QUELLE PLACE POUR LES VÉTÉRINAIRES DANS LA TRANSITION AGROÉCOLOGIQUE DES SYSTÈMES D’ÉLEVAGE ? - La Semaine Vétérinaire n° 1923 du 03/12/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1923 du 03/12/2021

DOSSIER

Auteur(s) : PAR CHANTAL BÉRAUD

ALORS QUE L’AGROÉCOLOGIE EST DÉJÀ DEVENUE LE QUOTIDIEN DE CERTAINS TYPES D’ÉLEVEURS EN FRANCE, CETTE ÉVOLUTION, ET MÊME RÉVOLUTION, SEMBLE ENCORE MÉCONNUE D’UNE PARTIE DE LA PROFESSION. COMMENT LES PRATICIENS PEUVENT-ILS ACCOMPAGNER CETTE MUTATION ?

« La majorité des vétérinaires participants s’accorde à dire que l’élevage connaît actuellement une crise importante, principalement économique et sociale. De plus, selon 61,5 % de nos répondants, certains types d’élevage ont un impact environnemental néfaste ». Tel est l’un des constats que livrent déjà Léa Larribeau et Olivia Candau, étudiantes à l’École nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT), qui ont interrogé 52 vétérinaires ruraux durant leur stage d’été 2020. Leur objectif était de dresser un état des lieux actualisé des connaissances et des opinions de ces praticiens sur l’agroécologie et les systèmes d’élevages contemporains (voir plus de résultats en encadré).

Pourquoi s’intéresser à l’agroécologie ?

Alain Ducos, un de leurs professeurs à l’ENVT, traite déjà de ce sujet lors ses journées de cours en Master 2 GIMAT (gestion intégrée des maladies animales tropicales). Depuis cette année, il utilise également trois présentations1 à destination des étudiants de première année à l’ENVT, soit sept heures d’enseignement. Pourquoi les vétérinaires d’aujourd’hui doivent-ils, selon lui, s’intéresser à cette transition agroécologique ? « Parce que la profession vétérinaire a évidemment un rôle à jouer dans ce processus !, estime-t-il. Personnellement, c’est une question qui capte mon attention depuis une dizaine d’années. En qualité d’agronome et de généticien, j’ai en effet d’abord travaillé sur l’amélioration génétique des populations animales d’élevage (porcs et bovins principalement). Depuis 1995, je fais aussi de la biologie cellulaire pour traiter différentes questions de recherche plus fondamentales. Quand j’ai pris connaissance d’un rapport, publié en 2006 par la FAO, intitulé “L’Ombre portée de l’élevage”, qui décrit notamment tous les aspects négatifs qu’ont certains systèmes d’élevage sur l’environnement, j’ai eu un choc ! Souhaitant lever un peu le nez de mon guidon, j’ai orienté mes lectures2 dans cette direction ».

Avec les chercheurs de l’INRAE

« De nombreux chercheurs INRAE travaillent aujourd’hui dans ce domaine, poursuit Alain Ducos. Et j’aime particulièrement citer l’un d’entre eux, Jean-Louis Peyraud, qui écrivait récemment que : “L’élevage est confronté à une crise de légitimité environnementale, sociale et économique sans précédent. Il doit donc évoluer en profondeur” 3 ». Oui, mais comment ? En fait, il n’existe pas de modèle type en agroécologie. Il faut en revanche travailler sur des principes qu’il convient ensuite de décliner dans des situations concrètes en fonction des conditions locales.

Quel rôle pour la génétique dans cette transition ?

« Nous venons justement de publier en accès libre un assez long article appelé “Contributions de la génétique animale à la transition agroécologique des systèmes d’élevage” 4, informe Alain Ducos. Nous y montrons par exemple que, grâce à une collaboration entre généticiens, physiopathologistes et immunologistes, la génétique est devenue un levier efficace pour maîtriser les mammites des ruminants dans le cadre d’approches de gestion intégrée de la santé. Bien sûr, il nous reste encore beaucoup de travail à faire, notamment pour proposer des méthodes innovantes de valorisation et gestion de la diversité des animaux afin d’améliorer la résilience des systèmes d’élevage. » De nombreux travaux ont d’ores et déjà été conduits chez les plantes pour montrer l’intérêt de systèmes de culture diversifiés mais des efforts restent à faire chez l’animal pour mieux comprendre les liens entre diversité, santé, efficience et résilience.

Avec quelle place pour les vétérinaires ?

