Stratégie
PHARMACIE
Auteur(s) : PROPOS RECUEILLIS PAR MARINE NEVEUX
Erick Lelouche est président de Boehringer Ingelheim France. Près de deux ans après cette nomination et le contexte inédit de la pandémie qui a catalysé le concept du One Health, il nous livre ses retours et les enjeux actuels et futurs.
Quel bilan dressez-vous de cette année, et de la crise de la Covid-19 ?
La première partie de l’année 2021 est restée largement marquée par la crise sanitaire. Malgré des contraintes assez fortes au premier semestre, nos équipes ont toutefois réussi à poursuivre leur activité sur le terrain et nos sites de production à fonctionner pour mettre à disposition de nos clients les produits nécessaires. La pandémie a bien sûr eu quelques répercussions sur la disponibilité de certains de nos médicaments.
La crise de la Covid-19 a aussi cruellement mis en lumière l’urgence de créer davantage de ponts entre santé humaine et animale et donné tout son sens à l’approche One Health qui n’était bien souvent jusqu’alors qu’un concept. La pandémie a servi de révélateur du sujet. Et soyons honnêtes, plutôt négativement dans un premier temps. Les vieux réflexes d’une approche silotée de la santé ont d’abord été de mise. Pour les tests, les réflexions stratégiques, la vaccination… c’est toujours avec retard que la profession vétérinaire a été mise à contribution. Mais les choses bougent. Chez Boehringer Ingelheim, les vétérinaires se sont installés à la même table que leurs collègues médecins et chercheurs en santé humaine pour enrichir les réflexions et partager leur large connaissance des épidémies et des coronavirus. Nous sommes persuadés que le One Health va devenir un enjeu de santé public majeur, puisque deux nouvelles maladies infectieuses humaines sur trois sont des zoonoses.
Au niveau national, la crise a également fait avancer les choses. Pour preuve, l’arrivée remarquée de Thierry Lefrançois, premier vétérinaire au sein du conseil scientifique, ce dont nous nous félicitons.
Plusieurs voix s’élèvent pour souligner la nécessité de casser les silos entre les santés humaine, animale et environnementale. Êtes-vous témoin de ce même cloisonnement et de la même urgence à le dépasser ?
Nous savons depuis le XIXe siècle que les maladies sont causées par des types de micro-organismes communs chez l’homme et les animaux. Cette découverte est au départ du dialogue entre les deux médecines et a permis de faire progresser la recherche dans les vaccins, les médicaments ou encore les sérums. Nous nous sommes heurtés plus récemment à une approche différente, avec une santé animale largement construite sur la médecine collective, et une santé humaine beaucoup plus spécialisée et personnalisée. Cette spécialisation des industriels et des professionnels de santé entraîne un cloisonnement et un abandon des thématiques partagées. N’oublions pas les leçons du passé. La perspective d’une multiplication des zoonoses ne nous laisse d’autre choix que de collaborer au plus haut niveau, rapidement, pour faire face aux enjeux qui attendent l’humanité.
L’interdépendance, l’intrication de nos écosystèmes, la globalité des sujets sont désormais perçus avec une grande acuité par les citoyens et les grands enjeux sociétaux actuels font bouger le curseur. La capacité d’écoute et de compréhension a évolué. Les nouvelles générations sont d’ores et déjà totalement conscientes de cette interconnexion et de la nécessité d’agir pour préserver notre cadre de vie. Il est fondamental de casser les silos de la santé pour plus d’interdisciplinarité, levier puissant et nécessaire pour faire progresser la santé publique.
Pour Boehringer Ingelheim, le concept One Health est une réalité de longue date. Quels nouveaux projets souhaiteriez-vous voir aboutir pour le renforcer ?
Le One Health est effectivement un axe déterminant pour notre entreprise en France et nous allons intensifier cette démarche dans les années à venir.
En 2020, nous avons contribué à créer à Lyon le HUB VPH (Veterinary Public Health). Cette initiative inédite rassemble une dizaine d’acteurs publics et privés, tels l’Aderly, la Région, la Métropole de Lyon, l’Université de Lyon, VetAgro Sup, l’Institut Mérieux, Lyon Biopôle… Orientés One Health, les travaux de ce HUB visent à répondre aux enjeux majeurs de santé publique liés aux grandes épidémies animales à l’échelle mondiale. Une chaire a été créée afin notamment de produire des outils méthodologiques scientifiques.
En janvier 2022, le HUB organise sa première conférence internationale avec pour thème « One Health, à la confluence de la santé publique humaine et animale ». Des personnalités de la santé humaine et de la santé vétérinaire viendront échanger et travailler ensemble pour faire progresser la structuration scientifique de ce concept.
Enfin, pour construire les compétences de demain, nous devons former les professionnels de santé à cette approche. Nous proposons donc d’intégrer une dimension One Health – Une seule santé dans toutes les formations de santé et de créer, à Lyon par exemple, des masters One Health, comme il en existe déjà à l’étranger au sein de l’université de Liège et d’Utrecht.
Vous avez annoncé un nouvel investissement de 100 M€ pour votre futur centre de production de vaccins vétérinaires. Pourrait-il bénéficier aux recherches sur de potentielles pandémies ou zoonoses à venir ?
L’investissement initial de Jonage, qui était de 200 M€, annoncé lors du Conseil stratégique des industries de santé en 2018, était à l’origine destiné à la production et aux capacités de stockage de banques d’antigènes de vaccins contre la fièvre aphteuse et la fièvre catarrhale ovine, qui représentent encore de forts enjeux de santé publique et dont les conséquences sanitaires et économiques sont très importantes.
En octobre 2021, nous avons annoncé, lors de la visite de la ministre déléguée chargée de l’Industrie, un investissement additionnel de 100 M€, qui vise à adapter les futures lignes de production du site de Jonage à d’autres maladies, notamment pour des vaccins porcins et aviaires.
Avec ce nouvel investissement significatif, nous pourrons anticiper encore plus efficacement les futures épidémies, en développant notamment des techniques combinant intelligence humaine et intelligence artificielle. Ainsi, à terme, le site de Jonage pourrait être suffisamment modulable pour être en capacité de produire des vaccins qui permettent de répondre à la fois à des besoins en matière d’épizooties et à des zoonoses.
La nécessité de développer des partenariats public-privé est souvent évoquée. Avez-vous de nouveaux projets dans ce sens ?
Au-delà du HUB VPH évoqué plus haut, Boehringer Ingelheim contribue au consortium européen ZAPI (Zoonoses Anticipation and Preparedness Initiative) qui cherche à identifier les mesures correctives et les processus utilisés en santé animale potentiellement mobilisables pour accélérer la réponse contre la Covid-19 et les maladies émergentes similaires. C’est un dispositif très innovant qui vise à créer des synergies entre l’homme et les animaux, un véritable exemple de coopération entre médecins, vétérinaires, biologistes, défenseurs de l’environnement et institutions de santé publique.
Les animaux et les êtres humains partagent les mêmes territoires sur notre planète. Ils partagent aussi souvent les mêmes pathogènes, en l’occurrence les mêmes agents zoonotiques. En ceci, le projet ZAPI est inédit : il utilise les nouvelles technologies pour combiner santé animale et santé humaine.