semaines. Une diminution du volume testiculaire est notable en 5 semaines, sans pouvoir faire de corrélation entre efficacité et volume testiculaire. Seule une testostéronémie inférieure à 0,4 ng/ml permet d’objectiver l’infertilité du chien.
La durée de l’infertilité est, respectivement, au minimum de 6 et 12 mois pour les présentations à 4,7 mg et 9,4 mg. Cependant, selon la bibliographie présentée par Samuel Buff, la durée du rétrocontrôle varie d’un individu à l’autre, notamment en fonction du poids de l’animal : entre 196 et 561 jours pour un chien de moins de 10 kg, de 140 à 505 jours pour un chien de 10 à 25 kg et de 185 à 365 jours pour un chien de plus de 25 kg avec un implant à 4,7 mg.
La réversibilité a été prouvée avec une reprise de la sécrétion de la testostérone, du volume testiculaire et une récupération histologique confirmée 620 jours après implantation. L’éjaculat redevient normal en 25,6+/-3,7 semaines (pour le dosage 4,7 mg). La récupération fonctionnelle est constatée 8 semaines après le retour à une testostéronémie normale, ce qui est observé chez 80 % des chiens à 12 mois et 98 % des chiens à 18 mois. Il est donc important de prévenir les propriétaires, notamment éleveurs, que 20 % des chiens restent infertiles après 6 mois. L’augmentation de la testostéronémie et la réapparition du comportement gênant reviennent avant l’augmentation de la taille des testicules. Le retrait de l’implant peut être envisagé chez l’animal reproducteur.
Précautions
Il convient de prévenir les propriétaires d’un éventuel effet flare-up : la desloréline induit une stimulation initiale de la libération de la LH associée à un pic de testostérone qui peut être à l’origine d’une hyperexcitation temporaire de l’animal dans les 2 ou 3 premières semaines. Dans certains cas, il est préférable de le séparer provisoirement des autres chiens du foyer. Pour ceux présentant un comportement agressif, l’effet flare-up peut être associé à une augmentation de l’agressivité, de l’instabilité émotionnelle et de la protection des ressources ainsi qu’une diminution des autocontrôles. Pour ces cas, une consultation de comportement est recommandée avant la mise en place de l’implant et une prescription d’acétate de cyprotérone (1,5-2 mg/kg/jr pendant 10-14 jours2) ou de rispéridone permet de diminuer cet effet indésirable.
Dans l’éventualité d’une réimplantation, il convient de respecter la durée d’action de 6 ou 12 mois selon la présentation précédemment utilisée pour éviter cet effet stimulant post-implantation et les rechutes lors d’affections prostatiques.
Retour d’expérience
Ce colloque a également été l’occasion de s’intéresser aux retours d’expérience de praticiens généralistes et spécialistes en reproduction comme Xavier Lévy, Cindy Maenhoudt et Sabine Schäfer-Somi. En Europe, les vétérinaires prescrivent Suprelorin principalement chez le chien mâle, mais aussi le furet mâle, le chat mâle, mais aussi parfois chez la chienne et la chatte, hors AMM. Les motifs de sa prescription sont la réticence du propriétaire envers la castration chirurgicale, l’effet test avant la castration chirurgicale ou sur la libido lorsque la chirurgie est risquée, ou pour des raisons médicales (affections prostatiques ou des glandes anales en relais).
Dans tous les cas, il convient de rappeler aux propriétaires se questionnant sur la stérilisation les avantages et les inconvénients de la desloréline.
Au final, le retour des propriétaires est majoritairement très positif après traitement, regrettant parfois même de ne pas avoir fait cet essai thérapeutique plus tôt. Certains propriétaires venant en rendez-vous pour une castration chirurgicale changent même parfois d’avis après que l’implant leur a été proposé.
Malgré une relance à l’issue de la durée de l’implant, la réimplantation est plus généralement demandée par les propriétaires lorsque les troubles comportementaux réapparaissent.
Comment bien utiliser Suprelorin
Il convient de respecter plusieurs points pour une utilisation optimale de l’implant de desloréline, rappelés par Marion Strina :
– Une conservation au froid (pour une bonne tenue de la matrice lipidique et une bonne stabilité). Il reste néanmoins utilisable en cas de rupture de la chaîne du froid sur une période inférieure à un mois.
– Utilisation de l’injecteur multi-usage spécifique. Il peut être utile d’en conserver un ancien en cas de perte ou de casse.
– Réaliser une consultation générale et comportementale dans certains cas avant la pose. Elle permet d’écarter une tumeur testiculaire en réalisant notamment une échographie et de s’assurer que les motivations des propriétaires sont adéquates.
– Si le propriétaire souhaite un futur retrait de l’implant, il faudra choisir une pose en région péri-ombilicale (hors AMM).
– Bien tunnéliser l’aiguille dans le tissu sous-cutané, en région interscapulaire ou péri-ombilicale, pour éviter que l’implant ne ressorte. En cas d’implantation dans une zone riche en graisse, la libération du principe actif est modifiée.
– En cas de suspicion d’inefficacité, un dosage de la testostéronémie est réalisé.
– Utiliser éventuellement la crème EMLA, mais pas de lidocaïne injectable ou d’alcool pour éviter une vasodilatation locale.
– Ne pas masser l’implant après sa pose en raison du risque de fragmentation.
Effets de la desloréline
Il est important de rappeler au propriétaire les effets attendus de la molécule, notamment l’augmentation de l’appétit (risque de prise de poids, comme après une castration chirurgicale) et un changement du pelage (plus fourni). Les modifications du comportement observables pendant quelques jours à quelques semaines (le marquage urinaire est souvent bien diminué) sont intéressantes pour évaluer si la castration d’un chien agressif est utile ou non et sont prédictives des effets d’une castration chirurgicale. La durée de latence et d’efficacité, la réversibilité et l’effet flare-up sont également à présenter. Il est par ailleurs possible de castrer avant la fin de l’effet de l’implant.