Parmi les différents intervenants en élevage, les vétérinaires sont probablement ceux qui disposent du plus large éventail de compétences. Ils peuvent donc conseiller efficacement les éleveurs sur l’évolution agroécologique de leurs systèmes, qui est par définition une question pluridisciplinaire. Mais cela suppose qu’ils s’approprient les concepts fondateurs et intégrateurs de l’agroécologie et deviennent polyvalents dans de nombreux domaines (agronomie et productions fourragères, gestion de la biodiversité, médecines alternatives, valorisation des effluents, etc.). « L’un des principaux problèmes qui se pose pour les praticiens ruraux, c’est comment se former, souligne à cet égard Alain Ducos. D’autant plus qu’ils exercent parfois dans des déserts vétérinaires avec de grosses charges de travail et qu’ils ont peu de temps à consacrer à leur formation ».

ENTRETIEN

PIERRE-EMMANUEL RADIGUE (Lyon 1989)

Vétérinaire consultant en management de troupeaux

« C’est une activité de conseil et de mesures de paramètres biologiques »

Quel est pour vous le rôle d’un vétérinaire en agroécologie ?

Il doit conseiller l’agriculteur dans l’élaboration d’un système d’élevage où le soin et la thérapeutique deviennent des actes peu fréquents. Pour cela, il associe allopathie, médecine dite traditionnelle et médecines alternatives. Le métier de vétérinaire devient plus celui de « constructeur » de plans de prévention, de suivis alimentaires, zootechniques et de reproduction. Pour ce faire, structurellement, le vétérinaire rural en agroécologie a besoin d’un plateau technique simplissime, sachant que l’essentiel de son exercice se passe « dans la cour de la ferme », au milieu des animaux, dans les pâturages…

En quoi consiste votre travail actuel ?

Je suis consultant et formateur. J’effectue des missions d’évaluation et de diagnostic pour aider les élevages à passer à l’agroécologie. Par exemple, pour un éleveur de charolais en extensif, je lui explique comment pratiquer un système de pâturage tournant ce qui, par rupture des cycles, permet de réduire l’impact du parasitisme. Par ailleurs, un bon accompagnement en nutrition permet d’éviter beaucoup de maladies en dopant le système immunitaire des animaux et en réduisant la composante inflammatoire digestive. Chez l’éleveur, je procède donc à des analyses de fourrages complètes (avec dosage des minéraux, des oligo-éléments, des métaux et des paramètres de conservation). J’effectue ainsi des calculs de rations en corrigeant l’ensemble des imperfections des végétaux récoltés et ingérés. Je vois s’il faut que j’ajoute à cette alimentation des minéraux, des vitamines… Et s’il faut augmenter la qualité du fourrage, je me préoccupe de la biologie des sols.

Cela suppose donc d’avoir de multiples compétences ?

Oui, car il y a ensuite la gestion du fumier, du compost, des lisiers… La journée d’un vétérinaire en agroécologie est rythmée par des rendez-vous à heure fixe où il s’occupe donc des prés, de la nutrition, de la gestion du troupeau… En bref, c’est une activité de conseil et de mesures de paramètres biologiques.

Comment les vétérinaires peuvent-ils s’y former ?

S’ils n’ont pas le goût à cela, pourquoi ne pas accueillir un associé agronome qui s’en occuperait ? Mais attention ! Autant, il y a vingt ans, j’avais l’impression de prêcher dans le désert, autant aujourd’hui je sens qu’une partie des éleveurs a déjà la volonté de changer ! Si les vétérinaires ne suivent pas ces métamorphoses (surtout dans les zones d’AOP et les régions très herbagères), ils risquent un jour de se retrouver en décalage de phase avec les attentes de leurs clients agriculteurs. Toutefois, je pense que la profession a encore toute sa place dans cette évolution : c’est pourquoi je forme des vétérinaires en la matière1.

Mais de telles transformations ne doivent-elles pas aussi correspondre à un changement de mentalité ?

Oui, bien sûr… Justement, pour accompagner les jeunes agriculteurs et leurs conseillers (vétérinaires, ingénieurs techniciens) dans cette transition, Françoise Calvel, ma compagne, autrice, metteuse en scène et professeure de théâtre, joue par exemple actuellement un spectacle sur l’agroécologie (produit par Agrocampus avec la compagnie Parallèles).

