La fin de la castration à vif des porcelets - La Semaine Vétérinaire n° 1924 du 10/12/2021
La Semaine Vétérinaire n° 1924 du 10/12/2021

Pratiques d’élevage

ANALYSE MIXTE

Auteur(s) : PAR TANIT HALFON

Au 1er janvier 2022, les éleveurs auront la possibilité d’utiliser la lidocaïne et le tri-solfen pour gérer la douleur lors de la castration chirurgicale des porcelets de moins de 7 jours. Une décision en demi-teinte pour les vétérinaires.

Après l'arrêté1 du 24 février 2020 actant l'arrêt de la castration chirurgicale à vif des porcelets de moins de 7 jours, au profit de la castration avec anesthésie et analgésie, une instruction technique2 vient en préciser les modalités pratiques. Au 1er janvier 2022, les éleveurs, et salariés, devront respecter un protocole de castration pour les porcelets de moins de 7 jours, combinant un anti-inflammatoire non stéroïdien, le méloxicam ou le kétoprofène, et un anesthésique local, la lidocaïne ou le tri-solfen. Le tri-solfen, non commercialisé en France, disposera, a priori, d’une autorisation temporaire d’utilisation d’ici la fin de l’année. À ce stade, deux fiches détaillant les protocoles sont déjà disponibles sur le site de l’IFIP-institut du porc3. Pour accompagner les éleveurs, une première formation théorique par e-learning est prévue d’ici la fin de l’année, suivie d’une formation sur le terrain en 2022. Ce cycle de formation est bien entendu obligatoire et certifié par des attestations individuelles de suivi. Toutefois, il sera possible pour les éleveurs de débuter les castrations avec un anesthésique local dès la fin du premier module. À la différence d’autres pays européens, les éleveurs ne sont pas autorisés à utiliser des anesthésiques généraux, qui restent réservés à l’usage vétérinaire.

La castration n’est pas une exception

L'acte de castration chirurgicale n'est autorisée que dans certains cas, définis par un nouvel arrêté4 en date du 17 novembre 2021 : lorsqu’elle est imposée par un cahier des charges pour l’obtention d’un signe d’identification de la qualité et de l’origine ou qu’elle est spécifiée dans un contrat de vente agricole, en lien avec des exigences sur la qualité de la viande. Pour la vente directe, l’exigence qualité pour le consommateur est aussi un motif valable pour une castration. Dans les faits donc, rien ne pousse vers le développement de filières de mâles entiers, hormis la volonté de quelques-uns, comme par exemple la Cooperl qui a opté pour cette voie, avec 80 % de ses adhérents qui ne castrent plus. Selon l’Ifip, en 2019, on dénombrait 28 % de mâles entiers en France, en majorité au sein de la Cooperl. D’autres groupes commencent à se lancer. En 2020, 10 organisations de producteurs, qui représentent la moitié de la production porcine française, se sont positionnées pour le mâle entier. Mais cela bloque en aval. Philippe Le Coz, président de la commission porcine à la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV), souligne : « Il n’y a pas eu de vraie volonté politique pour faire avancer le débat. L’anesthésie locale aurait pu être une méthode transitoire. On se retrouve finalement avec une solution a minima, qui contente les abatteurs qui restent opposés par principe à l’immunocastration ou aux mâles entiers. Pourtant, il n’y a aucun obstacle technique pour développer une filière mâle entier : Uniporc, responsable déjà du classement des carcasses, est désormais en capacité de mettre en place en 3 mois une méthode de détection des carcasses malodorantes sur une chaîne d’abattage. Cette situation crispe les éleveurs, qui ne comprennent pas ce blocage pour le porc standard, qui représente plus de 80 % de la production. Et les vétérinaires aussi, qui ont l’impression qu’on leur force la main pour cautionner cette pratique ».

Une prise en compte du surcoût ?

La profession vétérinaire, via la SNGTV et l’Association des vétérinaires exerçant en productions organisées (AVPO), avait, en effet, pris position en 2020 pour un arrêt de la castration chirurgicale, et l’élevage de mâles entiers avec ou sans immunocastration. Ils avaient souligné que les méthodes de gestion de la douleur en per et postopératoire n’étaient pas pertinentes « tant pour des raisons techniques, de stress ou de douleur pour l’animal, que de difficultés de mise en œuvre par les éleveurs ». « Nous restons sur notre position », confirme Philippe Le Coz. Pour lui, la faisabilité technique pose particulièrement question. Étant donné le nombre de porcelets à castrer dans les élevages, les bonnes pratiques de castration pourront-elles être véritablement respectées ? De plus, « la réglementation semble aller dans le sens d’une quasi-systématisation de la castration. Cela veut dire qu’une majorité d’éleveurs porcins continueront à castrer. Dans ces conditions, comment le vétérinaire pourra-t-il accompagner autant d’éleveurs dans la maîtrise du geste technique ? » La grande question, selon lui, est maintenant de savoir ce que feront réellement les éleveurs sur le terrain. « Aujourd’hui, ils attendent une prise en charge des surcoûts, y compris la perte de résultats technico-économiques par rapport à un élevage de mâles entiers. Cela correspond à une différence de 12 à 15 centimes d’euros par kilo de viande, c’est beaucoup. » L’arrêté du 17 novembre conditionne la castration à un contrat de vente écrit, lequel est rendu obligatoire entre producteur et premier acheteur (sauf quelques exceptions) par la loi Egalim2 afin de sécuriser la rémunération des éleveurs. Dans le cadre de cette contractualisation, les coûts relatifs à la production, via des indicateurs, doivent être obligatoirement pris en compte dans le contrat. À voir donc de quelle manière les surcoûts de production de la castration seront pris en compte. Pour Philippe Le Coz, ce qui est sûr, est que « sans motivation financière, l’application des protocoles anesthésiques ne sera pas optimale ».