TÉMOIGNAGE

MARIE-THÉRÈSE BONNEAU

Productrice de lait de vache en Vendée et présidente de France Carbon Agri (FCAA)

« L’agroécologie va dans le sens de l’Histoire. »

Aujourd’hui, les vétérinaires ruraux se consacrent essentiellement aux soins curatifs des animaux. Mais ils ont un vrai chantier ouvert devant eux pour faire davantage de soins en préventif mais aussi pour vendre moins de médicaments. D’ailleurs, peut-être pourra-t-on à l’avenir imaginer des contrats de suivi entre éleveurs et vétérinaires pour une activité de conseil en agroécologie ? De nombreux agriculteurs en font déjà un peu aujourd’hui, avec notamment des techniciens qui viennent réaliser des analyses (sol, fourrages…) sur leurs exploitations. Mais le vétérinaire pourrait sans doute aller encore plus loin et apporter une sorte de compétence élargie, en y ajoutant ses capacités d’analyse en santé animale. En tout cas, compte tenu du contexte actuel (qui conjugue une inflation du prix des matières premières avec le changement climatique), je suis persuadée qu’une évolution des systèmes est en marche. Par exemple, afin d’augmenter la protection des sols et limiter le recours aux intrants, certains éleveurs emploient désormais des techniques comme le pâturage tournant, cultivent des prairies multi-espèces pour les troupeaux, etc. Cependant, une conversion en masse du secteur prendra du temps, j’imagine dans les quinze ou vingt ans… Depuis deux ans, je préside en tout cas l’association France Carbon Agri, qui permet d’optimiser des permis carbone au profit des agriculteurs afin de leur assurer un retour financier proportionnel à leurs réductions d’émission1. À ce titre, j’ai à cœur de faire reconnaître les évolutions positives déjà réalisées par des agriculteurs et, surtout, je souhaiterais qu’elles puissent à l’avenir faire l’objet de contrats de prestations environnementales.

TÉMOIGNAGE

DOMINIQUE MARCHAND (Nantes 1992)

Vétérinaire conseil Réseau cristal, en production porcine

« Contribuons à des améliorations dans tous les types d’élevages ! »

Au sein de notre cabinet, nous formons un groupe de onze vétérinaires spécialisés en production porcine. Depuis 2012, au sein du Réseau cristal, nous développons une démarche alterbiotique qui nous a permis notamment de réduire l’usage des antibiotiques. Cette démarche rejoint les valeurs d’une association telle que Bleu-Blanc-Cœur1, dont les programmes ont pour objectif d’améliorer à la fois la santé, le bien-être animal et les performances environnementales. Un autre exemple concret d’amélioration de la santé des animaux que nous avons déjà mis en œuvre concerne la technique du dépeuplement (partiel ou total) d’élevages. Cela signifie que, pour éliminer par exemple les problèmes respiratoires, on vide l’élevage et on remplace un cheptel existant par un cheptel au statut sanitaire supérieur. Une fois les porcs « assainis » (débarrassés par exemple du mycoplasme respiratoire), il y a un avantage productif important puisqu’on obtient ainsi 100 kilos de cochon avec 20 kilos d’aliments en moins. Et le bien-être tant des animaux que de leurs éleveurs en ressort lui aussi augmenté.

Agroécologie : état des connaissances

93 % des 52 vétérinaires participants ont déjà entendu parler d’agroécologie. 50 % estiment ne pas en connaître davantage sur le sujet. 34,6 % considèrent avoir quelques connaissances sur le concept et 7,7 % se placent dans la catégorie « connaissances très poussées ». A contrario, 7,7 % n’avaient « jamais entendu ce terme ». Au total, les deux autrices ont estimé que seuls 20 % des sondés avaient donné une définition suffisamment précise, selon leurs prérequis, de ce qu’est l’agroécologie.

Extraits des résultats de l’enquête de Léa Larribeau et Olivia Candau.

Agroécologie : quelle formation pour les vétérinaires ?

La totalité des 52 interviewés ont assuré que la notion d’agroécologie n’avait jamais été abordée en tant que telle durant leur formation initiale. Leur connaissance sur ce sujet vient donc d’une recherche personnelle. Par ailleurs, 51 sur 52 s’accordent désormais à dire que l’agroécologie devrait être abordée dans leur formation initiale et/ou continue. 88,5 % d’entre eux estiment que ce serait même une formation indispensable ou très importante. Leur intérêt se porte principalement sur les axes suivants : préservation de l’agrosystème, favorisation de l’autonomie alimentaire du cheptel et réduction de l’usage curatif des médicaments. Quant à la génétique et la gestion des pollutions, ce sont des notions jugées utiles mais moins applicables en pratique, selon eux.

Extraits des résultats de l’enquête de Léa Larribeau et Olivia Candau.